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Une prison aux barreaux dorés (Diaporama)


Retenir les demandeurs d’asile et les personnes en situation irrégulière avant leur expulsion : telle est la mission du centre de rétention du Findel. Un centre qui a choisi de privilégier la qualité à la quantité. Mais sa fréquentation augmente et certains grincent des dents…

Des barbelés, des murs, des gardiens : ne jouons pas sur les mots, le centre de rétention est une prison, où viennent se briser les espoirs de migrants en quête d’une vie meilleure. Mais c’est aussi un centre où les « retenus » sont beaucoup mieux traités qu’ailleurs, se défendent Vincent Sybertz et Sophie Rodesch, directeur et directrice adjointe du centre.

> Combien de personnes sont en rétention actuellement ?

Vincent Sybertz : Aujourd’hui (mardi dernier), 26 retenus. On n’a que des hommes, les femmes sont rares, les familles aussi.

> En 2013, le centre comptait chaque jour une vingtaine de retenus.

Vincent Sybertz : Désormais, la moyenne se situe aux alentours de 27 retenus. Elle ne pourra pas augmenter beaucoup plus car on arrive quasiment à la capacité maximale d’accueil.

> Pourtant, la capacité maximale du centre est de 88 personnes !

Vincent Sybertz : Oui, mais c’est purement théorique. Dans les faits, c’est inimaginable. Il faudrait placer deux personnes par chambre. Déjà que les chambres ne sont pas grandes, ce serait assimilable à une sanction, ce qui n’est pas le but. Donc, la limite qu’on s’est fixée avec le ministère [des Affaires étrangères], c’est un maximum de 30 hommes et 16 femmes.

> En 2013, on notait déjà un manque de personnel au centre…

Vincent Sybertz : C’est toujours le cas. Je rappelle qu’on a besoin de personnel 24 heures sur 24, 365 jours par an. Donc, avec 27 agents pour encadrer les retenus, avec les congés et les rotations, on est à la limite d’être en sous-effectif. Il nous manque entre 7 et 8 agents.

> Personne ne s’attendait à une telle affluence au centre ?

Vincent Sybertz : Si. Mais la crise budgétaire est passée par là. On avait un plan de recrutement qui n’a pas été respecté, ça traîne…

> La presse a rapporté des propos de la police évoquant une surpopulation au centre.

Vincent Sybertz : J’ai vu que la police s’était plainte qu’elle ne pouvait pas placer des gens en rétention. À la base, c’est déjà une énormité, car ce n’est pas la police qui décide et place les gens en rétention, c’est le ministère. Et c’est aberrant, car on a la stricte limite de 30 hommes et 16 femmes, qui n’a jamais été dépassée.

> Mais si le nombre de retenus dépasse 30 hommes et 16 femmes, comment fait-on ?

Vincent Sybertz : Dans tous les cas, le centre n’acceptera aucun retenu supplémentaire. Donc, c’est au ministère de voir, éventuellement, quel retenu peut être relâché, et ainsi libérer une place au centre. C’est déjà arrivé.

> Ne faudrait-il pas l’agrandir ?

Vincent Sybertz : Il faudrait d’abord comprendre qu’il faut respecter les critères qui autorisent à placer quelqu’un en rétention. Avec la police, le discours est parfois « on met les gens en rétention et puis on verra ».

> Pourquoi ces tensions avec la police ?

Vincent Sybertz : À mon humble avis, il y a parfois une mauvaise opinion de ce qu’est la rétention, d’ailleurs il est prévu d’améliorer la formation des policiers sur ce sujet. Certains pensent qu’être en rétention ou en prison est la même chose : une sanction. Ce qui est totalement faux. La rétention n’est pas une punition, c’est une mesure administrative.

Sophie Rodesch : Je vous donne un exemple classique. La police appréhende un vendeur de stupéfiant, qui s’avère être en situation irrégulière. Comme le parquet ne s’active pas pour le placer en détention préventive, l’affaire remonte jusqu’au ministère pour qu’il soit placé en rétention, comme ça, au moins, il aura une petite sanction. Et si ce n’est pas le cas, cela va créer un sentiment d’impunité.

Vincent Sybertz : Évidemment, je peux concevoir que le policier qui s’est décarcassé pour faire son boulot soit frustré si la personne n’est placée ni en préventive ni en rétention. Mais ça reste une fausse appréciation de l’affaire si la rétention est considérée comme une sanction. Ces gens n’ont commis aucun crime, ils vont être expulsés car en situation irrégulière, c’est pourquoi on dit retenus, pas détenus. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont tous irréprochables, bien sûr.

> La durée maximale de rétention au Luxembourg est de 6 mois. Mais certains cumulent…

Sophie Rodesch : Oui, on a des « clients » réguliers, qui reviennent tenter leur chance assez vite. Certains nous disent même, le jour de leur départ, « à très bientôt ».

Vincent Sybertz : Parfois même, ils sont de retour au Luxembourg avant la police. Par exemple, la police luxembourgeoise va à l’aire de Wasserbillig pour remettre la personne à la police allemande, et parfois ces derniers vont libérer aussitôt la personne, qui va reprendre le chemin du Luxembourg. D’autant que les migrants savent qu’au pire, au Luxembourg, la rétention ne dure pas trop longtemps, et qu’ils seront traités bien mieux que dans la plupart des autres centres européens.

> Il faut donc imaginer des alternatives au centre de rétention

Vincent Sybertz : Oui, il faut qu’il y ait des alternatives, c’est même prévu dans une directive européenne. C’est en discussion pour le Luxembourg apparemment. Mais à mon avis, la rétention existera toujours car ce sera toujours justifié dans certains cas. Ce qui est sûr, c’est que la rétention doit être aussi courte que possible, car plus elle persiste, plus il y a des problèmes.

> On compte treize évasions depuis 2011. Comment est-ce possible ?

Vincent Sybertz : Au début, c’était facile car il n’y avait pas de barbelés, et les clôtures sont rapprochées et pas trop hautes. C’est pourquoi on a installé des barbelés. Mais parmi ces treize évasions, peu ont eu lieu au centre. Plusieurs se sont déroulées lorsque les retenus étaient emmenés à l’extérieur, chez le dentiste, à l’hôpital…

> Des grèves de la faim, des automutilations ou une tentative d’incendie ont déjà été recensées…

Sophie Rodesch : On a des incidents comme ça, mais c’est très rare, et ça n’est jamais allé loin. Car on n’est pas là pour sanctionner les personnes. On est là pour qu’elles soient traitées dignement durant leur rétention. On essaie d’établir une relation de confiance, et à partir de là, ça roule tout seul. Bien sûr, parfois, il y a des tensions. Mais c’est souvent des tensions entre retenus, moins avec le personnel.

> Des associations ont comparé l’éclairage permanent dans la cellule d’isolement à de la torture.

Vincent Sybertz : Ça c’est réglé ! Dès qu’on a eu le budget, on a installé des caméras infrarouges, il n’y a plus d’éclairage permanent.

> Quelles sont vos relations avec les ONG ?

Vincent Sybertz : Très bonnes. On a une quarantaine de visiteurs agréés d’ONG, qui peuvent accéder au centre aux heures prévues. Et s’ils nous remontent des problèmes, on est les premiers à essayer de les régler dans la mesure du possible.

> Avez-vous des cas particuliers, parmi vos retenus ?

Sophie Rodesch : Chaque cas est unique. En ce moment, je pense à une personne qui, jusqu’ici, était mutique, qui avait même fait la grève de la faim. Lorsqu’elle est revenue pour la troisième fois au centre, elle s’est mise à parler et super bien l’allemand et le luxembourgeois ! Je pense qu’elle nous fait confiance, car elle nous aide, par exemple, pour faire des traductions avec des retenus kosovars. Bien sûr, elle n’est pas contente d’être ici, mais elle sait que ce n’est pas de notre faute. Comme la plupart, elle se plaint du principe de la rétention, pas des conditions.

Entretien avec notre journaliste Romain Van Dyck


> Police : « Pas de malaise »

Peut-on parler de malaise entre la police et le centre de rétention ? Pas pour le porte-parole de la police grand-ducal, surpris de notre question. « Je ne parlerais pas d’un malaise ou d’une frustration des policiers, je ne vois pas de raison de faire une telle généralité. Après, j’imagine que lorsqu’on entend que le centre est complet alors qu’il est à la moitié de sa capacité maximale, certains se posent des questions, mais bon… »

Il ajoute : « Parfois, oui, il arrive que l’on appréhende une personne en situation irrégulière, et avec qui il y a des problèmes de brutalité ou d’insulte, et pourtant on va retrouver cette personnes dans la nature après. Si une telle décision est prise, on vit avec et on continue à faire notre métier », conclut-il.


> La rétention, c’est quoi ?

Installé depuis 2011 au Findel, le centre a pour but de retenir les demandeurs d’asile déboutés et les personnes en situation irrégulière, avant leur expulsion.

Le centre est constitué en unités (2 pour les hommes, 1 pour les femmes et 1 pour les familles). Les retenus peuvent circuler à l’intérieur de leur unité, mais les activités suivent un planning fixe. Ils ont accès à une cuisine, des activités (bibliothèque, sport, jeux…), une cours extérieure, des locaux médicaux… Les chambres sont individuelles, avec WC et interphone. Il existe une cellule d’isolement en cas de problèmes avec un retenu.

La durée maximale de rétention est de 6 mois (sauf pour les familles, réduite à 72 heures).