L’intention du gouvernement de ne pas rendre gratuit l’Adapto, ces minibus destinés aux personnes handicapées, alors que l’ensemble des transports publics seront gratuits en 2020, a suscité l’indignation.
Joël Delvaux est conseiller syndical et responsable du département des travailleurs handicapés au sein de l’OGBL. Lui-même en fauteuil roulant, il témoigne des difficultés à se déplacer dans le pays et de l’évidence pour lui de rendre l’Adapto gratuit.
La pétition n°1329 intitulée « Gratis Transport pour les personnes à mobilité réduite » a recueilli les 4 500 signatures nécessaires pour être débattue à la Chambre en moins de cinq jours, un record. Cela vous a-t-il surpris ?
C’est impressionnant de voir à quel point ce refus de rendre l’Adapto gratuit a choqué la population ! Déjà, cette pétition a été lancée par Ana Pinto, une personne qui n’est pas directement ou indirectement concernée par le handicap (aucun de ses proches n’est handicapé), et qui n’est pas active dans des associations. C’est donc quelqu’un de la société civile qui a pris les choses en main, comme ça. Et puis, voir l’impact que cette décision du gouvernement a eu sur les gens qui se sont fortement et rapidement mobilisés pour signer la pétition et marquer leur incompréhension et leur désapprobation quant à cette discrimination, c’est vraiment encourageant. Ça fait chaud au cœur.
Comment ont réagi les associations de défense des droits des personnes handicapées ?
Elles ont tout de suite travaillé de manière concertée et pris contact avec Madame Pinto. Une page Facebook a été créée – 2020 – Gratis Ëffentlechentransport fir all – sur laquelle on indiquera les évènements que l’on va organiser dans le cadre du débat à venir à la Chambre. C’est une bonne surprise, car même s’il existe quelques cas de collaboration entre certaines associations, elles ont souvent tendance à faire cavalier seul, du fait qu’en général elles s’occupent d’un seul type de handicap : maladies rares, aveugles, handicap mental… Chacune est spécialiste dans son domaine et se bat pour faire avancer sa cause.
Mais au fond, on a une cause commune : avoir une reconnaissance dans la société, être considérés comme des citoyens à part égale. Or, pour atteindre ce but, il faut que nous fassions front commun, afin d’avoir plus de crédibilité et plus de poids. Mais également pour éviter les erreurs du passé dues à un manque de concertation. Par exemple, dans les années 80, l’abaissement de certains trottoirs à un niveau 0 à Luxembourg-Ville, idéal pour les fauteuils roulants, s’est avéré très problématique pour les personnes aveugles ou mal-voyantes, qui n’avaient plus de repères pour leur canne.
Que répondez-vous au ministre François Bausch, qui justifie la non-gratuité de l’Adapto avec le fait qu’il s’agit pour lui d’un service de taxi ?
Je ne suis pas du tout d’accord. N’importe quel citoyen peut disposer d’un taxi dans la demi-heure. Nous, on n’a pas cette garantie. Ainsi, en théorie, on doit réserver un Adapto deux jours à l’avance. Mais en réalité, pour être sûr d’en avoir un, il vaut mieux s’y prendre quatre jours en amont. Et à certains horaires, on sait que ce sera carrément impossible – par exemple à 7h, puisque ce sont les mêmes minibus et les mêmes chauffeurs qui emmènent les personnes aux ateliers protégés à ce moment-là. En outre, ce transport est limité à 15 courses par mois. Une navette peut nous emmener sur notre lieu de travail le matin et le soir, mais si, comme moi, on est amené à faire des déplacements dans le cadre du travail, ces courses sont vite utilisées.
Ce transport est tarifé à 8 euros pour un aller-retour, un aller simple coûte 5 euros. Bien sûr, c’est une participation symbolique. Le coût réel se situe aux alentours de 160 euros, couverts par le ministère. Cependant, l’argument de l’argent que cela coûte à la société ne tient pas. En 2019, 365 millions d’euros ont été investis dans l’armement. Pour 2020, il est prévu que le budget passe même à 410 millions. Pour le Luxembourg ! Ce n’est pas l’argent qui manque…
Le transport en commun a coûté l’an dernier entre 30 et 40 millions d’euros. Si malgré ce coût, il peut être gratuit pour tout le monde, c’est incompréhensible qu’un transport spécialisé ne puisse pas l’être.
Après, le service Adapto peut être amélioré. Par exemple, il pourrait ne pas être systématiquement du porte-à-porte et on peut imaginer regrouper certaines personnes. Il y a certainement des choses qu’on peut revoir et organiser de manière différente. En tout cas, Monsieur Bausch n’a pas d’autre choix que d’accepter la gratuité de l’Adapto, ne serait-ce que par le succès fou de cette pétition qui montre clairement que c’est la volonté de la société. Sans compter que laisser ce transport-là payant, alors que le reste des transports en commun sera gratuit, sera purement et simplement de la discrimination vis-à-vis des personnes à besoins spécifiques. Ce qui pourrait amener des procédures. Il est clair qu’on ne laissera pas passer ça.
Au fond, le problème demeure l’inaccessibilité des transports en commun actuels…
Tout le problème est là. Les transports en commun ne sont pas suffisamment accessibles. Personne ne demande à avoir un Adapto de manière pérenne. Le but est l’accessibilité maximum du transport en commun pour le plus grand nombre de personnes. Mais tant que ce ne sera pas le cas – et pas seulement sur une seule commune mais sur tout le territoire – ce service sera nécessaire.
Certes, il y aura toujours des handicaps qui ne permettront pas un autre mode de transport (certaines personnes ne peuvent même pas se rendre jusqu’à un arrêt de bus, et il n’y a pas que des handicaps visibles à l’œil nu), mais cela ne concernera plus qu’une minorité, et le budget diminuera automatiquement de manière conséquente. Tout ce qui est fait en matière d’accessibilité n’a jamais fait de tort au reste de la population. Au contraire, c’est même souvent un avantage pour celles et ceux qui sont par exemple « encombrés » avec une poussette, ou des sacs de course ! Tout le monde profite de l’accessibilité.
Entretien avec Tatiana Salvan
« C’est une bonne surprise, car même s’il existe quelques cas de collaboration entre certaines associations, elles ont souvent tendance à faire cavalier seul, du fait qu’en général elles s’occupent d’un seul type de handicap : maladies rares, aveugles, handicap mental… Chacune est spécialiste dans son domaine et se bat pour faire avancer sa cause. »
Oui, effectivement. Mais porter des revendication communes ne semblent pas le fort de ce type d’associations. Il faudrait leur demander pourquoi…