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Télétravail des frontaliers, sujet miné


Le télétravail peut réduire les bouchons et améliorer la vie des frontaliers. Mais d'autres enjeux sont dans la balance. (photo archives Editpress/ Isabella Finzi)

Depuis le début de la pandémie, les frontaliers peuvent télétravailler de façon «illimitée». Beaucoup aimeraient conserver ce privilège après la crise. Mais les enjeux d’État à État sont plus complexes.

La situation actuelle

Les frontaliers (46 % des actifs du pays) sont normalement limités par deux plafonds concernant le télétravail, hors situation «coronavirus» :

• Plafond fiscal : il s’agit d’accords bilatéraux avec les pays voisins. Une recommandation-cadre de l’OCDE préconise que l’impôt sur le revenu soit levé dans le pays où le travail est effectué. Il s’agit donc, entre le Luxembourg et ses voisins, de déterminer les exceptions à cette règle. Cela se fait par un crédit de jours, où le pays du lieu d’implantation de l’entreprise (Luxembourg) conserve malgré tout le droit de lever l’impôt sur le revenu. Ce sont des jours «offerts» par les pays voisins en quelque sorte, où l’impôt reste prélevé au Luxembourg. Il s’agit de 19 jours pour les Allemands, 24 jours pour les Belges, et 29 jours pour les Français, depuis la convention franco-luxembourgeoise de 2018 entrée en vigueur début 2020. On peut dépasser ces plafonds, mais il faut payer une partie de son impôt dans son pays de résidence (ce qui est parfois plus avantageux pour les frontaliers !)

• Plafond social : ne pas dépasser 25 % de son temps de travail global en télétravail. Ce plafond résulte des normes européennes. Elles garantissent aux travailleurs mobiles qu’ils ne relèveront que d’un seul système social. Le frontalier qui dépasserait ce quota perdrait ses allocations familiales luxembourgeoises, ses droits à la retraite luxembourgeoise et à la sécurité sociale luxembourgeoise, pour dépendre du système de son pays de résidence.

• Depuis le coronavirus : gouvernements belge et français ont tout de suite annoncé que les jours de télétravail seraient illimités. Pour le gouvernement français, il s’agit d’une lettre cosignée par trois ministères, dont celui de l’Action et des Comptes publics. En clair, la France a annoncé qu’elle allait s’asseoir sur les bénéfices des jours dépassés, donc officiellement renoncer aux gains, vu la situation d’urgence.

On reste dans une réponse d’urgence

«La France a apporté une réponse réactive, qui pour moi a été le signe d’une gestion efficace et d’une coopération facilitée avec le voisin, nous explique Julien Dauer, responsable du service juridique à Frontaliers Grand Est. On ne devait pas laisser les frontaliers prendre le risque d’être obligés de se confronter au virus pour travailler. Toutefois, on reste dans une réponse d’urgence qui ne pourra pas convenir à une situation stabilisée. Beaucoup de frontaliers veulent désormais bénéficier de plus de télétravail. Ils réalisent le confort de vie précieux que c’est. Certains me disent qu’ils sont même prêts à payer des cotisations sociales en France. Il faut apporter des réponses plus pérennes maintenant : doit-on aller plus loin que les 29 jours, et sous quelles conditions pour les États et les frontaliers ? Comment organiser le suivi administratif du télétravail transfrontalier ? Comment apporter une sécurité juridique à tous les employés concernés ?»

Les Allemands, eux, ont orchestré une négociation plus à la corde avec le Luxembourg : un accord écrit a été signé. La fin du plafond fiscal est reconduite mois par mois, mais peut être dénoncée unilatéralement par l’un des deux gouvernements.

Un modèle difficile à pérenniser

Nous le voyons, la question du télétravail ne se résume pas à des enjeux écologiques (réduire les transports), sanitaires (éviter la propagation d’un virus) ou sociétaux (vision moderne du travail où vies familiale et sociale peuvent être menées plus facilement).

Si les pays définissent des plafonds, c’est bien que d’autres enjeux existent. Nous pouvons en cibler trois :

• La fiscalité : quel est le sens de l’impôt sur le revenu ? Depuis les révolutions françaises et américaines, il ne s’agit plus d’un prélèvement au profit d’un notable puissant. Mais d’un prix : celui à payer pour bénéficier des services publics et d’une bonne organisation de la société. Le secrétaire au Trésor du président Roosevelt le disait autrement : «Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée.» Or dans la situation actuelle d’un «télétravail illimité», les frontaliers vivent désormais à 100 % dans leur pays de résidence, où ils utilisent les services publics, mais laissent 100 % de leur impôt à la source au Grand-Duché. Cette situation inédite constitue un manque à gagner certain pour les États voisins.

Ainsi, avant l’épisode du coronavirus, la Belgique ne négociait une augmentation du plafond des 24 jours qu’à la condition d’une nouvelle forme de compensation fiscale du Grand-Duché en retour. Ce qui a entraîné les blocages qui ont suivi. Au grand dam de certains cercles politiques locaux, qui ont tenté de brosser les frontaliers dans le sens du poil en pointant «Bruxelles» du doigt. La négociation est pourtant logique car le reste de la population n’a pas à «payer la facture» par son impôt pour les frontaliers.

• La compétitivité des entreprises : le télétravail, déjà en marche depuis les années 2010, va se généraliser. Dimension transfrontalière ou non. Des entreprises wallonnes, lorraines ou sarroises vont le mettre en œuvre aussi. Problème : en libéralisant fortement le télétravail transfrontalier (autour de 1,5 jour par semaine si on respecte le plafond européen), chacun pourra se retrouver avec un bout de Luxembourg dans son salon. Ses salaires, ses allocations familiales, etc. La concurrence fiscale et entrepreneuriale du Grand-Duché serait d’autant plus rude, au-delà même de la frontière habituelle… une sorte de frontière virtuelle déportée, qui doit logiquement faire réfléchir les États voisins.

• La captation de la main- d’œuvre : dans un contexte démographique complexe en Grande Région, avec une chute globale des réservoirs de main-d’œuvre à venir, hors domaine de compétence exclusive (type Big Four au Grand-Duché), une lutte pour conserver la main-d’œuvre va s’organiser. Des études menées par les différentes agences de l’emploi en Grande Région ont montré que les postes les plus en tension sont souvent les mêmes, contrairement à l’idée répandue, d’un côté comme de l’autre des frontières : personnel médical, Horeca, bâtiment, informatique, etc.

Qu’est-ce qui retient un comptable de Thionville de trouver un emploi au Luxembourg ? Les trois heures de voiture par jour. Qu’est-ce qui incite un informaticien belge à de nouveau chercher un emploi chez lui ? Les trains aléatoires vers le Grand-Duché, le cinéma pour trouver une place de parking le matin à la gare d’Arlon… De façon lucide, on peut dire qu’une facilitation du télétravail ne servirait pas les intérêts du tissu entrepreneurial voisin.

Hubert Gamelon

Un commentaire

  1. « Si ln est 100% a la maison alors on utilise 100 des res’urces publiques de la France ». Pas du tout. Si je dois me deplacer j’utilise le routes francaises et luxembourgeoises tous les jours, si je suis a la maison et je me déplacer jamais je n’utilise ni les routes françaises ni Luxembourgeoises. Pour le reste (eau, électricité et maison) on paye déjà des impôts à la France. il fait payer quoi encore?!? Le fait d’être physiquement en France ne devrait pas compter…le travail est toujours effectué sur un ordinateur que est a Luxembourg et le fruit de cet travail reste au Luxembourg. La France n’a rien à foutre. Si la France veut nos impôts n’a que à creer des boulots en France pour les Francais avec les mêmes conditions que on trouve a Luxembourg. La disparité (volue par la France plus gourmande en impôts) c’est anti europeenne. Clest pas au Luxembourg d’augmenter les impôts ou donner cadeau a la France. C’est a la France d’abaisser ses impôts pour eviter que les Francais vont ailleurs

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