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Sam Tanson : «Il faut venir en aide aux enfants en détresse»


"Dans l'état actuel des choses, la prison de Schrassig ne nous permet pas d'assurer une prise en charge adaptée pour tous les détenus. C'est pourquoi nous avons entamé des réflexions pour la construction d'une nouvelle prison plus moderne et mieux adaptée aux besoins", indique la ministre. (photo Alain Rischard)

Sam Tanson est depuis le mois d’octobre ministre de la Justice. La succession de Félix Braz n’a pas été facile à assumer pour l’élue déi gréng, qui reste aussi ministre de la Culture. Elle s’est vu confier toute une série de dossiers complexes, dont l’affaire dite du «casier bis» et la protection de la jeunesse.

Elle a connu une ascension fulgurante. Échevine de Luxembourg jusque fin 2017, Sam Tanson passe en avril 2018 du Conseil d’État à la Chambre des députés. Six mois plus tard, elle intègre le gouvernement. L’élue verte revient sur un parcours mouvementé.

Entrée au gouvernement fin 2018, vous avez vécu une première année bouleversante en tant que ministre. Vu les circonstances, avez-vous digéré le passage du Logement à la Justice ?

Le changement de ministère n’était clairement pas souhaité. J’ai toujours affirmé que j’étais pleinement satisfaite d’avoir décroché le Logement et la Culture. Mais j’ai été amenée à prendre d’autres responsabilités. Mes débuts au ministère de la Justice ont été compliqués. Hériter de cette tâche dans les circonstances que l’on connaît a provoqué un sentiment de déchirement. Mais j’ai fini par prendre mes marques. Un ancien ministre de la Justice m’a récemment dit que j’assumais désormais le plus beau ressort qui existe. En réalité, j’assume les deux plus beaux ressorts qui existent. La Justice et la Culture sont très complémentaires. Le premier fixe le cadre du vivre ensemble dans la société, le second permet d’élargir son horizon.

Votre prédécesseur, Félix Braz, a toujours plaidé pour qu’un ministre de la Justice affiche une certaine retenue sur le plan politique. Quelle est votre interprétation de ce rôle ?

Je reste membre à part entière du gouvernement. Un ministre de la Justice fait de la politique, il s’agit donc d’un mandat politique. Cela n’empêche pas que je tente de prendre de la hauteur.

Sur ce même plan politique, l’année 2019 a été marquée par l’affaire dite du « casier bis ». Estimez-vous avoir réussi à poser les bons jalons pour retrouver une sérénité dans ce dossier explosif ?

Les dernières discussions en commission parlementaire ont été très objectives. L’Autorité de contrôle judiciaire (ACJ), soit le pendant de la Commission nationale pour la protection des données (CNPD), va encore finaliser cette année son avis. Ce dernier va nous permettre de voir où le tir doit encore être rectifié. En attendant, les services du ministère ont lancé une analyse interne de tous les textes concernant le contrôle de l’honorabilité des personnes. La discussion sur les fichiers a été lancée sur base d’un tel contrôle. Ce qui m’importe est que le citoyen connaisse l’usage qui est fait de ses données personnelles. Je citerai l’exemple d’une personne postulant pour devenir agent de sécurité. Elle doit savoir quelles données sont consultées pour que l’agrément en question puisse lui être accordé.

Nous touchons au centre de cette polémique. Comment comptez-vous procéder pour rendre le procédé plus transparent ?

Il nous faudra définir jusqu’où on pourra aller s’il s’avère nécessaire d’aller au-delà du simple extrait du casier judiciaire. Je viens d’entamer cette discussion avec les députés et je souhaite la mener jusqu’au bout. Le plus important reste que le citoyen ait pleinement conscience de quelles données peuvent être consultées. Il en va de même sur la durée et la proportionnalité de la conservation de ces données. Il s’agit du point crucial de cette discussion. Partout où le cadre légal s’avère défaillant, il sera complété en étroite concertation avec le ministère de la Sécurité intérieure. Des premiers textes qui auront trait à l’honorabilité seront déposés lors de ce premier trimestre 2020.

En automne dernier, la justice s’est vu reprocher de s’immiscer dans les prérogatives de la Chambre des députés. Vous avez été amenée à jouer les arbitres. Le différend est-il aujourd’hui résolu ?

Il s’agit de discussions normales sur le plan institutionnel. Le renvoi de la question dans la commission des Institutions de la Chambre est à saluer. Un important travail sera mené à l’échelle du Parlement. Ma préoccupation est que la séparation des pouvoirs fonctionne à tous les niveaux.

La loi sur la protection de la jeunesse se fait toujours attendre. Après bon nombre de tergiversations, où se trouve ce projet aujourd’hui ?

Il n’est pas question de tergiversations. Félix Braz a tout mis en œuvre pour proposer un texte de réforme. Il s’est cependant vu confronté à un important nombre de retours négatifs. Ces critiques doivent désormais nous servir de base pour trouver des réponses aux problèmes soulevés. Il est prévu de rédiger un tout nouveau texte sans toutefois devoir repartir de zéro. On pourra compter sur le soutien de Renate Winter, présidente du Comité des droits de l’enfant aux Nations unies. Récemment, elle a été présente au Luxembourg pour mener un échange avec les praticiens du terrain et ainsi mieux évaluer le fonctionnement du système actuel.

Quel sera l’objectif de la réforme tant attendue ?

Il faut venir en aide aux enfants en détresse. L’objectif sera donc d’obtenir le meilleur texte possible pour garantir l’intérêt de l’enfant. Il s’agira aussi de séparer le volet de la protection en tant que tel et les droits des enfants en matière pénale. Mais même en cas d’infractions, on va miser sur une approche restaurative. L’idée est de responsabiliser les jeunes afin d’éviter une récidive.

Le centre pénitentiaire de Schrassig est régulièrement la cible de critiques concernant le placement de mineurs. La surpopulation est un autre problème. Quelle est votre analyse de la situation et quelles sont les mesures envisagées pour résoudre ces problèmes ?

La nouvelle Unité de sécurité pour jeunes délinquants, installée à Dreiborn, est en fonction depuis peu de temps. Lors d’une visite sur place, j’ai pu me rendre compte du très fort engagement du personnel. Le cas récent du mineur qui a été placé à Schrassig montre néanmoins que nous devons continuer la réflexion quant à l’utilisation des institutions dont nous disposons et quant à d’éventuelles futures institutions. Pour le reste, l’administration pénitentiaire a été dotée en 2018 d’un nouveau cadre légal. Un accent particulier est mis sur l’encadrement et la réinsertion des prisonniers. Toute une série de mécanismes sont prévus pour établir un projet de vie afin que le détenu dispose d’une perspective à sa sortie de prison. Il ne sert à rien de se contenter d’enfermer des personnes. On va se concerter avec les associations actives sur le terrain. Or dans l’état actuel des choses, la prison de Schrassig ne nous permet pas d’assurer une prise en charge adaptée pour tous les détenus. C’est pourquoi nous avons entamé des réflexions pour la construction d’une nouvelle prison plus moderne et mieux adaptée aux besoins. Le centre pénitentiaire resterait basé à Schrassig et il est envisagé de procéder par étapes. Il s’agit toutefois d’un projet à moyen voire long terme.

Dans la foulée de l’affaire Luxleaks, votre prédécesseur Félix Braz avait annoncé vouloir mettre en place une meilleure protection des lanceurs d’alerte. Il avait renvoyé vers des textes européens avant d’agir. Le projet a-t-il avancé entretemps ?

La directive européenne est finalisée. Les travaux pour la transposer au Luxembourg sont en cours. On s’est fixé, comme d’habitude pour les textes européens, un délai de deux ans. Les personnes qui s’exposent après avoir détecté de graves irrégularités doivent pouvoir dénoncer les faits sans devoir craindre une peine de prison. Il faut mettre en place les mécanismes de protection nécessaires.

Passons à votre deuxième portefeuille. Les premiers échos provenant du secteur attestent d’une bonne première année pour vous comme ministre de la Culture. Quel est votre premier bilan ?

Personne ne m’a encore insultée (elle rit). Il s’agit d’un portefeuille passionnant. J’ai pu bénéficier du très bon travail préparatoire fourni par mes prédécesseurs. Le plan de développement culturel (KEP) en témoigne. Le coauteur de ce plan, Jean Kox, est désormais à mes côtés au ministère de la Culture. Le secteur est en quête d’attention. Il la mérite vu le grand nombre de personnes merveilleuses, engagées et talentueuses dont nous disposons au Luxembourg. On doit leur donner les moyens pour travailler de manière professionnelle. Les petits théâtres et le secteur de la danse ont ainsi pu bénéficier d’une hausse substantielle des moyens financiers. Il est important de le faire pour qu’ils puissent se concentrer sur leur métier sans devoir engager leurs ressources dans du travail administratif, la communication ou même la vente de billets. Ils doivent pouvoir externaliser ces missions afin que les créateurs puissent se concentrer sur leur travail créatif. La même idée est de mise pour la revalorisation des centres culturels régionaux, qui pourront désormais s’investir davantage dans des productions maison.

Ces derniers mois, plusieurs cas de destructions du patrimoine architectural ont été dénoncés. Vous avez déjà été obligée d’intervenir en urgence. Quel est le plan pour mieux prévenir de telles situations ?

Le projet de loi pour réformer la protection du patrimoine culturel est déposé à la Chambre. On attend désormais l’avis du Conseil d’État. J’espère qu’il sera rendu rapidement afin de combler au plus vite les lacunes légales existantes. Le texte actuel date de 1983. Le monde était tout autre à cette époque. L’évolution que connaît le Luxembourg de nos jours exerce une énorme pression sur les bâtiments existants. Jusqu’à présent, il a fallu statuer au cas par cas. Le nouveau texte va permettre de réaliser un inventaire complet des bâtisses à protéger. Le Service des sites et monuments (NDLR : devenu l’Institut national du patrimoine architectural) dressera cet inventaire commune par commune en se basant sur une grille de critères uniforme. Ce travail nous permettra de disposer d’une base cohérente pour les 15 ou 20 ans à venir.

L’année culturelle 2020 sera aussi marquée par les 3es assises culturelles qui se tiendront le 3 juillet. Comment sera préparé ce rendez-vous ?

La Chambre se penche actuellement sur une évaluation du KEP. Sur le terrain, un groupe de travail est en train de se pencher sur la création d’un Conseil des arts. Ce dernier doit contribuer à professionnaliser le secteur. Sachant que le Luxembourg constitue un territoire limité, on est dans l’obligation d’élargir le terrain de jeu des artistes grand-ducaux. L’objectif est de les accompagner de manière professionnelle et de les promouvoir à l’étranger. Bon nombre de pays disposent aujourd’hui de telles agences culturelles. Il s’agira d’institutionnaliser des initiatives déjà existantes (music:LX et Reading Luxembourg) et de les élargir aux autres domaines culturels.

En automne, l’audit réalisé sur le fonctionnement du Film Fund a fait beaucoup de bruit. La polémique entourant ce secteur nuit-elle à l’ensemble de la scène culturelle du pays ?

Ce genre de discussions nuit toujours, d’autant plus qu’il a été tenté d’établir le sous-entendu que trop d’argent public est investi dans la culture. La production audiovisuelle fait partie de la culture. Il s’agit d’un art coûteux, mais très accessible. Les scrupules pour aller au cinéma sont moins importants que pour partir à la découverte d’autres disciplines. Le Luxembourg a pris la décision de se positionner dans ce secteur et cela a réussi. On dispose aujourd’hui d’une véritable industrie du film. Xavier Bettel a, en tant que ministre de tutelle du Film Fund, lancé un débat sur le fonctionnement du fonds. Les adaptations nécessaires ont été prises. Personne n’a d’ailleurs remis en question le besoin de procéder à ces corrections. La situation n’est de loin pas aussi dramatique que certains ont voulu le faire croire.

Dans ce débat, la masse critique a été mise en avant pour justifier une aide publique. Que vous inspire cette réflexion ?

Je refuse de mener une telle réflexion dans le domaine culturel. Il s’agit à mes yeux d’une très dangereuse discussion. Car si nous arrivons au point de définir la valeur d’une création culturelle en fonction du succès populaire, on ne va plus faire grand-chose. On risquerait également de perdre en liberté et de se contenter de faire de la culture qui nous apporte vraiment quelque chose. Je ne nie pas que des productions grand public ont leur raison d’être, mais ce sont souvent les œuvres moins populaires qui nous font le plus avancer. Elles ne doivent pas être condamnées.

Entretien avec David Marques