La Commission consultative des droits de l’Homme a rendu son avis concernant le projet de loi qui devra permettre au pays de sortir de l’état de crise. Elle déplore des mesures imprécises.
Le 24 juin, le Luxembourg sortira de l’état de crise instauré au mois de mars dans le but de permettre au gouvernement de prendre des mesures urgentes pour faire face à la crise du Covid-19. Mais le virus et ses conséquences n’auront pas disparu pour autant à cette date, aussi un cadre légal doit-il être mis en place, dans un premier temps pour une durée d’un mois après son adoption. Il sera reconductible de mois en mois si nécessaire.
La Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH), à l’instar des autres institutions qui doivent rendre leur avis sur ce cadre légal, a donc eu très peu de temps pour examiner les quelque 130 règlements qui composent le projet de loi n° 7606 visant à introduire «des mesures concernant les personnes physiques dans le cadre de la lutte contre le virus». Des règlements qui tendent à restreindre inéluctablement les droits humains au nom de la protection de la santé publique.
Mais ces libertés peuvent être d’autant plus mises à mal que les mesures restent vagues, laissant ainsi la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations et d’abus. Et c’est là précisément ce que reproche la CCDH à ce projet de loi : «Trop nombreuses sont les dispositions qui manquent de précision en ce qui concerne les champs d’application, leurs modalités et les garanties prévues pour éviter des abus», indique-t-elle dans son rapport. «Ce catalogue de mesures reste trop vague dans sa forme actuelle.»
La question épineuse de l’hospitalisation forcée
«Cette crise pandémique a conduit à créer un contexte où il y a eu des remises en questions de nos droits fondamentaux. Nous estimions que c’était alors légitime, car il s’agit d’une crise très grave – même si aujourd’hui nous disposons de plus d’informations et pouvons quelque peu relativiser tout ceci», rappelle Gilbert Pregno, le président de la CCDH. «Pour nous, et dans les textes internationaux, la réduction des droits fondamentaux est possible, à condition que cela soit proportionnel et nécessaire. Nous nous demandons donc jusqu’à quel point ces droits doivent-ils être réduits et qu’est-ce qui va continuer à exister? Les droits humains sont importants, surtout en temps de crise.» La CCDH souligne par ailleurs que «le risque de discrimination est omniprésent et aggravé en temps de crise».
Parmi les dispositions qui ont particulièrement alerté la CCDH : l’hospitalisation forcée d’une personne atteinte de Covid-19. Une mesure qui a fait débat au sein même de ses rangs. «Est-ce que c’est une solution proportionnelle? Justifiée? Nécessaire? Où va-t-on hospitaliser cette personne si elle y est contrainte? L’internement en psychiatrie, réservé aux personnes souffrant de troubles mentaux, est exclu pour ceux qui ne respectent pas les règles sociales. L’hospitalisation forcée constitue une ingérence flagrante dans les droits et libertés fondamentaux des personnes atteintes de Covid-19, mais cela peut être envisageable pour des motifs exceptionnels tels que la protection de la santé ou la sécurité d’autrui. Le sujet est complexe et demande réflexion. Mais ce qui est certain, c’est qu’en l’état actuel, les dispositions prévues dans ce projet de loi ne sont pas assez claires et peuvent prêter à des abus», signale Gilbert Pregno.
Un président de la CCDH «très confiant»
Autres points qui demandent des clarifications d’après la CCDH : la mise en quarantaine des personnes suspectées d’être infectées au Covid-19 (la CCDH demande notamment des précisions concernant les solutions envisagées lorsqu’un maintien à domicile est impossible, comme pour les victimes de violence domestique, les sans domicile fixe ou les sans-papiers), ainsi que la protection des données collectées.
La CCDH invite ainsi le législateur à «déterminer et délimiter clairement dans le projet de lois quelles données sont collectées et transmises à la direction de la Santé» et à «réévaluer périodiquement la nécessité de cette collecte». «Une limitation temporelle claire» concernant leur durée de conservation doit figurer dans le projet de loi, insiste-t-elle.
Si la CCDH se montre «très critique», Gilbert Pregno reste toutefois «très confiant dans la capacité du maintien des droits et des libertés au Luxembourg». «En France, j’ai plus de réticence – des lois votées pour lutter contre le terrorisme en 2015 suite aux attentats de Charlie Hebdo n’ont pas été retirées et ont été utilisées dans le cadre des manifestations des gilets jaunes. Ici, je pense que nous vivons dans un État de droit. Nous sommes dans un pays démocratique où il y a beaucoup d’instituts de défense des droits de l’Homme et il y a une écoute et une capacité à se mobiliser», estime le président de la CCDH.
Tatiana Salvan