La Chambre des députés va débattre ce mardi après-midi de la revalorisation de la formation des infirmiers et autres métiers de soins de santé. Les acteurs de terrain fustigent le projet de réforme du gouvernement.
La liste est longue. Infirmier en soins généraux, infirmier spécialisé, assistant technique médical, sage-femme, aide-soignant, aide socio-familial ou même auxiliaire de vie. «Le secteur de la santé et des soins au Luxembourg a besoin de différentes professions, aux attributions et aux tâches bien définies, et surtout des salariés qualifiés au lit des patients», constatent l’Association nationale des infirmières et infirmiers du Luxembourg (ANIL) et le syndicat Santé, Services sociaux et éducatifs de l’OGBL dans un communiqué de presse.
Depuis de très longues années, une réforme, avec à la clé une revalorisation de ces métiers de la santé, est revendiquée par les acteurs de terrain. La pandémie de coronavirus est (enfin) venue accélérer le processus. «Il ne faut pas rater cette occasion de réformer les formations des professions de santé de façon cohérente», soulignent l’ANIL et l’OGBL. Les attentes placées dans le gouvernement étaient grandes. Aujourd’hui, la consternation domine parmi les concernés.
Contrairement à ce que les ministres de la Santé, de la Famille et de l’Enseignement supérieur ont présenté début mai (lire ci-dessous), l’ensemble des acteurs de terrain s’oppose à un cadre de formation qui continue de mélanger enseignement secondaire et enseignement supérieur. L’effet de la création d’un bachelor (bac+3), longuement revendiquée, serait réduit à néant par un «bricolage à la sauce luxembourgeoise». «Nous saluons le fait que la fondation pour un bachelor pour infirmiers soit enfin coulée et que la future Medical School à l’université du Luxembourg aura un caractère interdisciplinaire. Dans le même temps, l’organigramme comprend des éléments que les acteurs du terrain déconseillent depuis toujours», souligne le communiqué d’annonce d’un piquet de protestation qui réunira ce mardi après-midi une douzaine d’associations et de syndicats représentant les professionnels de santé.
Piquet de protestation place d’Armes
Le rendez-vous est fixé à 15h place d’Armes, au pied du Cercle Cité qui continue d’accueillir la Chambre des députés. À partir de 16h, la pétition publique pour la revalorisation de la formation d’infirmier sera débattue en présence des ministres concernés. Il s’agira de la première possibilité pour les acteurs concernés d’en découdre avec les responsables politiques. L’instauration d’un bachelor pour former des infirmiers en soins généraux est largement saluée. Par contre, le bachelor pour infirmiers spécialisés est plus contesté. Les différentes associations représentant les assistants techniques médicaux en chirurgie (ALATMC), les infirmiers en anesthésie et réanimation (ALIAR), les infirmiers en pédiatrie (ALIP) et en psychiatrie (ALIPS) réclament tous l’instauration d’une formation de type master. Il en va de même pour les sages-femmes (ALSF), qui ne comptent également pas se contenter du nouveau bachelor. «Le nouveau bachelor pour infirmiers spécialisés ne peut constituer qu’une solution intermédiaire en attendant que les premiers étudiants décrochent leur bachelor en soins généraux», insiste l’ANIL.
«La réforme proposée ne résout aucun problème, mais risque, au contraire, d’aboutir à un chaos total. Engageons-nous tous ensemble à établir une réforme cohérente pour toutes les professions de soins de santé avec à la clé un modèle compréhensible : un bachelor pour infirmiers et un master pour toute spécialisation», souligne Gilles Evrard, le président de l’Association luxembourgeoise des enseignants pour professions de santé (ALEPS).
Le maintien du BTS fustigé
Le maintien de la formation de type BTS (bac+2), dispensée au lycée technique pour professions de santé (LTPS), est l’autre grand point de discorde entre le gouvernement et les représentants du terrain. Il n’y aurait aucun intérêt à maintenir ce diplôme. Un sondage mené par la commission des étudiants de l’ANIL auprès de 117 futurs infirmiers est venu à la conclusion que 91% d’entre eux opteraient directement pour le bachelor, sans passer par l’étape intermédiaire du BTS. La fin de ce diplôme est revendiquée pour 2024 au plus tard.
L’ALEPS plaide pour que le LTPS soit transformé en École nationale pour professions de santé du Luxembourg (ENPSL), qui serait chargée, en étroite collaboration avec l’université du Luxembourg, de former les professionnels de santé de demain. Il s’agirait d’un pas de plus vers l’objectif ultime de l’académisation du métier d’infirmier : une formation pluridisciplinaire, en partie dispensée en parallèle avec la formation des futurs médecins, qui doit offrir davantage d’attributions et d’autonomie au personnel encadrant. «Les chiffres le démontrent : avec des infirmiers mieux formés, des complications évitables telles qu’une pneumonie peuvent être détectées et prises en charge plus rapidement. Des personnes âgées devront moins souvent être hospitalisées avec à la clé une réduction des coûts pour les hôpitaux», affirme Anne-Marie Hanff, la présidente de l’ANIL, pour illustrer l’avantage de la revalorisation de tous les métiers de soins de santé au Luxembourg.
Un message clair sera transmis ce mardi après-midi aux responsables politiques : «Sans prise en compte des réalités du terrain, la réforme risque de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau, coûteux et sans effet positif quant à l’attractivité des professions et à la prévention d’une pénurie de professionnels dans le secteur.»
David Marques
«Un changement de paradigme»
Les grands contours de la réforme pour la formation des professions de santé ont été dévoilés le 3 mai par le gouvernement. Les ministres de tutelle visent un «changement de paradigme».
Si le principe de l’académisation de la formation est arrêté, les futures attributions du personnel de soins de santé doivent encore être définies. «Il nous faut procéder à une analyse des besoins du terrain. Les métiers de santé ne cessent d’évoluer. Les nouvelles attributions vont conditionner la formation», résume la ministre de la Santé, Paulette Lenert. L’objectif serait de «mieux adapter aux besoins du terrain».
La formation universitaire doit en fin de compte permettre aux infirmiers d’effectuer des actes médicaux de manière plus autonome, sans nécessiter la présence d’un médecin.
Le défi majeur qui se pose est de convaincre un plus grand nombre de jeunes à opter pour une carrière dans le secteur des soins. «Il s’agit d’un des métiers les plus humains qui existent, note le ministre de l’Enseignement supérieur, Claude Meisch. Au vu de la large panoplie de compétences que nécessite ce métier – médicales, techniques et sociales – il s’agit toutefois aussi d’une formation figurant parmi les plus exigeantes.»
La réorganisation du parcours de formation des professionnels de santé fera l’objet d’une évaluation en 2028.
D.M
Le plan de formation proposé
BTS La formation de l’infirmier en soins généraux continuera à être offerte par le LTPS. Elle comprend 2 ans de formation dans l’enseignement secondaire et 2 ans de formation BTS. Le brevet de technicien supérieur sera suffisant pour exercer en tant qu’infirmier. Le BTS donne aussi accès à la 2e année de la formation du bachelor d’infirmier en soins généraux ou à la 2e année de la formation du bachelor d’infirmier spécialisé.
INFIRMIER SOINS GÉNÉRAUX Un tout nouveau programme de bachelor (3 ans) pour devenir infirmier en soins généraux doit être lancé à la rentrée académique de 2023/2024. Il sera accessible aux détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires.
INFIRMIER SPÉCIALISÉ Quatre programmes de bachelor (180 ECTS) seront lancés à partir de 2022/2023 ou 2023/2024 dans les spécialités suivantes : assistant technique médical de chirurgie, infirmier en anesthésie et réanimation, infirmier en pédiatrie et infirmier psychiatrique. Ces formations seront accessibles aux détenteurs d’un BTS infirmier en soins généraux ou tout diplôme équivalent et reconnu au Luxembourg.
SAGE-FEMME ET RADIOLOGIE Dès 2023/2024 doivent être lancés deux programmes de bachelor supplémentaires pour les formations de sage-femme et d’assistant technique médical en radiologie. Les deux bachelors seront accessibles aux détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires.
INFIRMIER+ Il est envisagé de créer une quatrième année de bachelor pour la formation d’infirmiers en soins généraux. Les détenteurs du premier diplôme (bac+3) pourront suivre une formation supplémentaire pour décrocher le bachelor «Infirmier+». Cette formation, dont la date de lancement reste à définir, comportera des attributions plus poussées répondant à une demande croissante en soins infirmiers hautement spécialisés.