L’Amitié Portugal-Luxembourg, rebaptisée Amitié.lu, possède d’importants mérites dans l’intégration des immigrés lusophones. Des barrières restent toutefois à lever, ce que regrette le président Guy Reger.
Ce dimanche, l’Amitié Portugal-Luxembourg (APL) clôture son 50e anniversaire. C’est en 1969 que l’association a été créée. Sa mission : intégrer au mieux les immigrés portugais dans la société luxembourgeoise. «Dans un premier temps, les besoins matériels étaient importants. Mais assez rapidement, l’APL a mis en place une large panoplie d’activités, dont des cours de langue et la publication du journal Contacto, cédé en 1987 pour la modique somme de 1 000 francs au groupe Saint-Paul», retrace Guy Reger.
Le Luxembourgeois de 66 ans préside l’APL depuis la fin des années 90. C’est en 1994, qu’il a intégré la plus ancienne association œuvrant pour la cause des Portugais émigrés au Luxembourg. Guy Reger garde une forte admiration pour l’Eschois Lucien Huss, président historique de l’Amitié Portugal-Luxembourg. Tous les deux ont été décorés par l’État portugais pour leurs mérites. «On a joué un rôle plus important pour l’intégration que d’aucuns ne veulent l’admettre», lance Guy Reger.
Le passeport ne doit pas compter
C’est en effet avec les moyens du bord que l’APL s’engage depuis 50 ans. Mais malgré tout le travail investi, des barrières persistent entre les «Luxembourgeois pure souche» et la communauté portugaise. «Ce qui me frappe, c’est que l’image de l’ouvrier et de la femme de ménage reste trop ancrée. Je ne sais pas pourquoi ni qui possède un intérêt de la maintenir», déplore Guy Reger. Il est d’autant plus consterné que les deuxième et troisième générations de résidents d’origine portugaise possèdent un tout autre statut : «Tout le monde connaît dans son entourage des enseignants ou même professeurs de lycée qui ont des origines lusophones. Avec Félix Braz, un Portugais d’origine a même réussi à devenir ministre.»
L’immigration portugaise diffère aussi aujourd’hui de celle des années 60, 70 ou 80. «Le contexte est tout à fait différent. D’autres types de migrants, avec des formations plus élevées émigrent au Grand-Duché. À l’époque, ce genre de migrants n’était pas souhaité. La demande était une autre», enchaîne le président de l’APL.
Il regrette que la politique n’ait «encore jamais clamé haut et fort que le Luxembourg est un pays d’immigration». «On dit toujours que les migrants sont importants. Mais on ne va pas plus loin», ajoute Guy Reger, qui ne cesse de plaider pour une véritable ouverture : «Le passeport ne doit pas compter. Les Portugais qui vivent au Grand-Duché et qui sont bien intégrés sont à mes yeux des citoyens luxembourgeois.»
Ce genre de signal serait d’autant plus important dans une société où le repli sur soi prend une dimension de plus en plus importante. «Les flux migratoires sont souvent associés à des peurs et à une image négative, qui ne correspond cependant presque jamais à la vérité. Propager cette image sert la cause de qui ?», s’interroge Guy Reger, qui pointe aussi les réseaux sociaux : «C’est le pire qui existe. Parfois, je tente de contrer les commentaires les plus xénophobes. Mais c’est fatigant. Par contre, si on ne réagit pas, on laisse libre cours à ces personnes.»
L’APL se dit fière de ses acquis. Le président cite le centre de formation Lucien-Huss et ses plus de 4 000 inscriptions en 2019, les efforts pour encourager l’interculturalisme, l’encadrement des seniors et plus récemment l’ouverture vers d’autres communautés étrangères.
Les sentiments de rejet persiste
Mais malgré tout, «des réserves existent toujours», souligne encore Guy Reger. Il cite un exemple concret : «On peine toujours autant à trouver des locaux pour organiser nos activités. On refuse de nous louer des salles communales qui sont vides ou qui sont utilisées une seule fois par semaine. Une fois, l’argument qui a été avancé pour justifier le refus de mutualiser la salle était le suivant : « les étrangers sont des voleurs ».»
Il reste donc encore un long chemin pour pousser plus loin l’intégration des non-Luxembourgeois. Dans ce contexte, l’APL est toujours aussi déçue que le référendum de 2015 sur l’ouverture du droit de vote aux résidents étrangers se soit soldé par un cuisant échec. «Le sentiment de rejet des étrangers persiste. Les responsables politiques ont clairement sapé la campagne», fustige Guy Reger, qui persiste toutefois : «À nos yeux, cela reste toutefois une évidence que le droit de vote pour les législatives doive être accordé aux non-Luxembourgeois.» En attendant, l’APL continuera d’encourager les électeurs d’origine étrangère à s’inscrire aux élections communales et européennes.
L’héritage que laissera Guy Reger, qui compte céder sous peu la présidence de l’APL, n’est toutefois pas à négliger. «Le déclic manque encore. Mais il existe bon nombre d’exemples où l’intégration a réussi. On va continuer d’œuvrer ensemble», conclut-il.
David Marques
«S’ouvrir n’est pas exclure les Portugais»
Le fait que l’APL abandonne le terme «Portugal» de son sigle a fait grincer des dents. Le président se défend.
Interrogé par nos soins, l’ambassadeur du Portugal au Luxembourg a bien constaté «le changement de cap» de l’Amitié Portugal-Luxembourg. À l’occasion de son 50e anniversaire, l’APL s’est en effet transformée en Association plurielle Luxembourg, ou dit plus court : amitie.lu. «Il s’agit d’une des plus anciennes associations œuvrant pour l’intégration des Portugais au Luxembourg. Elle a accompli un important travail. Si elle décide aujourd’hui de changer de nom, on n’a pas de problème particulier avec cela. Mais on n’a pas été alertés en avance», indique António Gamito.
S’il salue l’ouverture à d’autres communautés, des regrets persistent. Guy Reger a lui aussi eu des retours négatifs. «S’ouvrir vers d’autres communautés étrangères n’équivaut pas à exclure les Portugais», se défend le président de l’APL. La «majorité» des réactions aurait d’ailleurs été «positive» après le changement de nom. Déjà très active dans l’accueil et l’intégration de demandeurs d’asile (l’APL loue notamment une maison occupée par cinq réfugiés), l’association collabore aussi plus étroitement avec des ASBL et ONG qui représentent les communautés arabe, syrienne, iranienne et égyptienne.
Cela n’empêche pas que l’APL maintienne un étroit contact avec la Confédération de la communauté portugaise au Luxembourg (CCPL). Le week-end prochain, l’APL sera présente au festival des Migrations.
Le retrait du pèlerinage de Fatima
Il s’agit du rendez-vous le plus populaire de la communauté portugaise établie au Luxembourg. Le jour de l’Ascension, ils sont des milliers à participer au pèlerinage Notre-Dame de Fatima à Wiltz.
L’Amitié Portugal-Luxembourg était pendant de longues années liée à l’organisation du pèlerinage. Mais des divergences de vue ont, selon le président de l’APL, provoqué la fin de cette relation. «Cela fait cinq ou six ans que nous nous sommes mis en retrait. On était peut-être un peu naïfs. La discussion a notamment porté sur les mérites des uns et des autres, mais aussi sur la répartition des sommes que génère l’événement. Finalement, on a été exclus du jour au lendemain», note sobrement Guy Reger.
«Nous ne disposons pas d’un lobby politique»
En dépit du fait que le soutien public est très limité, Amitié Portugal-Luxembourg n’a jamais baissé les bras. «On bénéficie d’un subside annuel de 500 euros de la part de la Ville de Luxembourg et de 250 euros attribués par la commune de Wiltz», indique le président, Guy Reger. Pour financer ses activités, APL dépend donc de dons, tout en essayant que les différents événements proposés à ses quelque 300 membres produisent des bénéfices. «On a appris à rechercher des partenaires de manière ciblée», avance Guy Reger. Cela a notamment réussi pour le concert «Gospel o pluriel» organisé le 17 novembre dernier au Cube 521 à Marnach.
Par contre, d’autres projets peinent davantage à se réaliser. «On édite des publications consacrées au multilinguisme. Malgré le fait que le Luxembourg se vante d’être multilingue, nous n’avons jamais reçu d’aide publique», déplore le président d’APL. La relation avec le ministère de la Famille est particulièrement difficile. «Nous n’avons jamais eu d’écho aux invitations envoyées à la ministre Corinne Cahen dans le cadre de nos 50 ans. Elle ne s’est même pas excusée de ne pas pouvoir assister aux festivités», fustige Guy Reger.
Tous ces éléments l’amènent à tirer une conclusion amère : «Nous ne disposons pas d’un lobby politique.» APL serait toutefois disposée «à entamer la discussion avec tout le monde. Mais nous remarquons qu’un blocage persiste.»
Au moins, APL peut bénéficier de salles de classe pour organiser ses cours de langue. «Ceux-ci concernent quand même près de mille personnes. On déplore toutefois que les salles ne sont pas accessibles le vendredi soir, le week-end et pendant les vacances scolaires», finit Guy Reger.
Les étrangers ne pouvaient pas créer d’association
Aussi improbable que cela puisse paraître, dans les années 60, les résidents non-luxembourgeois n’avaient pas le droit de créer une association. «Au départ, le travail d’intégration pour les émigrés portugais était rattaché à l’Action catholique. Mais à vrai dire, cela a été un petit choc pour certains de voir autant de Portugais débarquer. Des Luxembourgeois ont donc pris l’initiative de créer l’Amitié Portugal-Luxembourg», indique Guy Reger.
La proximité avec l’Église s’est amenuisée au fil des années. La participation à la vie sociale, l’échange culturel et la formation ont depuis lors pris le dessus. L’APL possède jusqu’à aujourd’hui des sections locales à Dudelange, Wiltz, Esch-sur-Alzette, Echternach et Luxembourg.