Le gouvernement luxembourgeois refuse de livrer une position politique sur le changement intervenu à Athènes. Tout se bornerait à de simples ajustements techniques.
Pierre Gramegna s’entretenant, le 6 novembre dernier, avec Pierre Moscovici, à une réunion de l’Eurogroupeà Bruxelles. Le ministre luxembourgeois refuse de livrer une position de fond sur les défis posés par la Grèce. (Photos : AP)
C’est par collaborateur interposé que Pierre Gramegna livre la position du Luxembourg sur la renégociation de la dette grecque et la sortie de l’austérité imposée à Athènes par ses créanciers. Sur ce dossier, le ministre luxembourgeois des Finances avance une prudence de Sioux et des réponses de Normand.
Des réponses recueillies en deux temps. D’abord lundi, lorsque Le Quotidien a sollicité une réaction politique du ministre auprès de l’un de ses collaborateurs. Hélas, Pierre Gramegna n’était pas « disponible ».
C’est donc par un échange de courriels avec ce même collaborateur que Pierre Gramegna a commencé à distiller la position officielle du gouvernement luxembourgeois. « Lors du dernier sommet Ecofin, la Grèce était encore représentée par l’ancien gouvernement. M. le Ministre souhaite attendre de connaître exactement les idées et propositions du nouveau gouvernement, avant de se prononcer sur la question. En attendant, il n’est pas utile de faire des spéculations sur base d’hypothèses », a-t-il fait savoir.
> Réponse technique à des questions de fond
Une réponse pour le moins évasive et vaguement technique qui va se confirmer dès le lendemain, c’est-à-dire hier, dans un nouvel échange de courriels avec le collaborateur de Pierre Gramegna : « À regarder de près, les demandes grecques ne sont pas encore très claires. Des idées ont été lancées, puis d’autres ont été avancées. On apprend par ailleurs qu’une banque d’affaires aurait été engagée par le gouvernement grec pour élaborer des pistes. La dernière est celle d’une restructuration de la dette (et non plus d’un effacement partiel) — mais là encore, les modalités proposées sont loin d’être déterminées. Nous attendons donc que ces idées se concrétisent avant de prendre position. »
Le ministre parle de « spéculations » et d’ « hypothèses », de demandes « pas encore très claires ».
Voilà qui est incongru quand le nouveau Premier ministre grec et leader du parti de gauche Syriza, Alexis Tsipras, martèle depuis des années qu’il renégociera la dette de son pays et sortira de l’austérité s’il parvient au pouvoir.
En s’abritant derrière les modalités de la renégociation de la colossale dette grecque, le gouvernement luxembourgeois adopte une position purement technocratique, faisant fi des questions pourtant profondément politiques posées par les Grecs.
Car à travers ses revendications, la nouvelle équipe au pouvoir à Athènes interroge la place de l’humain par rapport à l’économie et la finalité de celle-ci : doit-elle être au service de l’intérêt général ou de celui d’intérêts financiers particuliers ?
À l’heure où l’Europe tout entière — et même le président Obama — s’agite autour de l’exigence de Tsipras d’en finir avec le modèle économique imposé par la troïka (FMI, BCE et Commission), le Luxembourg, qui détient plus de 500 millions d’euros de dettes grecques, témoigne d’un silence assourdissant.
> Dans cinq mois, la présidence de l’UE…
Au contraire de nombre de dirigeants européens ayant exprimé ces dix derniers jours leurs opinions, parfois diamétralement opposées. Alors que des pays comme l’Allemagne, la Finlande ou les Pays-Bas semblent déterminés à ne faire aucun cadeau à la Grèce, d’autres comme la France promettent leur assistance et soutien à Athènes, tout en insistant sur l’obligation pour le pays de rembourser ses dettes.
Jean-Claude Juncker a pour sa part compris l’importance d’un débat touchant de près au respect du choix démocratique des électeurs grecs. Bien qu’il se refuse « à tout changer en Europe », le président de la Commission européenne a jugé hier devant le Parlement européen que « l’austérité budgétaire n’est pas une fin en soi. Elle conduit à des dérapages sociaux qui sont malsains et produisent des conséquences nocives en termes de rupture de la cohésion sociale dans nos sociétés ».
Que l’on soit ou non en accord avec lui, il a au moins le mérite de livrer une vision politique qui fait si cruellement défaut au gouvernement luxembourgeois. Une attitude n’augurant rien de bon à cinq mois de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne.
Le pays se trouvera alors au centre du jeu et devra cesser de faire des ronds dans l’eau et dévoiler clairement sa position sur les questions de fond posées par les Grecs.
De notre rédacteur en chef Fabien Grasser