Claude Meisch, le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, vient de publier un livre, Staark Kanner – Eng Häerzenssaach, rédigé en luxembourgeois à partir de notes personnelles prises çà et là depuis quatre ans et demi.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un livre?
Claude Meisch : Je voulais lancer quelques réflexions sur l’éducation, livrer mon expérience de ces dernières années, décrire mes joies et certaines colères aussi, mais je voulais surtout montrer ce qu’il faut faire, selon moi, pour répondre aux défis que pose l’enseignement public au Luxembourg. Autour de l’éducation des enfants, il y a beaucoup d’opinions différentes. Pour ainsi dire, il y a autant de divergences que d’acteurs, entre les parents, les enfants et les enseignants et cela nous a bloqués pendant 20 ou 30 ans parce que chacun trouvait un bon argument pour ne pas changer le système. Nous nous sommes retrouvés finalement avec des programmes scolaires et des méthodes d’apprentissage désuets ou pour le moins décalés par rapport à la réalité et le premier défi consistait à tout moderniser. Puis, le deuxième grand défi sur lequel on discute aussi depuis plusieurs décennies, c’est l’inégalité sociale que j’évoque abondamment dans mon livre.
Il vous tardait de relever ces défis?
Oui, parce que ce sont des problèmes que tout le monde connaissait, des études venaient régulièrement nous les rappeler. Mais nous ne faisions que constater le problème sans jamais y apporter de réponse. J’ai eu envie d’expliquer ce que nous avions fait pour réagir à ces deux constats : d’une part, le besoin de modernisation et d’adaptation et, d’autre part, le besoin d’offrir des chances réelles à tous les enfants afin qu’ils deviennent des enfants forts et résilients, afin surtout qu’ils réussissent leur parcours scolaire et par après leur parcours dans la société luxembourgeoise.
La création des écoles européennes devait-elle revenir au service public?
Oui, clairement. Nous disions avant à une partie des élèves qu’ils n’avaient pas leur place dans l’école publique luxembourgeoise et ils étaient dirigés vers une école privée payante parfois très chère ou vers des établissements en France ou en Belgique. Tout le monde acceptait cette situation, c’est-à-dire de voir 3 000 jeunes du secondaire franchir chaque jour nos frontières pour se rendre au lycée. L’école publique a comme mission d’offrir une formation adéquate adaptée aux besoins de tous les enfants et de haute qualité. On a discuté pendant 30 ans du modèle idéal mais unique de l’école publique au Luxembourg sans prendre en considération la grande variété de profils que présentent les élèves dans notre pays. L’école doit s’adapter aux besoins de l’élève, ce n’est pas à l’élève de s’adapter à un modèle unique, que ce soit le lycée classique ou le lycée technique. Nous avons donc lancé le programme de diversification de l’offre scolaire avec les écoles européennes qui présentent la même diversité que celle que l’on retrouve dans toutes nos communes. Elles connaissent un énorme succès.
Nous ne pouvons plus travailler avec un seul modèle d’école
Quid des lycées traditionnels luxembourgeois et du trilinguisme qu’ils enseignent? Ne sont-ils plus adaptés?
Non, cela ne signifie pas que le lycée traditionnel n’est plus adapté. Nous avons beaucoup investi dans le développement de notre système luxembourgeois, mais il faut reconnaître que nous ne pouvons plus travailler avec un seul modèle d’école. Quant au trilinguisme, nous n’y renonçons pas, en règle générale. Nous savons comment fonctionne la société luxembourgeoise et ce qui fait sa force : le multilinguisme et son ouverture d’esprit sur différents mondes, différentes cultures. Si on ne maîtrise pas plusieurs langues, on est perdu au Luxembourg où les réunions peuvent se tenir indifféremment en trois ou quatre langues.
C’est l’alphabétisation en allemand la coupable?
Non, c’est un modèle figé, unique. Je prends l’exemple d’un adolescent portugais qui débarque au Luxembourg, qui a été alphabétisé en portugais et qui a appris comme première langue étrangère l’anglais. On va lui imposer un lycée où il doit maîtriser trois langues qui lui sont totalement inconnues pour poursuivre son parcours? Il n’a aucune chance. Nous ne voulons rien généraliser, mais nous voulons élargir l’offre publique, raison pour laquelle nous travaillons aujourd’hui sur un programme anglophone pour donner une chance à tous ces jeunes ados et je pense aussi aux jeunes réfugiés à qui j’ai distribué le diplôme de l’examen de première au lycée Michel-Lucius qui dispose de classes anglophones. Ils n’auraient jamais eu un bac au Luxembourg sans cette offre […]
Entretien avec Geneviève Montaigu