Claude Meisch poursuit son programme de diversification de l’offre scolaire tout en travaillant sur un modèle de qualité de l’école traditionnelle.
Les écoles européennes et internationales connaissent un succès qui témoigne de la chance qu’elles représentent pour les élèves gênés par l’alphabétisation en allemand du système traditionnel luxembourgeois qui, selon le ministre, est un système qui a fait ses preuves, un bon modèle, mais pour un certain nombre d’élèves seulement.
C’est bientôt la fin de l’année scolaire et au niveau de l’école fondamentale, les parents dont les enfants redoublent ont déjà été avertis par courrier. La loi les autorise à introduire un recours contre cette décision, mais sont-ils nombreux à le faire ? Le redoublement est-il au contraire un mal utile et nécessaire ?
Premièrement on ne parle plus de redoublement mais de prolongation du cycle au fondamental. Ce n’est pas le premier choix des enseignants qui essaient d’aider les élèves à atteindre les objectifs, les différents socles de compétences prévus pour progresser. Chaque année, un certain nombre d’élèves doivent prolonger leur cycle et je crois que c’est une bonne chose d’avoir cette possibilité. Je sais que des voix s’élèvent pour interdire le redoublement, mais il y a des phases dans l’évolution d’un élève et il peut lui arriver de ne pas être à la hauteur pendant un an ou deux. C’est une chance de revoir certaines matières et d’avoir une meilleure base pour avancer par après. La prolongation de cycle est un phénomène encore très répandu aussi bien au fondamental qu’au secondaire. Des études internationales disent que c’est un moyen qui, en règle générale, n’a pas beaucoup d’effet positif sur l’évolution de l’élève. Il réussit même mieux, parfois, quand on le laisse progresser avec sa classe. Un redoublement peut démotiver un élève aussi. La discussion sur le sujet reste ouverte.
Les cours d’appui pour lesquels le ministère promet toujours plus de moyens ne suffisent pas à réduire les inégalités que l’on observe toujours à l’école fondamentale. Comment aider efficacement les plus vulnérables ?
On a organisé des cours d’appui à deux niveaux. La Summer School d’un côté avec des cours organisés pendant les deux dernières semaines des vacances d’été. On a invité les enseignants à sensibiliser les parents sur cette offre et je crois qu’on peut encore mieux faire cette année-ci. Il y a ensuite l’appui pédagogique, une ressource de 54 heures par année scolaire dont dispose l’enseignant pour donner des cours d’appui à ses élèves ou à des élèves d’autres classes. Il s’agit ici d’un appui intégré dans l’horaire scolaire. Un appui en dehors des cours, le mardi et le jeudi, est proposé de manière facultative et on sait malheureusement qu’il y a des familles que l’on ne parvient pas à toucher. On travaille actuellement sur d’autres pistes avec des moyens digitaux pour offrir des exercices supplémentaires hors des cours. Encore une fois, on sait très bien que des parents y seront indifférents. C’est donc bien à l’intérieur de l’école qu’il faut soigner l’offre de cours d’appui, pendant l’obligation scolaire.
Quel rôle doivent jouer les maisons-relais en matière d’aide aux devoirs alors que des parents culpabilisent de n’avoir pas les compétences pour le remplir ?
Les maisons-relais organisent très souvent l’aide aux devoirs. Ce n’est pas généralisé, c’est vrai, mais des écoles fondamentales, soutenues par les communes, proposent des offres de soutien aux devoirs. On travaille sur une généralisation de l’aide aux devoirs à domicile accessible à tous. C’était une priorité dans le programme gouvernemental mais le dossier a pris du retard à cause de la crise sanitaire. Il y aura une aide aux devoirs gratuite et accessible à tous les élèves. Il faut se baser sur les modèles qui existent, comme dans la maison-relais qui est encore payante aujourd’hui, mais je veux éviter que les parents aient à s’inscrire et à payer les heures d’aide aux devoirs à la maison-relais. Il faut parler de leur gratuité et c’est l’un des prochains chantiers dès que le dossier Covid sera refermé.
Les missions des maisons-relais vont-elles changer ?
Non, il s’agit toujours de soutenir le développement de l’enfant et pas exclusivement son développement scolaire. Sa mission consiste aussi à développer les compétences sociales de l’enfant, sa créativité, sa capacité de travailler en équipe, sa curiosité qui sont les compétences les plus importantes du 21e siècle. Le savoir de l’humanité, lui, est accessible en quelques clics. Il faut aussi veiller à ce que les enfants aient la possibilité de ne rien faire du tout, de se relaxer ou de jouer.
Il faut mobiliser d’autres moyens et travailler avec les familles
Les écoles publiques internationales/européennes sont victimes de leur succès avec des demandes impossibles à satisfaire. Est-ce un modèle pédagogique transposable dans l’école fondamentale luxembourgeoise ?
C’est une des réflexions que nous menons avec les commissions de programmes de l’école fondamentale. Il s’agit d’une tout autre approche de l’apprentissage des langues qui pose tant de problèmes dans notre système trilingue très exigeant et à l’origine de nombreux échecs scolaires touchant surtout les enfants qui ne parlent pas luxembourgeois à la maison. Le modèle traditionnel luxembourgeois est toujours très bien pour un certain nombre d’élèves mais le modèle des classes européennes agréées est mieux pour certains autres. J’aimerais un modèle qui offre des alternatives, où les parents et les élèves ont le choix et ce n’était pas le cas avant. Je ne vais pas supprimer le modèle traditionnel luxembourgeois, on travaille au contraire sur un modèle de qualité de l’école traditionnelle tout en sachant que pour certains élèves il reste très ambitieux. C’est la raison pour laquelle nous avons multiplié les classes anglophones et francophones dans les lycées également.
Quel sera alors le futur modèle de l’école traditionnelle luxembourgeoise ?
J’ai lancé un processus de dialogue et de consultation autour du plan d’étude de l’école traditionnelle luxembourgeoise. La question se pose s’il ne faudrait pas donner davantage de choix pour l’usage d’une langue principale. J’espère que l’on pourra conclure ce dialogue avant la fin de cette législature et que le prochain gouvernement pourra commencer à travailler avec un nouveau modèle. Je tiens à souligner que l’école traditionnelle a fait ses preuves, c’était un très bon modèle pour un très grand nombre d’élèves. Mais il y a un besoin pour l’enfant de dix ans qui débarque au Luxembourg qui ne peut pas intégrer ce modèle. Il doit avoir des chances réelles de réussir dans notre système scolaire.
Quelles sont les prochaines écoles européennes à sortir de terre ?
La cinquième école européenne publique s’installera à Mersch. Elle accueillera dans un premier temps les élèves du secondaire. Le primaire, une maison-relais ainsi qu’un internat suivront en 2022. À Mondorf-les-Bains, la structure provisoire est agrandie en attendant la construction du bâtiment définitif. Nous attendons toujours que le projet soit débloqué car il y a toujours un problème avec des propriétaires qui ne veulent pas vendre leurs terrains. L’école européenne de Luxembourg ouvrira ses portes en septembre 2022, à Cessange pour le primaire et au Geesseknäppchen pour le secondaire. Le site définitif sera localisé à terme au Limpertsberg, vers la fin des années 2020. Les écoles européennes sont une alternative réaliste, et c’est inédit que l’État ouvre des classes primaires, une compétence réservée aux communes. Finalement, je suis d’avis que si ce succès devait s’amplifier, ce dont je suis sûr vu la pression existante, les prochains gouvernements devront investir dans ce modèle d’école.
L’étude présentée récemment sur le bien-être et la santé des jeunes montre que le public issu de l’immigration est toujours celui qui est le plus touché par un certain mal-être…
Cette étude montre avant tout que les jeunes sont plutôt satisfaits de leur situation mais encore une fois, une certaine catégorie de jeunes issus de familles défavorisés se sentent moins à l’aise. La question est de savoir si ce mal-être vient du fait qu’ils ne réussissent pas à l’école ou s’ils sont en situation d’échec à cause d’un mal-être aux origines familiales. On a beaucoup investi pour aider les enfants les plus vulnérables mais il faut faire un pas supplémentaire et intégrer toutes les aides destinées plutôt aux familles.
De quelle manière ?
Il y a par exemple toutes les aides mises à disposition par l’Office national de l’Enfance, l’ONE, qui propose un encadrement de la famille. Souvent, on constate les symptômes de mal-être à l’école mais celle-ci n’a pas les moyens d’y répondre car la source n’est pas forcément l’école. Donc il faut mobiliser d’autres moyens et travailler avec les familles. C’est pour cela que j’ai décidé de régionaliser l’ONE pour les rapprocher des directions régionales de l’école. Si un enfant a des troubles du comportement, il ne faut pas exclusivement travailler avec l’enfant, ce qu’on a fait jusqu’à présent, mais intégrer les familles dans cet exercice. Une deuxième piste sur laquelle on travaille concerne la relation école-parent, le soutien et le conseil aux parents.
Un travail en réseau qui n’existait pas auparavant ?
On veut donner des ressources supplémentaires aux directions régionales des écoles fondamentales pour qu’elles mettent en place des programmes dans ce sens, avec l’école, avec les parents, avec les professionnels de la maison-relais. Il faut créer ces rencontres importantes pour avoir une vue globale sur l’enfant. Trop longtemps, chacun faisait son job de son côté, sans vouloir empiéter sur les compétences des autres, mais si l’on veut aider cette population scolaire vulnérable, il faut travailler en réseau et centraliser toutes les ressources pour lui venir en aide.
Entretien avec Geneviève Montaigu