La lutte contre les inégalités sociales a constitué, ce mercredi à la Chambre, un des grands points de discorde entre majorité et opposition. CSV, ADR, déi Lénk et Parti pirate rejettent le budget de l’État.
Les quatre partis de l’opposition étaient d’accord, hier, sur deux points. Avec un paradoxe à la clé. De un, le travail du ministre des Finances sortant, Pierre Gramegna, a été loué. De deux, le même ministre, et avec lui, l’ensemble du gouvernement, a subi de lourdes critiques. L’État-providence défendu mardi par le rapporteur du budget, Dan Biancalana, présenterait toujours trop de failles pour venir en aide aux ménages les plus démunis.
Les syndicats OGBL, LCGB et CGFP avaient dressé le même constat, lundi, lors de la tripartite, qui s’est soldée par un profond désaccord sur le soutien par l’État du pouvoir d’achat. «J’entends souvent qu’il faut s’activer encore davantage pour renforcer le pouvoir d’achat. Il me semble toutefois que l’on a tendance à oublier ce qui a été fait ces dernières années pour augmenter de façon substantielle et durable ce même pouvoir d’achat», est venu riposter le ministre des Finances, hier, devant la Chambre des députés.
Il renvoie vers la réforme fiscale de 2017 qui figurerait parmi «les plus sociales jamais connues» au Luxembourg. Le crédit d’impôt, introduit dans bon nombre de domaines, aurait permis de soulager les ménages qui sont le plus dans le besoin. «Le Statec avait estimé en 2017 que les ménages allaient pouvoir être soulagés de 425 millions d’euros. Jusqu’en 2020, ce montant est passé à 570 millions d’euros», avance Pierre Gramegna.
La guerre des chiffres
Le ministre libéral, qui va rendre son tablier dans le courant janvier, met aussi en avant toutes les mesures matérielles et pécuniaires prises par le gouvernement (lire ci-contre). Selon les calculs présentés hier, un ménage monoparental touchant le salaire social minimum qualifié et comptant un enfant peut, depuis 2017, compter sur un pouvoir d’achat supplémentaire de 10 000 euros par an. Ce montant passe à 16 000 euros pour une famille avec enfants. Un célibataire gagne 4 000 euros en pouvoir d’achat.
Le calcul et les chiffres avancés par l’opposition parlementaire sont moins optimistes. Gilles Roth évoque le nombre important de ménages qui ne réussissent plus à joindre les deux bouts. Il cite la fondation Idea qui estime que 27 % des célibataires connaissent des difficultés financières. Ce taux augmente à 33 % pour un parent monoparental et même à 58,7 % des ménages comptant plusieurs enfants. «Il s’agit d’une politique financière ratée», martèle le co-chef de fraction du CSV.
Nathalie Oberweis rappelle que le risque de pauvreté guette 17 % de la population, ce qui équivaut à 125 000 citoyens. Parmi les monoparentaux, 40 % sont menacés de pauvreté. «Cette situation est inacceptable. L’objectif de ce riche pays qu’est le Luxembourg est de se rapprocher au plus vite de 0 % de personne risquant de tomber dans la pauvreté», souligne l’élue de déi Lénk. «Depuis 2005, la pauvreté ne cesse d’augmenter en dépit du fait que des milliards d’euros ont été dépensés. Le mécanisme de redistribution est toujours défaillant», juge Sven Clement (Parti pirate).
Pour l’ADR, il est urgent d’augmenter toutes les allocations familiales (+10 % plaide déi Lénk) et de défiscaliser le salaire social minimum. L’adaptation des barèmes d’imposition à l’inflation est une revendication qui revient également chez le CSV. Les pirates espèrent que la revendication du LSAP de revoir les barèmes permettant aux ménages de toucher l’allocation de vie chère soient étendus au plus vite.
Des mesures spécifiques pour soulager et soutenir les monoparentaux, les familles nombreuses, mais aussi les veufs, figurent parmi les autres revendications émanant de l’opposition parlementaire.
L’absence de réforme fiscale est fustigée
Tous déplorent que la seconde réforme fiscale du gouvernement Bettel ait été reportée sine die. L’absence de marge financière ne doit pas éviter des adaptations ponctuelles du système d’imposition. Pour déi Lénk, cela serait toujours insuffisant. «Il faut constater que ce budget n’est pas à la hauteur des défis qui se posent au pays», fustige Nathalie Oberweis.
Sans surprise, les quatre partis de l’opposition ne vont pas offrir de cadeau d’adieu à Pierre Gramegna. CSV, ADR, déi Lénk et Parti pirate vont voter ce matin contre le budget de l’État 2022, qui sera donc adopté par les seules 31 voix de la majorité.
David Marques
Pouvoir d’achat : le calcul
de Pierre Gramegna
Le ministre des Finances a dressé, hier, une longue liste des mesures matérielles et pécuniaires pour renforcer le pouvoir d’achat des ménages. Depuis 2016, une enveloppe d’un milliard d’euros par an aurait été débloquée. Voici un aperçu sommaire :
ENFANTS L’introduction de la gratuité des livres scolaires représente une épargne de 300 euros par enfant. S’y ajoutent les 20 heures de prise en charge gratuites dans les crèches, ce qui équivaut à une épargne de 5 500 euros par an et par enfant.
REPAS GRATUITS L’introduction, dès septembre 2022, de la gratuité des repas dans les cantines scolaires peut représenter une épargne de 1 000 euros par enfant.
TRANSPORT PUBLIC Avec la gratuité des transports publics, l’épargne potentielle est de 500 euros pour un ménage avec enfants.
SALAIRE MINIMUM Au 1er janvier de cette année, le salaire social minimum (SSM) et le Revis (revenu minimum garanti) ont été augmentés de 2,8 %. Avec les tranches indiciaires versées depuis 2018, le SSM est passé de 2 048,54 euros en 2018 à 2 256,95 euros en octobre 2021, soit une hausse de 10 %. Le SSM qualifié est, lui, passé de 2 458,25 euros à 2 708,35 euros. Il est à rappeler que les 100 euros d’augmentation actés en 2019 sont inclus dans ce calcul.
ALLOCATIONS L’allocation de vie chère a été doublée en 2020, augmentée de 10 % début 2021 et sera encore revalorisée de 200 euros en 2022. La réindexation rétroactive des allocations familiales constitue un autre coup de pouce.