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Luxembourg : «N’ayez pas peur de voir un médecin»


Le ministère de la Santé s'est mis à dos une partie des médecins, suite à la circulaire sur l'activité considérée comme urgente ou non dans les cabinets (Photo : Julien Garroy).

La querelle sur la reprise de l’activité dans les cabinets risque de semer encore un peu plus le trouble dans les esprits à l’heure où les généralistes se demandent où sont passés les malades. La ministre lance un appel.

L’heure est aux remerciements et ceux adressés au corps médical retentissent d’ailleurs tous les soirs aux quatre coins de la planète sur le coup de 20 h. La ministre de la Santé et le Premier ministre sont les premiers à lui exprimer reconnaissance et encouragements à chaque point presse. Et voilà qu’une circulaire déclenche une polémique dont Paulette Lenert se serait bien passée, car jusque-là tout se passait bien. «Tout se déroulait normalement pour organiser le déconfinement», nous assure la ministre, qui n’a pas envie d’alimenter la polémique.

Cette circulaire a été rédigée à la suite de nombreuses plaintes de médecins dénonçant des confrères qui ne respecteraient pas les termes du règlement en vigueur pendant la crise sanitaire réduisant l’activité des cabinets médicaux et médico-dentaires aux cas d’urgence. Le détartrage des dents et autres injections de Botox n’étant pas considérés comme des actes absolument nécessaires, la direction de la Santé a cru bon d’envoyer un rappel à l’ordre général qui a été bien mal reçu.
C’est surtout la menace d’envoyer des agents contrôleurs assermentés officiers de police judiciaire qui a fait tiquer l’Association des médecins et médecins-dentistes. La circulaire rédigée selon le modèle de la lettre-type a fait des ravages comme peut le faire un tel courrier envoyé dans de malheureuses circonstances.

«Tout le monde est sur les nerfs»

«Il y a de grosses pressions sur la direction de la Santé», affirme la ministre qui, une fois de plus, dit avoir conscience des efforts fournis par les médecins actuellement. «Tout le monde est sur les nerfs, je peux le comprendre», ajoute Paulette Lenert.
Toute la profession s’est sentie visée alors que quelques rares professionnels sont concernés par les abus dénoncés. Bien pire encore, le message risque de mal passer auprès des patients. Et le message de la ministre est clair : «N’ayez pas peur de voir un médecin. Les personnes malades doivent consulter leur généraliste qui est là pour déterminer l’urgence de la situation.» Dans tous les cas, il faut l’appeler et convenir avec lui d’un rendez-vous au cabinet ou par téléphone ou par vidéo. «Pour l’instant, nous discutons du déconfinement, mais, en attendant, le règlement est toujours en vigueur», rappelle sobrement la ministre en soulignant que la grande majorité des médecins le respectaient.

«Le directeur de la Santé se met à dos ceux qui se sont investis depuis le début pour lutter contre cette crise!», reproche vertement un généraliste de la capitale, installé avec d’autres d’associés dans un cabinet de groupe. Alors qu’il encense la ministre Paulette Lenert pour sa gestion du dossier, il regrette qu’une telle lettre du directeur de la Santé puisse l’éclabousser. «Si une poignée de médecins ne se tiennent pas aux règles, il faut aller les voir et leur dire d’arrêter de déconner, mais on n’envoie pas une circulaire que tous les médecins ont reçue comme une claque en pleine figure!», ajoute le généraliste sans décolérer.
Les médecins redoutent l’arrivée d’une deuxième vague qui n’aura rien à voir avec le Covid-19 mais qui en sera une des conséquences. «Nous aurons de nombreux décès dus à des pathologies courantes, car la population est sous-traitée depuis des semaines», dit-il. Il s’attend même à un «tsunami de surmortalité», parce que les gens n’osent plus aller à l’hôpital et ils craignent tout autant de mettre un pied dans un des quatre centres de soins avancés.
Il livre des chiffres effrayants. Son cabinet de groupe accueille en temps normal quelque 300 patients par jour et seuls 6 à 8 patients s’y rendent encore aujourd’hui. Le reste se fait par télé- ou vidéoconsultations et le tout représente 30 % de la fréquentation d’avant-crise. «Nous avons normalement quatre AVC par jour en moyenne dans le pays, les hôpitaux en voient deux, donc où sont les deux autres?», questionne le médecin.

«On ne parlera pas des centaines de morts à côté»

«Nous créons des pathologies par négligence et insuffisance de prise en charge», accuse-t-il en citant l’exemple d’un patient qui a failli mourir d’une septicémie chez lui alors qu’il n’osait pas déranger son médecin. «On parle des 70 morts du Covid-19, mais on ne parlera pas des centaines de morts à côté», prévient le docteur.
Les centres de soins avancés n’ont pas remplacé les visites chez le généraliste. «Quelques personnes s’y rendent, mais elles ne sont pas nombreuses, à tel point que le centre de Grevenmacher va sans doute fermer. Alors où sont les patients?», interroge le médecin.
Les cabinets libéraux reçoivent encore 30 % de patients, les consultations en ligne ne marchent pas du tonnerre, alors les généralistes s’inquiètent du déficit actuel de la prise en charge des malades.
Ils ne s’attendaient pas à une circulaire qui vienne semer encore davantage le trouble dans les esprits. «C’était le mauvais contenu et le mauvais ton», conclut le médecin que nous avons consulté.

Geneviève Montaigu

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