L’apport du couvre-feu pour endiguer la propagation du coronavirus continue à diviser le Grand-Duché. Entretemps, des études scientifiques concluent que cette mesure liberticide a sa raison d’être.
Le vice-Premier ministre François Bausch (déi gréng) a récemment qualifié le confinement de «mesure venue du Moyen Âge» pour endiguer une épidémie. Un an après l’apparition du Covid-19, des «solutions plus intelligentes» devraient pouvoir être mises en place, poursuit François Bausch. Le couvre-feu est, lui, une mesure de guerre et demeure le principal point de discorde du modèle luxembourgeois pour combattre le coronavirus. Le fait que les résidents grand-ducaux bénéficient jusqu’à ce jour de bien plus de libertés que bon nombre de leurs voisins européens ne suffit pas à l’opposition parlementaire pour accepter la mesure liberticide qu’est le couvre-feu.
Depuis le 29 octobre, la libre circulation sur la voie publique est interdite entre 23 h et 6 h, une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. «Il s’agit de la première liberté fondamentale à rendre aux citoyens. Le couvre-feu ne fonctionne pas et n’est plus à tolérer», martèle le député David Wagner (déi Lénk). Il cite l’exemple de la France où le couvre-feu, effectif dès 18 h, n’aurait permis aucune baisse des chiffres d’infections. «La nécessité et la proportionnalité du couvre-feu ne sont plus données. Il s’agit uniquement d’activisme politique sans réel apport», fustige de son côté Claude Wiseler (CSV). ADR et Parti pirate restent aussi vent debout contre le couvre-feu nocturne.
Les élus de l’opposition ne cessent de renvoyer vers l’absence d’études fiables prouvant l’apport réel de cette «grave atteinte» aux libertés individuelles. Dans un premier temps, il faut constater que depuis la forte limitation des rassemblements en privé (2 convives maximum) et le couvre-feu, instaurés fin octobre, les infections ont fortement baissé. La fermeture des cafés et restaurants ou celle momentanée de la culture et du sport ont également contribué à faire infléchir la courbe. «Le couvre-feu fait partie d’un ensemble de mesures qui ont produit leurs effets. Il est difficile d’évaluer l’apport spécifique de l’une ou l’autre mesure», a déjà expliqué à plusieurs reprises la ministre de la Santé, Paulette Lenert.
«L’objectif est que les gens limitent leurs contacts»
Ce constat est partagé par bon nombre de scientifiques, cités notamment le 8 mars dans les colonnes de nos confrères belges du Soir. «C’est très difficile de mesurer quoi que ce soit parce qu’il y a plusieurs dynamiques concomitantes : les mesures de restriction, le comportement des gens, l’impact du variant ou de la vaccination», évoque ainsi l’épidémiologiste et biostatisticienne Catherine Hill (université Paris-Sud). «Fondamentalement, on ne sait pas s’il est efficace puisqu’il fait partie d’un package. Mais il contribue à diminuer des interactions sociales», ajoute le professeur de santé publique Yves Coppieters (université libre de Bruxelles).
La clé pour pouvoir mieux juger si le couvre-feu est un coup d’épée dans l’eau ou un véritable extincteur réside dans son efficacité pour réduire les contacts sociaux. «Ce n’est pas très compliqué : plus vous croisez de gens, plus vous augmentez les risques de contracter le virus et de le propager ensuite. L’objectif du couvre-feu est d’empêcher que les gens sortent et de limiter leurs contacts», reprend Catherine Hill.
Georges Engel (LSAP) rappelle dans ce contexte les récents débordements nocturnes au parc des Trois-Glands à Luxembourg. «Le couvre-feu est certes une lourde entrave aux libertés fondamentales. Mais il s’agit d’une mesure incontournable pour limiter les contacts en privé, là où la police ne peut pas intervenir», argumente l’élu socialiste. «Le couvre-feu peut être une mesure valable, mais pas dans l’état actuel des choses avec l’ensemble des autres restrictions en place», rétorque Claude Wiseler en citant la fermeture de l’Horeca, les interdictions de rassemblement ou encore l’interdiction de consommer de l’alcool sur la voie publique. «Il nous faut renforcer les contrôles», insiste Claude Wiseler. Le couvre-feu n’est cependant plus cautionné par un CSV pourtant favorable à la mesure lors de son introduction fin octobre.
La taux de reproduction baisse de 13 %
Une frange de scientifiques dispose toutefois d’éléments pour jouer les arbitres dans ce débat virulent. La semaine dernière, Gilles Baum (DP) est venu citer une étude de l’université d’Oxford (lire ci-contre) qui démontre que le couvre-feu a sa raison d’être. Son apport est qualifié de «modéré, mais de statistiquement significatif» par les auteurs de l’étude européenne. Se basant sur les données récoltées dans sept pays et 114 régions, les chercheurs concluent que le couvre-feu peut en moyenne réduire le nombre de reproduction du Covid de 13 %. La même étude analyse l’efficacité d’autres restrictions (lire par ailleurs). Sven Clement (Parti pirate) ne se dit cependant pas convaincu : «L’apport varie entre 6 et 20 %. Vu le caractère libéral du couvre-feu au Luxembourg, il est probable que son impact sur le taux de reproduction approche plutôt les 6 %. Cela est-il suffisant pour imposer une mesure si liberticide?», s’interroge l’élu.
Une autre étude parue dans la revue Nature Human Behaviour, bien plus exhaustive que celle de l’université d’Oxford, confirme elle aussi l’apport positif du couvre-feu. «Des restrictions individuelles de déplacement (couvre-feu, interdiction des rassemblements et des déplacements non essentiels) figurent parmi les mesures les plus efficaces», peut-on lire dans les conclusions de cette étude.
Le Luxembourg fait-il donc vraiment fausse route? Selon une étude de l’université Humboldt de Berlin, seuls 12,3 % des déplacements ont lieu entre 20 h et 6 h. Faut-il dès lors décréter un couvre-feu? «C’est finalement aux autorités de prendre la décision et d’assumer les conséquences», estime l’épidémiologiste Niko Speybroek (université catholique de Louvain). Au Grand-Duché, le gouvernement et les 31 élus de la majorité parlementaire continuent de défendre l’apport du couvre-feu dans l’endiguement de la propagation du virus. Une réévaluation est attendue pour le 25 avril au plus tard, date d’échéance de la loi Covid en vigueur.
David Marques
Un guide dans le brouillard
L’étude Understanding the effectiveness of government interventions in Europe’s second wave of Covid-19 (Comprendre l’efficacité des interventions gouvernementales en Europe lors de la deuxième vague de Covid-19) a été réalisée par plus de 20 chercheurs européens, dont une grande majorité est installée à l’université d’Oxford. Ils ont analysé les données issues de sept pays (Autriche, République tchèque, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Pays-Bas et Suisse). La recherche a porté plus particulièrement sur la propagation du virus dans 114 régions, dont des villes telles que Manchester, Zurich, Genève, Vienne, Prague, mais aussi la vallée d’Aoste ou la province du Brabant-du-Nord.
L’étude a porté sur des données collectées entre le 1er août 2020 et le 9 janvier 2021.
Comme toute étude, cette publication scientifique connaît des limites, comme le soulignent les auteurs : «Nos résultats constituent un point de départ pour contrôler efficacement les infections tout en minimisant les préjudices sociaux et économiques.» Dans les conclusions, ils ajoutent qu’«aucune estimation sur l’efficacité d’une restriction ne peut s’appliquer à toutes les régions. Par conséquent, nos estimations doivent être combinées avec des avis d’experts pour les ajuster
aux circonstances locales et contemporaines.»
Pour savoir e que dit la science sur le sujet, lire les papiers de John Ioannidis, chercheur à Stanford qui a montré de façon indiscutable que le couvre-feu, tout comme le confinement, n’ont aucun effet sur la propagation du virus.
Le seul but de ces mesures, surtout en France est de mettre le maximum de PV à 135€ pour remplir des caisses désespérément vides.