Bernard Weber est à la tête des Laboratoires réunis de Luxembourg, en charge des deux campagnes successives de dépistage massif du Covid-19. Selon lui, le pic de la deuxième vague n’est pas encore atteint et il en appelle au respect des mesures sanitaires et de distanciation sociale.
Comment les laboratoires que vous dirigez ont-ils réagi quand la pandémie s’est abattue sur le pays? Avez-vous connu un petit moment de panique?
Bernard Weber : Non, nous avons dû nous réorganiser mais nous n’avons pas paniqué puisque nous étions déjà bien équipés au départ. Nous avons un département de biologie moléculaire depuis une vingtaine d’années, nous étions très innovants et nous avions même fondé fin 2007 une société de biotech „Fast Track Diagnostics“, rachetée par Siemens dix ans plus tard. Nous avions du personnel qualifié et nous étions rapidement en mesure d’augmenter notre capacité de production, ce qui nous a permis d’ouvrir des drive-in, ce qui était la meilleure solution pour séparer les flux. Au début de la pandémie, en mars, nous pouvions tester jusqu’à 1 500 personnes par jour, ce qui a fait que le Luxembourg était le pays à avoir le plus grand nombre de tests par habitant.
Sans augmenter vos effectifs ?
Au début, nous n’avons pas eu besoin d’augmenter nos effectifs. Notre staff « recherche et développement » s’est consacré à la pandémie et comme nos activités de prise de sang étaient en chute libre, nous avons pu utiliser nos équipes pour faire les prélèvements. Après la première vague, pour le large scale testing, qui était un grand challenge pour nous, nous avons dû embaucher du personnel. Nous sommes actuellement à 270 personnes, soit une trentaine d’effectifs en plus depuis le début de la pandémie.
Personne n’a vu venir cette deuxième vague, du moins son importance. Va-t-elle encore s’amplifier, selon vous ?
Il y a un risque que la situation puisse s’aggraver davantage. La deuxième vague a été effectivement plus importante qu’on ne l’imaginait, et ce, d’autant plus que nous avons appris à vivre avec ce virus, nous avons eu beaucoup de tests et c’est dommage qu’avec tous les moyens que nous avions à disposition, cette deuxième vague soit aussi importante.
Vous êtes virologue de formation, que pouvez-vous nous dire sur ce virus ?
C’est un virus qui connaît beaucoup de mutations, c’est un des virus les plus variables et donc une personne qui a été infectée une première fois peut l’être une seconde fois. Souvent, la réinfection est passagère et moindre mais nous avons aussi eu des cas où le patient a dû être à nouveau hospitalisé. On ne connaît pas encore le pourcentage, c’est encore trop tôt pour le dire. Tout comme on ne connaît pas encore exactement les séquelles que le virus peut entraîner, notamment au niveau de la récupération de la capacité pulmonaire. Mais il y a un risque d’avoir des séquelles à long terme.
Les connaissances évoluent rapidement
Le discours scientifique n’est pas toujours clair et même parfois contradictoire, ce qui a conduit à un certain relâchement de la vigilance au sein de la population et à l’émergence des „complotistes“ en tout genre…
Il faut dire que les connaissances évoluent rapidement et ce qui était vrai hier, ne l’est plus nécessairement aujourd’hui. Les études peuvent être contradictoires en effet, comme c’est malheureusement souvent le cas. Un groupe de chercheurs scientifiques peut observer un effet qu’un autre groupe ne voit pas, ce n’est pas toujours facile de comparer les données qui ont été recueillies, parce que parfois on confond les pommes et les poires.
Néanmoins, il y a des observations qui sont incontestables. Le Covid-19 est-il un virus dangereux ?
Oui. On connaît maintenant beaucoup de choses sur le diagnostic, à quel moment utiliser tel test et l’interpréter, mais il n’y a pas un jour qui se passe sans que l’on découvre un autre aspect du virus au niveau de la maladie ou des mécanismes d’infection des cellules. Il y a beaucoup de découvertes in vitro et cliniques, mais il faut attendre pour voir à quoi elles vont aboutir dans la pratique quotidienne.
Est-ce encore prématuré d’avancer une date de mise sur le marché d’un vaccin ?
Les premières études cliniques vont être clôturées, tout a été fait de façon accélérée mais on disposera de données. En revanche, on ne connaît pas encore tous les effets secondaires. Selon différentes sources, on aura des vaccins d’ici la fin de l’année mais disponibles en quantités limitées et on ne pourra pas vacciner toute la population dans un premier temps. Cela prendra encore du temps avant de disposer de quantités suffisantes de vaccins et de vacciner les populations cibles. Jusque-là, le virus restera encore un problème majeur de santé publique.
Avez-vous prévu un pic des contaminations ?
C’est difficile à dire. Cela dépend des mesures sanitaires qui seront décidées et du comportement de la population. Le plus important c’est que tout le monde joue le jeu, mais malheureusement ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, contrairement à la première vague, je crois que chacun de nous connaît une personne qui a été testée positive et qui est tombée malade.
La solution radicale serait un second confinement ?
Je crois qu’il faut réduire les contacts sociaux au maximum parce qu’un deuxième confinement serait catastrophique pour l’activité économique. Il est possible de faire ce compromis et j’espère que le Luxembourg va rester sur cette voie. Bien sûr, cela aura pour conséquence de faire baisser le nombre de contaminations parce qu’il faut veiller à contenir le virus afin que les hôpitaux ne soient pas surchargés. La contribution de tout le monde est importante. Il faut se tenir aux règles.
N’est-ce pas un peu frustrant pour vous qui faites tout le travail en amont de constater que le traçage des cas contacts n’arrive pas à suivre ?
Oui, un peu car c’est un appui important. Si on teste beaucoup, il faut arriver à tracer par après. Les gens testés positifs doivent s’isoler d’eux-mêmes et contacter les personnes de leur entourage pour les prévenir. Il faut cette discipline.
Êtes-vous favorable personnellement à une application de traçage numérique ?
C’est une bonne question. Il y a la problématique de la protection des données et le problème est que les applications existantes n’ont pas été très efficaces. C’est un peu dommage car le principe n’est pas mauvais et en cas de dépassement des capacités de traçage, comme c’est le cas actuellement, on aurait encore un plan B pour pouvoir faire un suivi.
Que peut-on dire aujourd’hui au niveau de la fiabilité des tests ?
Beaucoup de doutes se sont aujourd’hui évaporés. Il y a eu pendant plusieurs mois des tests faiblement positifs et il faut un certain seuil pour être contagieux, seuil que l’on ne connaît pas encore aujourd’hui. On parle beaucoup de valeur CT pour „Cycle Threshold“, mais il n’y a pas de standard qui permette de dire à partir de quelle valeur on est sûr de ne pas être contagieux. Les recherches de l’Institut Robert-Koch nous disent qu’en fonction du test qu’on utilise c’est à partir de 31 ou 34 CT que l’on peut estimer qu’une personne est probablement non infectieuse, mais nous n’avons pas assez de données scientifiques pour nous le confirmer. Il faudrait prendre une décision, ce qui nous permettrait aussi de décider si on doit faire un traçage ou non.
Je suis toujours impressionné par les structures de ces minuscules virus
Qu’est-ce qui vous a amené à vous passionner pour les virus ?
Les virus m’ont toujours intrigué par le constat que des agents infectieux de petite taille et contenant peu d’information génétique peuvent causer des maladies graves et générer des pandémies. Ce qui est absolument intéressant, c’est de mettre au point des moyens de diagnostic pour les combattre. Je suis toujours impressionné par les structures de ces minuscules virus. Le coronavirus, à travers un microscope électronique, c’est une très belle image avec sa couronne. Beaucoup de virus ont de belles structures symétriques et c’est intéressant de voir comme ils sont organisés du point de vue de la biologie moléculaire.
Est-ce difficile de trouver les origines d’un virus ? Pour le Covid-19, par exemple ?
On peut retracer l’histoire d’un virus sans être vraiment sûr à 100 %. Dans le cas du Covid-19, les données scientifiques nous ont démontré que le virus était passé de l’animal à l’homme et c’est souvent le cas en Chine. Leurs habitudes alimentaires, la promiscuité des Chinois avec les animaux dans les zones rurales et leur densité de population en font un bon terrain d’incubation pour l’émergence de nouveaux virus. Un virus doit normalement rester cloisonné dans son milieu animal mais peut, par exemple, passer à l’homme qui avance toujours plus dans des territoires non encore explorés comme les jungles.
Vous vous apprêtez à vivre des semaines encore intenses jusqu’à la fin de l’année ?
Oui et cela va continuer l’année prochaine, jusqu’à la fin de l’hiver en espérant avoir des vaccins en mars ou en avril pour les plus vulnérables dans un premier temps. Nous voyons quand même aussi des gens en bonne santé qui ont été infectés et qui ont dû être hospitalisés. Je prends le virus très au sérieux et je me ferai vacciner aussi.
Avez-vous un message à faire passer ?
Je voudrais peut-être revenir sur cette deuxième vague de contaminations qui nous tombe dessus en dépit des gestes barrières imposés et des nombreux tests réalisés. Nous avons eu les premiers cas durant les activités estivales. Les gens sont partis en vacances et n’ont pas nécessairement respecté les mesures. Avec la reprise de l’activité professionnelle et scolaire, le virus s’est propagé. Le message le plus important, c’est de prendre très au sérieux les règles de distanciation sociale et d’hygiène. Il ne faut pas paniquer et pas nécessairement imposer un lockdown, mais il faut que chacun y mette du sien. Je sais que c’est frustrant et particulièrement pour les jeunes.
Entretien avec Geneviève Montaigu