Accueil | Politique-Société | [Liser] Il y a 30 ans, les pauvres «n’existaient pas» au Grand-Duché

[Liser] Il y a 30 ans, les pauvres «n’existaient pas» au Grand-Duché


Le Liser étudie la pauvreté et les conditions de vie des ménages depuis sa création, en 1989 (Photo : Editpress).

Avant 1989, il n’y avait «pas de pauvres au Grand-Duché». Dans le sens où très peu de statistiques étaient disponibles pour quantifier et lutter contre le phénomène. Puis le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser) a éclairé le sujet de ses lumières. Récit d’une aventure humaine incroyable.

Gaston Schaber (Photo : DR).

Gaston Schaber (Photo : DR).

Le buste trône dans l’entrée du Liser à Belval. Un large front, un regard perçant, un élan intellectuel certain : «Gaston Schaber a eu une vie bien remplie, sourit Patrick Bousch, figure historique des lieux. Il a été criminologue, directeur de prison, enseignant à l’université de Liège, directeur de l’école d’instituteurs du Luxembourg… et donc, fondateur de l’ancêtre du Liser.» Patrick Bousch, géographe, est arrivé en 1992, «trois ans après la fondation du Liser». Il en connaît toute l’histoire. Le Liser? Une success story luxembourgeoise, dans le genre petite barque menée jusqu’au sommet.
Au départ, au début des années 1970, il n’y a rien. «Ou plutôt si, reprend Patrick Bousch : l’idée que les pauvres n’existent pas au Luxembourg.» Mais Gaston Schaber, qui fréquente les naufragés de la vie par son métier, sent que le vernis est craquelé. «Gaston réunit des chercheurs et démarche la Commission européenne pour lancer une vaste étude dès 1974. Son projet? Évaluer la pauvreté dans la Grande Région.»

Patrick Bousch (Photo : Claude Lenert).

Patrick Bousch (Photo : Claude Lenert).

La Commission subventionne l’étude et une enquête sur plusieurs milliers de ménages débute. Elle se poursuivra d’année en année : plusieurs ASBL seront créées pour encadrer les chercheurs. Retenons surtout, en 1983, la création du Centre d’études de populations, de pauvreté et de politiques socio-économiques (CEPS). L’effet du travail des équipes est retentissant. L’impact qui va suivre en 1986 est précieux : la création du revenu minimum garanti (RMG).

Les conditions de vie sous toutes les coutures

Fort de cette victoire, le CEPS va occuper d’autres terrains. Avec notamment des enquêtes sur l’évolution du marché du travail et les besoins de recrutement.
En 1989, fort de l’aide précieuse du Premier ministre Jacques Santer, le CEPS devient un véritable centre de recherche et donc… le Liser. «La diversification des projets d’étude devient la règle, explique Patrick Bousch. Nous ajoutons la géographie par exemple, l’étude dans un cadre spatial mieux défini de la pauvreté et du travail. Nous changeons également notre approche : la pauvreté évolue et l’idée de « déprivation » des ménages entre en compte : de quoi suis-je obligé de me priver par rapport à mon niveau de revenu?»
Le Liser a connu bien des évolutions depuis. Il a perdu certaines libertés : c’est désormais le Statec qui pilote les enquêtes sur le marché du travail, par exemple. Il en a gagné d’autres : «Plus qu’un raisonnement département par département, nous favorisons aussi les recherches transversales avec trois lignes fortes : la société digitale, le transfrontalier et les migrations, l’économie de la santé.»
L’esprit pionnier des débuts est toujours présent. Le Liser a su poser de nombreuses balises pour les décideurs, bien avant l’heure. «En 1992, quand Claude Gengler, alors géographe au Liser, explique que le phénomène frontalier va aller crescendo, personne n’y croit, tout le monde répond que c’est temporaire! On voit bien aujourd’hui l’importance des flux (NDLR : 55 000 en 1995 contre 200 000 en 2019) et les défis que cela pose.»
Le Liser a remporté des batailles européennes aussi : son étude de la pauvreté des ménages est devenue un standard obligatoire depuis 2007, pour tous les pays de l’UE (le fameux rapport «Living conditions» d’Eurostat).
Les défis sont immenses aujourd’hui. «On nous demande toujours plus d’impact sociétal, et c’est heureux : le chercheur doit être en phase avec la société. Le problème est que les modèles sociaux changent de plus en plus rapidement, et que des études sérieuses prennent toujours autant de temps.»
Patrick Bousch avoue également, à demi-mot, quelques ratés : «Nous n’avons pas suffisamment mesuré les mauvais côtés du modèle luxembourgeois. Les externalités sont nombreuses, et parfois insidieuses. Quand vous voyez aujourd’hui que des jeunes Luxembourgeois n’arrivent plus à se loger dans leur propre pays… Oui, ça m’interroge.»

Hubert Gamelon

Mission du Liser : «éclairer le pays»

(Photo : Alain Rischard).

Aline Muller (Photo : Alain Rischard).

Trois questions à Aline Muller, directrice du Liser :

• L’ADN du Liser? «Révéler et mettre en lumière des problèmes socioéconomiques parfois ignorés. Proposer des pistes, élargir les champs de vision. Éclairer la société est un objectif louable, surtout dans une époque où les tensions se marquent. Par ailleurs, la société change vite, l’hypertechnologie rend les systèmes plus complexes. L’idée que la science nourrit la société et qu’une synergie s’installe doit prédominer.»
• Le Liser à l’international? « Nous avons intégré différents consortiums qui jouent le même rôle d’éclaireur et de moteur pour l’Europe. Nous participons notamment à une vaste étude sur les besoins en termes de compétences, de mouvements migratoires et de capital humain. Nous lions des liens avec des chercheurs du monde entier, puisque les problématiques sont mondiales désormais.»
• Le Luxembourg, un laboratoire? «Cet aspect compte. Nous attirons par nos spécificités. Les dimensions du pays obligent à beaucoup d’anticipation. Par ailleurs, on peut simuler et prévoir plus facilement des modèles : dans d’autres pays, il s’agirait plutôt d’études à l’échelle d’une région, ce qui est imparfait. Le fait d’être au cœur de l’Europe nous permet de monter à petite échelle des projets de pilotage. Si je reviens à l’étude sur les besoins de compétences, c’est exactement cela : les migrations sont plus cruciales sur un petit territoire… Comment développer, attirer et retenir les talents?»

Pauvreté au Grand-Duché, où en est-on ?

 

liser_pelousoUn des aspects importants des inégalités au Luxembourg, «même s’il est connu», est l’impact du coût du logement sur le bien-être des ménages. Le paramètre est «mal compris». Ce sont évidemment les ménages à plus bas revenu qui sont affectés «le plus dramatiquement» par la hausse des prix du logement. Mais encore faut-il savoir le lire…
L’évolution du taux d’effort (rapport entre le coût du logement et le revenu du ménage) estimé par le Liser pour les familles luxembourgeoises, montre que les ménages du premier cinquième (quintile) dans la distribution des revenus sont «affectés de la façon suivante :
1) Ils ont un taux d’effort croissant et nettement supérieur à celui des autres familles : presque 50 % quand elles ont accès à la propriété par un prêt et supérieur à 40 % pour les locataires.
2) Ils sont le groupe le plus sensible aux chocs macroéconomiques. Par exemple, l’augmentation du pourcentage de locataires lors de la grande crise de 2008, signe d’une faiblesse à obtenir du crédit, a affecté principalement les deux premiers quintiles de la population.
3) L’effet précis de la crise de 2008 sur le bien-être de ces familles n’a pas été exploré à fond, pourtant l’incidence de la déprivation multidimensionnelle (à savoir le nombre des familles qui n’arrivent pas à se procurer quelques-uns des biens de la liste dessous) au Luxembourg a augmenté durant la crise.»
Le chercheur conclut que «le Luxembourg reste pourtant l’un des pays d’Europe les moins exposés au risque de sévère déprivation, c’est-à-dire, les familles qui n’ont pas accès en même temps à plusieurs des biens de la liste.»

La liste comprend :
1. Payer son prêt ou son loyer
2. Payer ses factures de services publics
3. Garder sa maison suffisamment au chaud
4. Pouvoir faire face à des dépenses imprévues
5. Manger régulièrement de la viande ou des protéines
6. Partir en vacances
7. Avoir un téléviseur
8. Avoir une machine à laver le linge
9. Avoir une voiture
10. Avoir un téléphone

Lire aussi : Mobilité, migration, logement, autant de sujets forts au Liser

Action annuelle « E Kaddo fir de Vëlo »

Un commentaire

  1. Raffaelli Hilda

    Ils est grand temps, de mettre à niveau les loyers, on c’est exactement, que une bonne partie , est le problème majeur. Des jeunes, ou des salaire ne sont pas adaptés à la vie du Luxembourg. Nos enfants vont à l’étranger, pour une maison ou appartements , Le Luxembourg à presque 1 vendeur sur 5 maison à vendre , c’est honteux
    Ne nous chantez pas le contraire, ici le riche devient encore plus riche, et le pauvre plus pauvre, on n’a plus la famille du milieux, le Luxembourg placé un pays riche… mais vous devriez avoir, honte ! Merci

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.