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Les riverains du quartier Gare aux élus : «Vous nous avez laissés tomber»


Élus et autorités n’ont réussi à convaincre personne, malgré les chiffres, les mesures annoncées et les justifications. (photo Fabrizio Pizzolante)

Mercredi soir, lors d’une réunion publique à Luxembourg, les riverains de la Gare ont, une nouvelle fois, appelé les autorités à l’aide face à la criminalité qui gangrène leur quartier. Sans grand espoir que ça change.

Cette réunion était attendue, mais les riverains du quartier de la Gare ne s’y trompent plus : aucun des ministres venus les rencontrer ces dernières années – Étienne Schneider en 2018, puis François Bausch et Sam Tanson en 2019 – n’a pu changer quoi que ce soit, selon eux.

C’est donc face à un public chauffé à blanc que la bourgmestre Lydie Polfer entame son préambule : elle insiste sur une situation jugée «inacceptable» à la Gare comme à Bonnevoie, avec la présence jour et nuit de trafiquants de drogue, de toxicomanes et de prostituées, et rappelle que la présence policière dans les faits «n’est pas celle qu’on souhaiterait».

À son tour, le ministre de la Sécurité intérieure, Henri Kox, souligne qu’il est venu écouter les citoyens, avant de leur présenter, en une série de diapositives, son paquet national de mesures préventives et répressives contre la criminalité liée aux stupéfiants. Pas de quoi convaincre la salle, qui ne se montre pas plus enthousiaste face aux chiffres égrenés par le directeur de la Région capitale de la police grand-ducale illustrant le travail de ses agents ces derniers mois.

Dans les rangs du hall omnisports de la rue de Strasbourg, on sent que la lassitude est immense. Désormais, la confiance semble rompue et certains habitants n’hésitent pas à parler de «désespoir» à la tribune.

C’est le cas de Nicolas, qui a apporté avec lui une longue banderole confectionnée avec sa femme et sa fille, sur laquelle on peut lire «Non à la ghettoïsation du quartier de la Gare». Leur façon de protester contre des conditions de vie qui se dégradent d’année en année : «J’habite la rue de Strasbourg depuis 17 ans. On a vu débarquer les dealers, puis les prostituées. On a eu la même réunion il y a deux ans et absolument rien ne s’est passé. Aucun changement.» Quant au gardiennage privé mis en place par la Ville depuis un an : «Un pansement sur un cancer», soupire-t-il, regrettant que sa fille ait peur de faire du vélo dans le quartier.

Au micro, les uns après les autres, les habitants crient leur ras-le-bol face aux élus communaux, au ministre, aux représentants de la police et du parquet. «Nous voilà deux ans après, avec un nouveau ministre, et toujours rien!» L’audience exulte. «Tous les jours, je vois un van déposer des jeunes femmes dans différentes rues du quartier. Pourtant, le code pénal condamne le proxénétisme, on peut donc agir! Et pour le trafic de drogue, qu’on ne nous dise pas que c’est un problème social : ce sont de grosses berlines et des hommes en cravate qui viennent acheter leur dose!»

«C’est à vous tous d’avoir honte !»

«Cela fait 50 ans que j’habite ici», poursuit l’homme, «et je n’avais jamais eu peur. Jusqu’à ce jour de novembre dernier où, au petit matin, un groupe d’hommes était là dans la rue et l’un d’entre eux a frappé une femme violemment au visage. Je suis secouriste. Pourtant, je ne lui ai pas porté secours, parce que j’ai eu peur. J’ai eu si honte de moi! Mais non, ce n’est pas moi qui dois avoir honte, c’est vous monsieur le ministre et vous tous ici. Vous nous avez laissés tomber», murmure-t-il, sous les applaudissements et les cris d’approbation de la salle.

Un autre habitant prend la parole : «Il n’est jamais question du crime organisé, or c’en est. Les mêmes qui conduisent les vans et déposent des prostituées à la Gare gèrent la mendicité des Roms au centre-ville. C’est le crime organisé qui fout en l’air notre quartier!» Le climat se tend. Les arguments et tentatives d’explications de la part des autorités n’y feront rien. Les riverains désabusés se sentent démunis face au défilé de ministres.

Henri Kox tente de se justifier. «En deux ans à ce poste, je ne peux pas tout résoudre. Mais ce que je peux faire, c’est recruter massivement, et je m’y suis engagé», lance-t-il, avant qu’une dame rétorque depuis la salle : «Monsieur Kox, vous vous engagez, oui mais demain, à votre place, ce sera un autre ministre et ce sera reparti pour un tour. On n’en sortira jamais !».

À quelques minutes de la fin de la réunion, un homme s’agace : «Je n’ai rien entendu comme solution ce soir, à part une mesure qui permettra à la police de déloger les squatteurs ou les toxicomanes des entrées des immeubles, mais enfin, est-ce vraiment sérieux ?», demande-t-il.

À la sortie, sans surprise, cette énième rencontre aura suscité bien peu d’espoir de voir les choses bouger. Certains confient même regretter d’être venus : «Tout ça, c’est du bla-bla, on nous prend vraiment pour des idiots. Tout ce qu’il me reste à faire, c’est quitter ce quartier que j’ai aimé pendant 20 ans», confie ce riverain en allumant une cigarette.

Christelle Brucker

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