Psychiatre à Luxembourg, la Dr Sophie Hedo est directrice de la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale qui suit des patients atteints de Diogène, un trouble du comportement complexe
Qu’est-ce que le syndrome de Diogène ?
Dr Sophie Hedo : D’abord, ce n’est pas une maladie en soi. Ce n’est pas non plus un trouble mental, car il n’est pas dans les diagnostics du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM). C’est pour ça qu’on dit que c’est un syndrome, car il y a plusieurs choses qui s’ajoutent. Il y a des gens qui n’ont pas de maladie psychiatrique, mais qui ont un syndrome de Diogène. Il y a une partie de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), mais pas pour tous les patients. On peut plutôt parler de trouble du comportement.
Et chacun peut accumuler des choses différentes, chacun a une histoire avec ce qu’il accumule. Parmi les personnes touchées, il y a notamment des personnes âgées qui ont connu une perte ou, parfois, c’est une expression de la démence. Sinon, il y en a beaucoup qui ont été traumatisés, pour diverses raisons, et qui ont des cassures dans leur parcours de vie.
Le fait de vider une maison comporte-t-il des dangers ?
Oui, clairement. Beaucoup de gens pensent qu’il suffit d’aider à ranger et que ça va aller mieux. C’est faux. Il faut se dire que l’accumulation des choses, c’est souvent une réponse à quelque chose de sous-jacent. Tout vider, c’est un peu comme enlever la coquille d’un escargot. Si ce n’est pas accompagné par un soutien et un travail sur les traumatismes, c’est un danger.
Le pronostic est déjà assez sombre en soi et un rangement, c’est traumatique, ça peut être comme un tremblement de terre. En général, les gens accumulent pour mettre un mur entre eux et le monde extérieur qui est perçu comme menaçant et si on enlève ce mur, c’est comme les mettre à nu. Ça les protège, mais avec tous les risques que ça comporte, certains ont d’énormes problèmes de santé puisqu’ils accumulent aussi la saleté.
Quels conseils donneriez-vous à des proches ?
D’abord, il faut trouver la cause et les accompagner dans la réparation. Il y a l’équipe de déménagement, mais aussi celle du soutien de la personne, celle du suivi. Ça doit être un travail pluridisciplinaire. On peut difficilement soutenir la personne et faire son rangement. La forcer à ranger ne résout pas le problème. Il faut comprendre, mais ça prend du temps.
Et les proches sont, petit à petit, mis à l’écart par la personne. Parce que les proches disent de ranger au début, mais après, ils n’ont plus de contacts. Souvent, ces personnes-là sont seules. C’est pour se protéger et, même s’il peut y avoir un peu de honte chez eux, les gens sont tellement enfermés dedans qu’ils ne se rendent plus compte que ce n’est pas normal.
Après un suivi, les gens vont mieux, mais tout n’est pas sauvé
Alors, comment arrivez-vous à suivre des patients ?
Quand il y a un syndrome de Diogène, souvent ce n’est pas ça qui enclenche le suivi. En général, la personne vient pour demander une aide pour tel ou tel problème et, finalement, quand un suivi à domicile est nécessaire, on se rend compte qu’il y a une accumulation.
Ça arrive de temps en temps qu’un proche vienne nous voir pour nous dire : « Je ne sais plus quoi faire avec mon frère ou ma sœur, qui est enfermé(e) dans son logement ». Là, quand c’est un proche qui fait la demande, c’est beaucoup plus compliqué, puisque, comme le proche, on est confronté à la non-demande des personnes qui ne veulent pas d’aide. Nous ne sommes pas plus armés que la famille pour entrer en contact avec la personne.
Est-ce que vous constatez une augmentation des cas ?
Je n’ai pas de chiffres, donc je ne peux pas dire cela. Je pense que ça a toujours existé, mais c’est très caché. On s’en rend compte lorsque l’on voit déjà le sommet de l’iceberg.
Avec un suivi, est-ce que le syndrome peut disparaître ?
On parle plutôt d’une amélioration. Je pense à un cas récent qui va mieux, mais je sais qu’elle recommence à accumuler dans son nouveau logement. Souvent, quand on lit les articles de psychiatrie, il n’y a pas de bon pronostic pour le syndrome de Diogène.
Après un suivi, les gens vont mieux, mais tout n’est pas sauvé. Ce qui est important, c’est d’arriver à créer le lien avec la personne et ça prend des années de sortir du jugement.