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Post : les facteurs décidés à « maintenir la pression »


Comme l'explique Raymond Juchem, la décision de Post est sans lien avec les revendications du syndicat. (photo Alain Rischard)

Raymond Juchem, président du syndicat des facteurs (Bréifdréieschgewerkschaft), s’est toujours opposé à la suppression des 35 bureaux de poste décidée le 3 décembre dernier par Post Luxembourg. Selon lui, cette situation résulte aussi d’un manque de soutien de ses confrères.

Le Quotidien : D’après Étienne Schneider, la nouvelle stratégie du groupe Post bénéficie d’un large soutien…

Raymond Juchem  : Il faut clairement relativiser les propos du ministre de l’Économie. La revalorisation du rôle des facteurs faisait en effet partie des revendications de notre syndicat, mais il convient de passer en revue les évolutions de ces dernières années. Autrefois, le facteur avait plusieurs fonctions  : aux clients, il versait aussi bien les allocations familiales, les chèques, les retraites, le Fonds national de solidarité, etc., qu’il apportait le courrier de garde et de réexpédition ou des timbres.

Lire aussi : Post Luxembourg annonce la fermeture de 35 bureaux

 

Puis, autour des années 2000, la direction des P&T a décidé de limiter son rôle à la distribution du courrier et des publicités. En 2010 a surgi la problématique des tournées jugées trop vastes, mais le système d’organisation introduit par la suite a été un échec. Depuis que Claude Strasser et Hjoerdis Stahl ont repris la direction, le dialogue a été beaucoup plus ouvert. Il a notamment été question de guichets plus importants, où effectuer une opération peut prendre parfois jusqu’à trois quarts d’heure.

On a donc évoqué la possibilité de revaloriser le rôle des facteurs, en leur réattribuant un certain nombre d’activités qu’ils exerçaient par le passé et de réfléchir en même temps à une alternative pour les guichets. Or tout cela ne permet pas de dire aujourd’hui que la décision de fermer 35 bureaux répond à une demande des facteurs. Ce n’est certainement pas ce qui a été projeté.

Les 35 bureaux représenteraient 5  % de toutes les transactions…

Dans le temps, les facteurs effectuaient une petite tournée le matin, puis ouvraient les relais, en général davantage fréquentés l’après-midi. Les relais désignent les petits bureaux où il n’y a qu’une seule personne. De 44, ils ont été réduits à 19, pour être ensuite remplacés par des relais combinés ouverts pendant une heure environ. À l’époque, nous disions déjà que cela n’avait aucun sens  : le facteur part s’asseoir dans son bureau à Koerich pendant une heure, puis est obligé de rouler trois quarts d’heure pour rejoindre le prochain guichet et ainsi de suite. Et à présent, on nous dit  : des bureaux ouverts pendant une heure, cela ne sert à rien… On peut d’ailleurs se demander si le nombre de transactions ne serait pas plus élevé si les bureaux étaient ouverts plus longtemps.

Le groupe estime les pertes de 25 à 30 millions d’euros par an…

Le réseau « vente » fait partie de Post Courrier, qui n’est pas déficitaire. Les frais du réseau « vente » sont partagés par Post Courrier et Post Finance. Et puis personne ne sera licencié dans le cadre de la fermeture de ces 35 bureaux. Avec la première phase, donc, on ne fera pas d’économie. Cela changera si demain le réseau est plus petit. L’État, en tant que premier actionnaire, s’attend à un dividende à hauteur de 20 à 25  millions par an. Or comme le bénéfice régresse fortement, il y a peut-être un lien avec les récentes décisions…

Vous vous heurtez à la notion de rentabilité…

Les P&T étaient en crise pendant des années. Il y a eu ensuite un programme d’investissement de plus de 200 millions par an. Post fait partie des principaux employeurs du pays. La moitié des personnes qui y travaillent ont le statut de fonctionnaire. En quelque sorte donc, l’autre moitié des salaires (des salariés), nous devons les financer nous-mêmes, à l’inverse des policiers par exemple, qui sont payés par l’État. La situation est différente. La semaine dernière, à la Chambre des députés, quelqu’un a observé qu’en tant qu’entreprise, il faut générer du bénéfice. Évidemment, au vu de la situation actuelle, nous sommes obligés d’investir dans de nouveaux produits. Or pourquoi devrions-nous, en tant que service public, verser tous les ans des dividendes élevés à l’État?

Lire aussi : Fermeture de bureaux de poste : clients déçus et résignés

 

Post dit vouloir améliorer son positionnement. Qu’en pensez-vous?

Avec la fermeture de certains bureaux de poste, dans le nord par exemple, les activités seront reprises par Cactus et la banque Raiffeisen. À l’avenir, vous serez donc obligé de vous rendre dans un supermarché pour envoyer un courrier et de vous déplacer plus loin pour aller retirer de l’argent. Clairement, il ne s’agit donc pas d’un service client optimisé. Évidemment, on vous dira  : il reste toujours le facteur.

Mais comme la plupart des gens travaillent, il faudrait déjà attendre le facteur chez soi pour être sûr de le rencontrer, afin de lui demander de vous apporter de l’argent le lendemain ou déposer un ordre de garde. Car aujourd’hui, il n’a plus rien sur lui et ne pourra donc effectuer votre commande que le jour suivant. Cette offre ne vaut donc que pour certaines régions et s’adresse en premier lieu aux personnes à mobilité réduite.

Quelle est la situation des facteurs sur le terrain, actuellement?

En ce moment, nous gérons 380  tournées par jour, avec plus ou moins 25  % de remplacements pour cause de maladie ou congés. Rien que l’année dernière, nous avons compté 700 doubles tournées. Comme il n’y a plus personne dans les bureaux le matin, ces tournées sont assurées l’après-midi par un groupe de quatre personnes. L’année dernière, cela aura donc concerné 2  800 personnes. Pendant une période calme, comme en été, cela ne pose aucun problème, mais le reste de l’année, il est très difficile d’arriver au bout de notre tâche en l’espace de dix heures seulement. D’où le risque qu’une partie du courrier reste à la traîne.

Ce dossier, vous en avez en quelque sorte hérité…

J’ai été élu président du syndicat des facteurs en mars. J’ai découvert ce dossier il y a trois semaines. En mai, il a été décidé de complètement réorganiser le réseau « vente » sur une période de neuf ans. C’était l’idée de départ  : une réduction lente des bureaux de 2016 à 2019. Puis en juin, il y a eu deux braquages (Junglinster et Niederanven). Une enquête a révélé que la sécurité des bureaux de poste n’était pas optimale. Par conséquent, leur fermeture a été anticipée. Quant à moi, ce n’est qu’en novembre que j’ai commencé à participer aux discussions.

Je réfute donc l’idée selon laquelle, en tant que syndicat représenté au conseil d’administration, j’aurais approuvé la décision de fermer 35  bureaux. Nous avons bien soutenu l’idée d’une fermeture anticipée, dans un de nos communiqués, mais à condition d’attendre le résultat des partenariats avec Cactus et Raiffeisen, dont l’un a débuté en automne et l’autre commencera en février prochain. Il s’agissait pour nous de voir si les clients étaient prêts à emprunter le chemin de Cactus et Raiffeisen. J’avais demandé également qu’on me dise quelles seraient les économies faites sur une durée de 9 ans dans le réseau « vente », mais je n’ai jamais eu de réponse. Or ce sont là des questions qu’il aurait fallu se poser.

La décision a été prise par 14 des 16  membres du conseil d’administration, deux d’entre eux s’étant abstenus…

Lorsque, il y a trois semaines, on a commencé à discuter de la possibilité d’une fermeture anticipée des bureaux, j’ai prié les représentants du personnel du syndicat Post de réfléchir à leur responsabilité dans ce dossier. Je leur ai également expliqué que s’ils ne votaient pas contre, ce serait moi qu’on viserait par la suite et auquel on demanderait des comptes. Je leur ai clairement signifié que je ne payerai pas les pots cassés. Seulement voilà, la décision a été prise et les délégués du personnel feraient bien à présent de réfléchir à pourquoi, au fond, on les laisse siéger au conseil d’administration.

La décision tombe au plus mal pour vous…

En tant que syndicat des facteurs, nous assumerons notre rôle. Il est facile de dire qu’on n’est pas d’accord avec la décision qui a été prise. Mais si j’avais été représenté, j’aurais voté contre ce projet. Car tel est le rôle du syndicaliste. Bien sûr, au sein du conseil, vous êtes confronté à la situation financière de l’entreprise. Il faut peser le pour et le contre. Mais quand des bureaux sont supprimés, je me demande comment on peut ne pas s’y opposer en ayant la conscience tranquille. Pour ma part, je serai confronté à cette décision tout au long des prochaines années, quand bien même je n’étais pas d’accord. Il aurait tout de même fallu que d’autres syndicats représentés votent contre ce projet.

À votre avis, pourquoi ne l’ont-ils pas fait?

Ils ont probablement été mis sous pression. Mais que des délégués du personnel prennent ce genre de décision est difficilement compréhensible pour les gens de terrain. On peut soit dire « oui », soit « non » soit s’abstenir. Personnellement, je pense qu’il faut toujours avoir une opinion. C’est oui ou non. Si on me demande mon avis concernant la télécommunication, domaine que je connais moins bien que les délégués, je ne peux que leur donner raison. Or quand il est question de fermer 35 bureaux et qu’il y a des abstentions, personne ne comprend.

Vous regrettiez aussi le silence du syndicat des communes (Syvicol)?

Le Syvicol vient de prendre position par le biais de Monsieur Eicher, son président. Nous nous félicitons de cette position claire. Emile Eicher a notamment déclaré qu’il excluait de fermer plus de 35 bureaux. En tant que syndicat, nous nous sommes également adressés aux partis politiques en les exhortant d’assumer leurs responsabilités. Mais il faut également que les communes exercent une pression à travers leurs habitants pour obtenir gain de cause, car en général elles ne sont pas d’accord avec la suppression de leur bureau de poste.

Je m’attends à ce que l’une ou l’autre commune conteste la décision prise. Au fond, il n’y a plus maintenant que les médias et les communes pour maintenir une certaine pression afin que le sujet continue d’animer les discussions. On peut se demander si toutes ces décisions ne sont pas prises maintenant pour que le dossier ne soit plus à l’ordre du jour lors des élections communales. Histoire d’en finir avec le sujet en 2016, pour ne plus devoir en reparler en 2017, ce qui risquerait d’influencer le vote des citoyens…

Comment envisagez-vous l’avenir de votre employeur?

Le projet de flexibilisation des services aura abouti en 2025. Les heures d’ouverture seront alors organisées en fonction du client, afin de lui garantir à tout instant tout un tas de services. C’est ce que les gens exigent et c’est le chemin que Post empruntera. En effet, tout va en direction d’une réflexion autour du concept de rentabilité. Avec la concurrence sur le marché, il s’agit de satisfaire la demande du client.

Quel avenir pour la lutte syndicale?

Il est devenu plus compliqué de négocier des contrats collectifs. Le statut du fonctionnaire n’est pas celui du salarié. Le salarié n’a pas les mêmes droits. Le fonctionnaire a une paye sur laquelle il peut toujours compter, alors que pour le salarié c’est plus difficile. Cela entraîne des discussions du genre  : pourquoi devrais-je faire la même chose que toi. La solidarité n’est plus la même qu’autrefois.

Frédéric Braun

«Bréifdréieschgewerkschaft»

Le syndicat des facteurs a été créé en 1909. Il s’agit d’une ASBL professionnelle et autonome au sein de la Confédération générale de la fonction publique (CGFP). Elle compte environ 800 membres, dont les facteurs, mais également des employés issus d’autres domaines d’activité du groupe Post. Le syndicat des facteurs est l’un des huit syndicats qui composent le syndicat Post.

Direction

En avril 2013, Claude Strasser est nommé directeur général de l’entreprise par le ministre de l’Économie et de tutelle, Étienne Schneider. La Poste luxembourgeoise Créée en 1842 en tant qu’administration de l’État luxembourgeois, l’entreprise des postes et télécommunications devient un établissement public en 1992. Son actionnaire unique est l’État luxembourgeois. En 2013, l’entreprise des P&T Luxembourg devient Post Luxembourg et perd le monopole d’un marché que le groupe devra se partager avec d’autres.

Raymond Juchem

Né à Differdange en 1969, il a grandi à Belvaux où il habite toujours. En 1989, il entre aux P&T comme facteur et passera la plus grande partie de sa vie professionnelle à Esch-Sur-Alzette et à Differdange. Il est marié et a deux enfants. Ancien du CS Fola, il succède, en mars 2015, à Eugène Kirsch, qui avait été président du syndicat des facteurs pendant douze ans.

Fermeture de 35 agences sur 97

Le groupe Post Luxembourg a révélé en décembre la fermeture des agences de Arsdorf, Aspelt, Beaufort, Berdorf, Bettendorf, Bissen, Canach, Consdorf, Dalheim, Dippach, Eischen, Eschdorf, Eschsur- Sûre, Garnich, Grosbous, Harlange, Kleinbettingen, Koerich, Kopstal, Lintgen, Luxembourg-Kirchberg, Luxembourg- Monnet, Niederfeulen, Oetrange, Perlé, Remerschen, Roeser, Roodt-sur-Syr, Rosport, Septfontaines, Steinsel, Tétange, Useldange, Wecker et Wilwerwiltz.