L’immense majorité des victimes d’agressions sexuelles ne dénonceraient pas les faits et peu d’affaires aboutissent à une condamnation. Que fait le Luxembourg pour y remédier ?
D’après les chiffres du cabinet de la justice belge rendus publics en octobre dernier, sur les 75 000 faits de violences sexuelles commis chaque année en Belgique à l’encontre des femmes, seuls 8 000 faits d’attentat à la pudeur ou de viol sont déclarés. Quatre-vingt-dix pour cent des victimes ne dénonceraient donc pas les agressions qu’elles ont subies. En outre, une fois la plainte déposée, seules 10 % aboutiraient à une condamnation. Les responsables politiques belges ont en conséquence mis en place un groupe de travail interministériel chargé de lutter contre cette non-dénonciation et de comprendre la raison du faible de taux de condamnation dans ces affaires.
Des chiffres et des mesures qui n’ont pas manqué d’interpeller les députés Mars Di Bartolomeo et Dan Biancalana (LSAP) et les ont poussés à ouvrir une question parlementaire (n° 5224) à l’attention de la ministre de la Justice, Sam Tanson, afin d’avoir un éclairage sur la situation au Luxembourg.
Sans surprise, le Luxembourg ne dispose d’aucune donnée ou estimation concernant la non-dénonciation des violences et abus sexuels, mais seulement les cas rapportés aux autorités. Ainsi, en 2020, 248 plaintes ont été déposées : 104 pour viol et 144 pour attentat à la pudeur. Un chiffre en légère baisse par rapport à 2019 (116 plaintes pour viol et 144 pour attentat à la pudeur) mais bien supérieur à celui de 2018 (76 pour viol, 122 pour attentat à la pudeur).
«Tous les signalements/plaintes/dénonciations en matière de violences et d’abus sexuels qui sont portés à la connaissance des parquets connaissent automatiquement une suite», affirme la ministre dans sa réponse. «Même en cas de suspicion de prescription, des enquêtes sont ordonnées afin de vérifier si la prescription n’a pas été interrompue à un quelconque moment, et afin de donner la parole à la victime.»
Surface émergée de l’iceberg
Mais cela ne conduit effectivement pas toujours à une condamnation. «Le taux des condamnations est inférieur au taux des affaires ouvertes», reconnaît Sam Tanson. Ainsi, par exemple, alors que 161 affaires ont été ouvertes pour attentat à la pudeur sur des personnes majeures en 2020 (dont 105 ont été retenues), il n’y a eu cette même année que 10 inscriptions au casier judiciaire pour attentat à la pudeur, une suspension du prononcé et un acquittement. Des chiffres tout aussi bas concernant les affaires de viols : 105 affaires ouvertes, 70 retenues mais seulement sept inscriptions au casier judiciaire et deux acquittements. Les taux de condamnation sont donc à peu près équivalents à ceux de la Belgique.
Plusieurs explications à cela, justifie Sam Tanson, notamment le délai de traitement de l’affaire par la justice, qui peut-être plus ou moins long en fonction de la complexité de l’affaire ou de la charge de travail des tribunaux (une affaire ouverte en 2020 peut par exemple faire l’objet d’un jugement définitif en 2021 seulement, créant un décalage entre le nombre d’affaires ouvertes et le taux de condamnation sur une même année). «De plus, il y a des affaires qui ne sont pas poursuivies par le parquet, et ainsi certains prévenus n’auront pas de décision définitive par un tribunal voire par la Cour d’appel», ajoute la ministre.
La ministre n’ignore toutefois pas qu’il ne s’agit là que de la surface émergée de l’iceberg. «En tout état de cause, le gouvernement est conscient qu’un chiffre noir relativement important existe.» Pas question donc d’abandonner la sensibilisation du public à ces questions, de continuer à mettre en place des mesures de prévention et d’information de la victime concernant ses droits, prévient-elle.
Et si contrairement à la Belgique le Luxembourg n’a pas créé un groupe de travail interministériel spécifiquement chargé de traiter cette problématique, «de nombreuses collaborations entre les différents acteurs et administrations existent afin de lutter contre les violences sexuelles et leur non-dénonciation (parquets, police grand-ducale, associations, ONG…)», rappelle Sam Tanson. De plus, un Comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence est chargé de «mettre en œuvre la loi du 8 septembre 2003 sur la violence domestique et d’évaluer son application, mais également d’analyser les éventuels dysfonctionnements constatés sur le terrain, d’échanger les bonnes pratiques, et d’étudier les situations de risques».
Tatiana Salvan
Services à la disposition des victimes
Toutes les victimes de violences peuvent être prises en charge par les nombreux services d’assistance existant au Luxembourg en la matière, a rappelé la ministre de la Justice, Sam Tanson. Entre autres : Pro Familia, InfoMann, Femmes et détresse, le Planning familial, l’Office national de l’enfance (ONE), le service Umedo (Unité médico-légale de documentation des violences) / Opferambulanz, le Cepas… Sans oublier les plateformes de la police, Ecpat, Bee Secure, le Service d’accueil et d’information juridique du parquet général de Luxembourg…
La liste complète et les permanences téléphoniques peuvent être consultées sur le site du Centre national de référence pour la promotion de la santé affective et sexuelle (Cesas) sur https://www.cesas.lu/perch/resources/acteurs2020.pdf, ainsi que sur www.violence.lu.
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