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L’école luxembourgeoise comme lieu d’échec


Les enseignants se voient souvent contraints de décevoir les espoirs de parents d'élèves très doués. (photo Isabella Finzi)

Le Syndicat national des enseignants SNE-CGFP a organisé mercredi une table ronde sur les langues à l’école. Pour le système éducatif luxembourgeois, l’intelligence d’un élève compte moins que ses capacités linguistiques. Un modèle à repenser d’urgence.

Comment aller à la rencontre de la richesse linguistique que présente le Luxembourg et comment éviter qu’elle ne se transforme en obstacle dès la première année de scolarisation? Telle était la problématique au cœur d’une table ronde organisée mercredi soir par le Syndicat national des enseignants (SNE) dans ses nouveaux locaux, rue des Ardennes à Luxembourg-Bonnevoie.

Marguerite Krier, chef de service au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, en charge de la scolarisation des enfants étrangers, souhaiterait pour sa part que «les portes de l’école s’ouvrent toujours davantage aux langues parlées à la maison» . D’après elle, les enfants d’origine étrangère scolarisés dans leur langue maternelle sont généralement plus ouverts et leur curiosité plus grande. Ils n’hésiteraient pas non plus à signaler les difficultés qu’ils peuvent rencontrer en cours de route.

Apprendre une autre langue implique généralement de se familiariser avec un alphabet différent, note Pascale Engel de Abreu, psychologue de l’université du Luxembourg, qui a étudié l’apprentissage des langues dans un contexte multilingue. Selon elle, le seul apprentissage du français devrait déjà être accompagné de l’assimilation d’un vocabulaire significatif, sans quoi la langue risque souvent de ne jamais vraiment être maîtrisée par les élèves, qui commencent leur scolarisation en allemand.

Parents déçus, élèves frustrés

Patrick Remakel, président du SNE/CGFP et organisateur de la table ronde, a regretté qu’au Luxembourg le tri des élèves se fasse «au niveau des langues» et que, trop souvent, le seul critère qui décide de l’admission d’un élève en enseignement secondaire classique soit sa maîtrise des langues au programme.

CDP SEW-OGBL & le syndicat national des enseignants SNE-CGFP

«Les élèves étrangers devraient avoir les mêmes chances que les Luxembourgeois», déplore Patrick Remakel, président du SNE-CGFP. (photo archives LQ)

Il y a là «un problème immense», selon Patrick Remakel, qui est souvent contraint de décevoir les espoirs de parents d’élèves très doués. Bien souvent, ils n’auraient alors plus qu’une option, à condition toutefois que leur bourse le leur permette  : scolariser leurs enfants à l’International School de Luxembourg. Comme disait Flaubert  : «L’intelligence a des limites, la bêtise n’en a pas!».

Patrick Remakel, selon qui «les élèves étrangers devraient avoir les mêmes chances que les Luxembourgeois», évoque la frustration des élèves disqualifiés, qui n’auraient d’ailleurs souvent plus aucune motivation.

Une étude récente, que citait Pascale Engel de Abreu, montrerait d’ailleurs que sur 122  élèves, plus de 80  % se disent frustrés par l’apprentissage du français. Or, donne à penser la psychologue, «les langues ne sont pas le fort de tout le monde» .

« Cela n’empêche pas de gagner le Tour de France »

Yola Hild, enseignante en cycle 1, préfère voir les choses d’un autre angle. Selon elle, l’école préscolaire offre plus de temps pour l’apprentissage des langues où l’on travaille surtout à partir d’analogies, avec des exercices de mémorisation, des chansons et des images. D’ailleurs pour elle, le fait qu’un élève n’excelle pas dans toutes les langues que lui demande d’apprendre le système éducatif luxembourgeois ne l’empêcherait pas de «gagner un jour le Tour de France» .

Pour Marguerite Krier, en revanche, l’enseignement de la grammaire ne doit pas primer le progrès scolaire des élèves. Il faudrait bien plutôt diversifier l’offre, introduire un enseignement en langue allemande, anglaise, etc. Mais comme le relevait justement Nicolas Thill, enseignant en régime préparatoire, c’est là une question qui exige de nous que l’on se demande de quel Luxembourg nous voulons… Question qui ne pourra être résolue qu’au niveau politique.

Beaucoup d’enfants portugais parlement mal le portugais

Patrick Remakel demeure d’ailleurs sceptique quant à la possibilité de trouver à l’étranger une solution à cette problématique spécifiquement luxembourgeoise. Pour Pascale Engel de Abreu, il y a beaucoup à attendre de la recherche dans ce domaine. Encore récemment, une étude portant sur plusieurs années, dont le but était d’étudier l’importance de la langue maternelle pour l’apprentissage d’autres langues a révélé que beaucoup d’enfants portugais parlent mal le portugais, simplement parce que leurs parents n’osent pas le parler avec eux, les privant ainsi d’une assise importante pour leur évolution future.

Frédéric Braun

 

2 plusieurs commentaires

  1. Bonjour,

    Je suis heureuse de lire qu’enfin, la problématique de la langue soit prise en considération, et que l’on envisage qu’elle ne soit plus forcément un frein à la progression des enfants et à leur réussite scolaire.

    Mère de 4 enfants, je me souviens que lors de notre arrivée, j’avais voulu apprendre le luxembourgeois pour aider mon fils aîné qui entrait en première année d’études. La réaction de l’échevin m’avait laissé pantoise : « On a autre chose à faire qu’à organiser des cours pour les envahisseurs » !! Il aura fallu faire appel à un professeur particulier qui venait en soutien pour l’apprentissage de la lecture en allemand. Mon fils ayant fait sa maternelle en France, il savait lire, écrire et compter, seuls l’allemand et le luxembourgeois restaient à « surmonter ».

    En 13e, il passe en ce moment même ses examens de fins d’études. Cela n’aura pas été sans mal car un instituteur -dont on se demande bien comment il a pu obtenir le droit d’enseigner en 6e année avec son niveau de français- l’avait orienté en Technique… au grand étonnement des professeurs qui l’ont eu après.

    Le fait que les natifs en viennent à mal parler leur langue maternelle ne peut être – à mon sens – imputé au fait que les parents n’osent pas parler leur langue devant leur enfant. En revanche, lorsque l’on voit la pression mise sur les enfants et – soyons francs – le racisme dans certaines écoles, où les gamins se font tabasser, cracher dessus et autres sous prétexte qu’ils sont Français, Portugais ou autre… on en vient à « comprendre » pourquoi nos enfants refusent de parler leur langue maternelle, salie, raillée, et souvent insultée à l’école, car pas toujours maîtrisée par les enseignants. En effet, je ne compte pas le nombre de fois où j’avais retourné les « Prüfungs » de Français, corrigés aux instituteurs, soit à cause de problèmes d’orthographe, de grammaire, ou de syntaxe.

    Les 3 aînés ont été orientés en Technique, et l’un d’eux a même fini par descendre au Modulaire, totalement démotivé car, lorsque la classe ne comprend pas les cours enseignés en français, les professeurs donnent les explications ou font cours en luxembourgeois et/ou allemand.

    Aujourd’hui, je reprends quasi quotidiennement les 3 plus jeunes, qui ont tous étudié ici, depuis la Spillschoul ou le précoce pour le petit dernier, et qui ont toujours des problèmes avec la construction des phrases et l’emploi des verbes auxiliaires : « Maman, nous sommes finis » au lieu de avons, par exemple.

    • « il a pu obtenir le droit d’enseigner en 6e année avec son niveau de français- l’avait orienté en Technique… ». Il semblerait que pas mal d’instituteurs proviennent eux mêmes du Technique! A vérifier! Mais si c’est le cas, « bon sang ne peut mentir »! C’est du 2e degré évidemment!

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