«Les rois des carnivores» : c’est avec ce titre que The Economist plaçait en 2012 le Luxembourg au sommet mondial des pays consommateurs de viande, soit 136 kg par an et par habitant. Info ou intox?
D’accord, les stands de grillades sont rarement boudés au Luxembourg, mais tout de même, ce «record mondial» est suspect. Ce qui est sûr, c’est que l’appétit grand-ducal pour la viande est bien fondé. Et il n’est pas du goût de tout le monde!
C’est un article qui remonte à 2012 et qui, par la magie des réseaux sociaux, a été partagé il y a quelques jours par un ami. Il était accompagné d’un commentaire narquois sur ce record «pas très surprenant au pays de la mettwurscht».
Remplacez Mettwurscht (saucisse fumée) par Feierstengszalot (salade de viande de bœuf), Rieslingspaschtéit (pâté au riesling), Grillwurscht (saucisse blanche, ancien Thüringer) ou Fierkelsjelli (porcelet en gelée), et vous comprendrez aisément de quoi on parle : de barbaque, saignante ou à point, en gelée ou en sauce, bref, de viande.
Selon cet article publié par le magazine britannique The Economist, le Luxembourg serait en effet «The King of Carnivores», le pays où on mange le plus de viande. Chiffres à l’appui (encadré ci-dessous) : en 2007 (date de référence de l’étude), le Luxembourgeois moyen aurait englouti environ 44 kg de bovin, 45 de porc, 40 de volaille, deux de mouton et de chèvre, et six kilos d’autres viandes diverses. Soit près de 136 kg par habitant et par an. L’équivalent d’un gros steak de 375 g par jour!
Tout de même, enlever ce record aux Américains, ces «kings» du burger, ou encore aux Australiens, «kings» du barbecue, est surprenant. Mais l’article était trop appétissant pour ne pas être relayé par les médias, y compris au Luxembourg. Certains ont néanmoins émis des doutes. Et ils avaient raison.
Et les (vrais) plus gros viandards sont…
Problème : The Economist dit se fonder sur les chiffres de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Or, après moult recherches, impossible de retrouver l’étude à l’origine de cet article.
Nous avons donc contacté la FAO. Réponse d’une responsable de communication du département «production animal et santé» : «L’article publié par The Economist mentionne une source trop vague. Comme vous le savez, la FAO publie des centaines de documents, et sans connaître le titre, je suis incapable de trouver l’étude qui s’y réfère.»
Raté. Nous insistons, et cette fois, un responsable des relations avec la presse nous éclaire : «La FAO ne surveille pas la consommation alimentaire, donc je ne suis pas sûr de ce à quoi cet article fait référence. Ce que la FAO surveille, c’est la « disponibilité alimentaire », c’est-à-dire la quantité de viande ou d’autres produits qui atteignent les consommateurs.»
Ainsi, «la quantité de viande réellement consommée peut être plus faible que la quantité indiquée, selon les pertes de nourritures des ménages durant le stockage, la préparation et la cuisine des aliments…», explique-t-il, en joignant une étude, sourcée cette fois, qui fait état de cette disponibilité alimentaire de la viande, pays par pays.
On découvre ainsi que la disponibilité en viande n’était «que» d’environ 99 kg par an et par habitant en 2011 au Luxembourg. Soit 29 kg de bovin, 42 de porc, 24 de volaille, deux de mouton et chèvre, et autant de viandes diverses. Le Grand-Duché perd ainsi sa couronne, détrôné par l’Argentine (101 kg), les États-Unis (117 kg), l’Australie (121 kg), et au sommet, la Nouvelle-Zélande (126 kg)…
Quid des frontaliers?
De plus, ce chiffre de 99 kg doit être pondéré pour au moins deux raisons. D’abord, parce qu’il s’agit de la disponibilité alimentaire, la quantité de viande mangée par les Luxembourgeois est donc plus faible.
Ensuite, la FAO n’a pas été en mesure de nous expliquer si cette étude prenait en compte la consommation des frontaliers. Or, avec près de 200 000 frontaliers qui travaillent et souvent consomment au Grand-Duché, cette donnée n’est pas à prendre à la légère. Comme le dit avec humour le chef Daniel Rameau ( lire page 3 ), « Oui, on consomme beaucoup de viande, mais ce record de 136 kg est forcément faux. Aussi faux que la statistique qui dit qu’on est les plus gros consommateurs de pastis en Europe. Vous trouvez qu’on en boit beaucoup sur les terrasses? Bien sûr que non. Il y a ce chiffre, parce que les routiers et les frontaliers en achètent (les alcools sont moins chers au Luxembourg) et ramènent ça dans leurs pays! »
Sans oublier que de nombreux Luxembourgeois franchissent eux-aussi la frontière pour aller acheter leur nourriture chez nos voisins, ce qui doit également fausser ce record.
Bref, s’il reste impossible, au regard de toutes ces variables, de quantifier précisément la consommation de viande au Grand-Duché, tout porte à croire que les Luxembourgeois ne sont pas les plus gros viandards du monde. Même s’ils ont un sacré appétit!
Romain Van Dyck
99 KILOS
Selon la FAO, en 2011, les Luxembourgeois ont consommé 29 kg de bovins, 42 de porcs, 24 de volailles, 2 de moutons et chèvres et autant de viandes diverses, soit 99 kg environ.
À L’ÉTROIT
«Pour l’alimentation de sa population, le Luxembourg a besoin actuellement environ du double de sa superficie agricole utilisée, surtout à cause d’une consommation élevée d’aliments d’origine animale (plus de 90 kg de viande par habitant et par an).» (Vu sur le portail du développement durable du Luxembourg).
QUALITÉ MADE IN LUX
La production nationale de viande dépasse depuis plus de vingt ans les normes européennes imposées. D’ailleurs, on compte huit labels de qualité dans le domaine de la production de viande, constate le portail Luxembourg.lu.
BŒUF ET PORC
Les producteurs de viande luxembourgeois sont plus particulièrement spécialisés dans le bœuf et le porc. En 2012, le cheptel bovin comptait quelque 188 500 bêtes, le cheptel porcin 90 000.
UN PETIT BUDGET
En 2012, les dépenses alimentaires représentaient 10,51 % du budget des ménages luxembourgeois.
«KINGS» DU GASPILLAGE
Cent quinze kilos par an et par habitant : c’est le poids du gaspillage alimentaire au Luxembourg. C’est aussi le plus élevé des pays développés, à en croire la FAO. En cause, principalement les consommateurs (42 % du gaspillage), l’industrie alimentaire (39 %), la distribution et la restauration (19 %).
286 200 000 000
Selon la FAO, il se consomme plus de 9 075 kilos de viande chaque seconde dans le monde, soit 286,2 millions de tonnes par an. La consommation de viande par habitant dans le monde est en moyenne de 42 kg/habitant et augmente, surtout dans les pays en développement avec 31,5 kg/hab. Un rapport de la FAO de 2011 conjecture que, entre 2005 et 2050, la demande de viande augmentera de 73 %.