L’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels a rendu son avis sur le projet d’aide à la presse. Elle estime que certains points ont été ignorés.
Depuis l’avènement des réseaux sociaux qui permettent de véhiculer les théories les plus fumeuses, les grands médias ont installé des fact checkers (des vérificateurs de faits) dont la mission consiste à alerter le public sur les fausses informations qui circulent à grande échelle sur internet.
Il n’y a pas que les théories du complot qui occupent ces journalistes-vérificateurs qui s’attachent également à traquer les fausses infos des responsables politiques. Le fact checking est devenu une tâche spécialisée dans les rédactions qui l’ont mis en place. Par les temps qui courent, le travail de vérification ne manque pas et il prend du temps selon la loi de Brandolini ou principe d’asymétrie des idioties (en anglais, bullshit asymmetry principle) qui veut que «la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire».
Ce travail est d’autant plus essentiel en ces temps de pandémie où des affirmations fallacieuses, qui vont à l’encontre des données scientifiques, pullulent sur les réseaux sociaux. Elles sont d’ailleurs souvent relayées par des personnalités publiques qui leur donnent plus de poids encore.
Alors quand l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP) rend son avis sur le projet de loi relatif à l’aide à la presse, elle insiste sur la présence au sein des rédactions de ces fact checkers appelés à se multiplier à l’avenir. Et pas seulement eux. «Les éditeurs engagent également au sein des rédactions des photographes, des caméramans, des web content managers, des social media managers, des fact checkers ou d’autres fonctions hybrides, qui ont vu le jour avec le développement des nouveaux médias », écrit l’ALJP. Le Conseil de presse les reconnaît d’ailleurs comme journalistes professionnels étant donné que la définition livrée dans la loi modifiée du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias dispose que le travail du journaliste professionnel «consiste dans la collecte, l’analyse, le commentaire et le traitement rédactionnel d’informations».
Pourquoi ces précisions ? Parce que l’aide à la presse nouvelle mouture prévoit désormais comme principal critère d’éligibilité pour le calcul de l’aide étatique non plus la quantité de papier imprimée, mais le nombre de journalistes professionnels employés ainsi que divers standards de qualité, de diffusion, de publication et d’accessibilité de l’information à respecter par l’éditeur. L’aide de l’État représente un montant annuel de 30 000 euros par équivalent temps plein de journaliste professionnel.
Or l’ALJP observe que le législateur n’a pas l’intention de prendre en compte pour le calcul de l’aide à l’activité rédactionnelle les journalistes professionnels occupant d’autres fonctions, comme celle de direction ou de fact checker. «Cela risque de scinder la profession en des journalistes plus ou moins valorisés par l’État, alors que tous ces journalistes professionnels contribuent d’une manière plus ou moins directe au travail et à la qualité rédactionnels d’une publication de presse imprimée», relève l’avis.
10 millions d’aides
L’association soutient que le travail rédactionnel est un travail d’équipe entre journalistes professionnels, de sorte que chaque journaliste professionnel affecté d’une manière quelconque à la production de contenu éditorial de la publication de presse devra être valorisé. Sinon, suivant quels critères la commission «Aide à la presse» va-t-elle apprécier quel journaliste professionnel sera pris en compte dans le calcul de l’aide à l’activité rédactionnelle ? «Il va sans dire que ces critères doivent être déterminés par la loi», insiste l’ALJP.
Quant à l’idée des médias grand public à la solde du pouvoir qui les subventionne, l’ALJP rappelle que selon l’étude intitulée «Public Funding of Private Media», qui se réfère aussi aux constats de Reporters sans frontières, les pays avec une forte tradition de subventions de presse sont généralement des pays où la liberté de la presse est fortement installée.
Il faut encore savoir que le Luxembourg prévoit actuellement des subventions à la presse d’un montant annuel total de 8 millions d’euros, ce qui correspond à environ 13 euros par an par habitant. Ce montant devrait atteindre 10,3 millions d’euros et inclure désormais les médias en ligne.