Alors que s’ouvre le mois prochain le procès «LuxLeaks», les lanceurs d’alerte restent insuffisamment protégés par les lois luxembourgeoises et européennes, plaident des responsables d’ONG.
Lors d’un débat organisé la semaine dernière à Luxembourg, des responsables d’ONG ont rappelé que le lancement d’alerte est un «devoir citoyen», mais aussi, hélas, un «droit» qui reste à graver plus fermement dans le marbre législatif.
« Il faut du courage pour être lanceur d’alerte, je peux vous l’assurer», clame Armand Drews, président du Cercle de coopération des ONG. «Je connais une entreprise,
Clearstream, où j’étais à l’époque engagé syndicalement et où il fallait du courage pour dénoncer certaines choses. Des gens ont essayé la discussion en interne, sans succès. Puis en externe, avec les syndicats, mais ça n’a pas marché non plus. Donc il ne restait que la presse.»
Et là, poursuit-il, «la guerre a commencé. Car on est face à des gens qui ont beaucoup d’argent et qui lancent des procès contre tout le monde, même lorsqu’ils savent que c’est perdu d’avance. C’est pourquoi j’ai des doutes quand on dit qu’un lanceur d’alerte peut discuter avec l’employeur. Il manque une vraie assistance juridique pour
l’encourager, et au final, c’est souvent David contre Goliath.»
Car le lanceur d’alerte est généralement une personne ordinaire, affirme Yann Baden, président de Transparency International Luxembourg, qui propose une hotline pour signaler des faits de corruption : «Les gens qui appellent la hotline sont des gens tout à fait ordinaires, et qui pensent qu’il est de leur devoir d’aider la société à avancer. C’est pourquoi ce ne sont ni des coupables ni des héros. Ils font leur devoir civique.»
Et «souvent, ils n’ont pas de connaissance sur le droit ou la nature des faits qu’ils rapportent, et recherchent auprès de nous un conseil». À savoir, que faire de cette information sulfureuse? Qui peut m’aider? Qu’est-ce que je risque? Peu d’appels de dénonciation Mais les lanceurs d’alerte ne se bousculent pas sur la hotline : «Si on élimine les appels farfelus et que l’on garde les faits susceptibles de concerner l’intérêt général, on compte entre 10 et 20 appels par an», compte Yann Baden.
C’est peu, regrette-t-il : «Cela prouve que si la protection des lanceurs d’alerte est importante, il est encore plus important de changer les mentalités, de faire comprendre que sans les gens courageux qui le font, la société n’ira nulle part.»
Alors que va s’ouvrir, le 26 avril prochain, le procès «LuxLeaks», qui mettra notamment en cause les lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Édouard Perrin, beaucoup appellent à l’amélioration du cadre législatif – luxembourgeois et européen – sur les lanceurs d’alerte. «Cela fait un certain temps déjà que l’on demande à ce que la loi luxembourgeoise
actuelle soit modifiée», rappelle Yann Baden.
«Car il n’y a que des bribes de lois qui protègent de façon plus ou moins efficace le lanceur d’alerte. Il faut vraiment établir une définition et un cadre claires, compréhensibles par tous, et pas seulement par ceux qui épluchent des textes de loi», plaide-t-il.
Romain Van Dyck
Comment lancer une alerte ?
L’actuelle loi luxembourgeoise encadrant le lancement d’alerte date de 2011. Elle «prévoit que le lanceur d’alerte doit obligatoirement s’adresser à son employeur ou au parquet, résume Yann Baden. Si le lanceur d’alerte s’adresse à son employeur, il n’y a aucune obligation pour ce dernier de faire quoi que ce soit. S’il s’adresse au parquet, cela dépendra de la nature des faits dénoncés : une simple dénonciation ne requiert pas nécessairement une investigation du parquet, qui peut classer l’affaire purement et simplement. Si
par contre, il y a une dénonciation avec constitution de partie civile, le juge d’instruction qui est saisi de cette dénonciation a l’obligation d’entamer une investigation.»
Le lancement d’une alerte auprès de la hotline de Transparency International Luxembourg se situe donc «en dehors du cadre législatif. Mais on a la possibilité, en cas extrême et en vertu d’une modification du code d’instruction criminelle, de déposer une plainte pénale, en notre nom, sans faire état de l’identité du dénonciateur. On peut aussi, selon le souhait du lanceur d’alerte, voir comment mener l’investigation, mais comme nous appartenons à la société civile, notre pouvoir d’investigation ne peut dépasser celui d’un simple citoyen.»
Hotline : 26 38 99 29. www.transparency.lu