Personne ne connaît les intentions finales de Poutine, mais il est entré en guerre et cela provoque toutes les inquiétudes de la classe politique, à commencer par le Premier ministre.
«C’est une journée triste et noire pour l’Europe.» Le Premier ministre, Xavier Bettel, et l’ensemble de la classe politique affichaient des mines sombres, ce jeudi, quand ils se sont exprimés à la Chambre des députés. C’était quelques heures à peine après le début de l’attaque militaire russe en Ukraine.
L’impensable s’est produit, entraînant le sentiment d’avoir basculé «dans un autre monde», expression souvent utilisée ce jeudi par des responsables politiques groggy. Le Premier ministre avait bousculé l’emploi du temps de tous les membres du gouvernement pour un conseil extraordinaire à l’issue duquel, en fin de matinée, il s’est exprimé face à la presse. Une déclaration seule, sans question acceptée à ce stade.
«La Russie a préféré recourir aux armes, comme le démontre cette agression, alors que les alliés de l’OTAN étaient nombreux à encourager une solution diplomatique», rappelle-t-il sur un ton chargé de regret qui devient plus sévère quand il «condamne massivement» l’intervention russe et la fin unilatérale de l’accord de Minsk décrétée par Poutine.
Xavier Bettel ne s’étend pas davantage sur l’opération militaire en cours et passe en revue le premier paquet de sanctions déjà décidées par l’Union européenne avant même que Poutine n’ordonne l’assaut. L’UE a déjà instauré une limitation des capacités de financement de l’État russe, de son gouvernement et de la Banque centrale. «Il y a aussi des actions dirigées vers des individus ciblés par un gel de leurs avoirs et une interdiction de visa, tout comme une interdiction d’importer des produits issus des républiques séparatistes.»
«Il ne s’agit que d’un premier paquet, ce soir (jeudi soir), nous serons à Bruxelles pour préparer une riposte. L’important est de définir comment se comporter face à la Russie et la rendre responsable de ses actes», a déclaré Xavier Bettel.
L’urgence est de soutenir la population en Ukraine et de lui venir en aide. Xavier Bettel le répète encore devant les députés réunis en plénière dès 14 h. «La priorité est d’obtenir un cessez-le-feu et de prendre des mesures pour protéger les civils.»
«C’est la guerre de Poutine»
Cette attaque militaire russe a été condamnée unanimement par l’ensemble des partis représentés à la Chambre. Sans exception. «C’est une attaque contre la démocratie», s’insurge Claude Wiseler (CSV). Il cite le maire de Kiev alertant sur les intentions réelles de Poutine qui vise à déstabiliser l’Europe. Le député de l’opposition assure de son soutien l’Union européenne, l’OTAN et l’ONU et approuve toutes les sanctions. «Bien sûr qu’une guerre en Europe aura des conséquences pour le Luxembourg», déclare-t-il, mais il pense avant tout «au drame humain» qui se déroule en Ukraine.
«Comment peut-on faire confiance à un tel homme à l’avenir?», interroge Claude Wiseler, qui se fait du souci pour le marché de l’énergie. «C’est une discussion qui peut attendre, aujourd’hui il s’agit de montrer notre solidarité avec le peuple ukrainien», conclut-il. Il faisait référence à l’annonce du Premier ministre concernant une rencontre avec les fournisseurs d’énergie, lundi prochain, pour trouver des réponses à la hausse des prix et protéger les citoyens les plus vulnérables.
Le libéral Gusty Graas abonde dans le même sens quand il souligne clairement que la priorité est «d’éviter les pertes humaines». Il s’inquiète des conséquences du conflit en Europe et s’interroge sur la réaction de l’UE. «Les sanctions devront faire mal à l’économie russe et on les sentira passer aussi», prévient-il. Ce sera sans doute le prix à payer pour répondre à un individu qui parle de «dénazification» de l’Ukraine, preuve pour Gusty Graas que Poutine est «dingue».
À son tour, le socialiste Yves Cruchten condamne sans détour l’agression et l’agresseur «qui est connu». Il déclare que «c’est la guerre de Poutine» et que «la paix de tout un continent est menacée». En plus d’adresser son soutien aux habitants en Ukraine, ils pensent aussi à ceux qui vivent aux Luxembourg et qui ont manifesté quelques heures plus tôt place Clairefontaine.
Face à cette violation sans précédent du droit international, les sanctions doivent être «sévères», insiste aussi le député. Il déposera une motion signée par toutes les composantes du parlement qui invite le gouvernement à condamner fermement cette attaque «non provoquée» et «injustifiée» de l’Ukraine.
«Réveillée dans un autre monde»
Stéphanie Empain avoue s’être «réveillée dans un autre monde». La députée écolo a eu d’abord une pensée pour tous ces parents ukrainiens en habillant ses enfants pour l’école et la crèche. «La paix est fragile, il suffit d’un autocrate pour faire basculer toutes nos valeurs», constate-t-elle amèrement. Elle avoue être animée d’un sentiment mêlé d’irritation et d’incompréhension face à un tel événement qui paraît inimaginable. Elle aussi s’interroge sur les conséquences de cette guerre «sur notre sécurité».
L’intervention de Fernand Kartheiser était très attendue, mais sa signature sur la motion commune déposée quelques instants plus tôt par le socialiste Yves Cruchten semblait indiquer qu’il opterait pour un profil bas.
«Nous ne soutenons aucune propagande, mais nous faisons une analyse de la situation», annonce le député ADR, qui veut encore laisser une place à la diplomatie. Il s’inquiète des suites de cette attaque, des objectifs de Poutine que tout le monde ignore. Pour le moment, il faut «gérer une crise» et «aider les Ukrainiens», souligne encore Fernand Kartheiser.
La même inquiétude est partagée par la députée déi Lénk, Nathalie Oberweis. «On ne connaît pas les objectifs militaires de Poutine. Est-ce qu’il veut seulement les deux provinces ou toute l’Ukraine?», questionne-t-elle sans que personne puisse lui apporter une réponse.
Nathalie Oberweis sera la seule à penser aussi au peuple russe qu’il ne faut pas condamner dans son ensemble à cause des agissements de son dirigeant. «J’espère que les gens feront la différence.»
Faire la différence, c’est aussi ce que souhaite ardemment Sven Clement. Le député pirate se réfère en revanche aux fake news «qu’il est important de vérifier en ces temps de guerre pour ne laisser aucune place à la propagande de Poutine», alerte-t-il. Sven Clement regrette que l’autocrate russe ait décidé «de faire parler les armes et faire mourir des gens». Il veut aussi croire aux vertus d’un dialogue qu’il ne faut pas abandonner, mais il veut dans le même temps montrer à Poutine «qu’on ne peut pas casser unilatéralement les traités».
Le député pirate plaide pour «des sanctions robustes» et rappelle surtout que si des jeunes hommes veulent fuir leur pays en guerre, «ils en ont le droit». Pour vivre mieux ailleurs, et en paix, «comme les Afghans avant eux».