La fermeture des frontières a provoqué un malaise entre les autorités régionales allemandes et le Luxembourg. Après la crise, il faudra recoller les morceaux avec Berlin, mais on s’y emploie déjà au niveau local.
Jean Asselborn, le ministre des Affaires étrangères et européennes, ne décolère pas. Même quelques semaines après la fermeture des frontières au début de la crise du coronavirus qui paralyse la région frontalière, et même après avoir réussi à aménager au mieux la situation en veillant à l’installation de points de passage à la frontière allemande, Jean Asselborn gronde : «Je ne comprends pas pourquoi les Allemands ont fermé la frontière. Je n’ai été ni informé ni concerté.»
Max Hengel, le bourgmestre de Wormeldange, une commune de 2 800 habitants posée juste sur la frontière avec la Rhénanie-Palatinat, voit en temps normal plus de 8 000 véhicules par jour passer le pont pour rejoindre Wincheringen, de l’autre côté de la frontière. «Aujourd’hui, ces mouvements se comptent sur les doigts d’une main. Les premiers jours ont été très difficiles, voir la frontière bouclée a été psychologiquement rude. C’est une erreur plus que symbolique.» D’autant plus que du côté de la frontière franco-luxembourgeoise, «on a respecté Schengen à la lettre, rappelle l’ambassadeur de France au Luxembourg, Bruno Perdu. Les frontières sont soumises à des contrôles dans le cadre des mesures de confinement, mais ouvertes pour la libre circulation des personnes et des marchandises.»
«Si la situation dure, ça va laisser des traces»
Initialement, les autorités allemandes avaient prévu de fermer la frontière avec le Luxembourg du nord au sud. Jean Asselborn est intervenu auprès du président allemand, Walter Steinmeier, pour empêcher cette mesure. Dans la tourmente, le ministre des Affaires étrangères et européennes a pu compter sur un allié de taille pour faire pression sur Berlin. L’ambassadeur d’Allemagne au Luxembourg, Heinrich Kreft, a pesé de tout son poids : «Neuf points de passage entre Dasbourg, dans le nord, et Schengen, au sud, ont pu être aménagés. À Vianden et Dasbourg, nous avons pu établir des passages contrôlés par les douanes luxembourgeoises grâce à l’action commune avec le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, notre ambassade au Grand-Duché et des parlementaires de la Rhénanie-Palatinat.» Même si le système fédéral allemand confère de larges compétences aux Länder, «à la frontière, c’est « Schluss » et c’est Berlin qui commande», rappelle Jean Asselborn. Et de poursuivre : «Nous avons besoin d’une Europe de la solidarité, comme pour l’entraide qui s’installe dans notre région pour contribuer à l’évacuation de cas en insuffisance respiratoire dans le Grand Est. Si cette situation dure, ça va laisser des traces, et ça pourrait nous coûter l’euro.»
Avec la Sarre aussi, il a fallu composer devant le fait accompli, s’adapter et avant tout intervenir à Berlin. Actuellement, seuls deux points de passage sont ouverts à la frontière à Schengen. «Malheureusement, il faut toujours passer par Berlin», constate le ministre des Affaires européennes du Land de Sarre, Peter Strobel : «Nous avons les contacts et les connaissances nécessaires du terrain, ici sur place, et nous savons faire l’entremise avec les ressorts compétents du gouvernement allemand à Berlin, mais ce serait parfois plus efficace de pouvoir procéder directement.»
Peter Strobel pare au plus pressé
Pour Peter Strobel, les enjeux sont clairs : «Les contacts et les relations de confiance que nous avons pu nouer et développer au cours des dernières années ne doivent pas être endommagés par cette crise.» En contact presque quotidien avec la ministre Corinne Cahen, Peter Strobel pare au plus pressé : «Nous avons pu suspendre la règle des 19 jours de télétravail pour les frontaliers qui viennent d’Allemagne, nous sommes pour ce faire intervenus auprès du ministère du Travail à Berlin pour que les négociations avec le ministère luxembourgeois puissent aboutir.»
Les partenaires allemands et luxembourgeois de la région frontalière ne veulent pas en rester là. On s’active en coulisses pour continuer à améliorer la situation au mieux : «Nous voulons parvenir à ouvrir un nouveau point de passage à la frontière germano-luxembourgeoise, confie l’ambassadeur Heinrich Kreft. Nous nous y employons actuellement avec le ministre des Affaires étrangères et européennes Jean Asselborn et le ministre sarrois des Affaires européennes, Peter Strobel.»
Celui-ci rappelle que les Luxembourgeois résidant du côté sarrois doivent respecter les mêmes mesures de confinement que celles qui s’appliquent aux Allemands et que ceux-ci ne sont pas autorisés à se déplacer pour rendre visite à des membres de leur famille. Les règles sont les règles, mais pour ce qui est du bouclage des frontières, Peter Strobel aimerait que certaines nuances importantes soient entendues à Berlin : «Les mesures de confinement sont le meilleur moyen pour freiner la propagation du virus, mais la fermeture des frontières n’est pas le meilleur moyen pour accompagner les mesures de confinement dans notre région.»
Chris Mathieu
Originaire de Forbach j’habite la Bretagne depuis 30 ans mais je me rends tous les ans en Lorraine Sarre lux voir ma famille. Je n’ai jamais connu de frontières depuis les accords de Schengen et cette décision prise par les Allemands, mais pas seulement, va laisser des traces tenaces. Le racisme ordinaire semblait-il avait disparu mais en vérité cette Europe des états nations semble être le vrai frein à l’intégration. Pensez vous un instant que les usa aurait pu fermer les frontières ainsi? La route va être longue, mais le mal est fait et on peut légitimement se demander ce que nous faisons encore ensemble ?