Accueil | Politique-Société | Homophobie au Luxembourg : « Tout va bien tant qu’on ne s’affiche pas » [témoignages]

Homophobie au Luxembourg : « Tout va bien tant qu’on ne s’affiche pas » [témoignages]


Le Luxembourg fait office de havre de paix, mais les LGBT affirment continuer à ne pas s'afficher, comme un réflexe acquis et intégré en tant que comportement «normal». (photo archives Editpress)

Comment se sentent les homosexuels au Luxembourg ? Plutôt bien, à partir du moment où l’on reste discret, nous expliquent quelques membres de la communauté LGBT.

Bien sûr, on est loin de la Tchétchénie ou de pays qui répriment toujours les homosexuels. De ce point de vue, le Luxembourg fait office de havre de paix.

Irina est arrivée au Luxembourg comme réfugiée après avoir fui la Russie. La militante des droits LGBT était persécutée dans son pays : «Quel soulagement de se sentir enfin en sécurité, de savoir qu’on ne risque pas d’être agressée dans la rue ou pire encore. Ici, on a la loi de notre côté», explique la jeune femme qui se dit néanmoins un peu déçue de l’esprit étroit de certaines personnes au Grand-Duché : «Il y a encore des efforts à faire, parce qu’au-delà des lois, il faut aussi que les mentalités évoluent.»

« Encore les sales pédés ! »

Il n’est pas toujours facile de trouver des personnes prêtes à parler de leur réalité au quotidien. «Deux amis m’ont dit qu’il n’y avait aucun problème au Luxembourg et que de ce fait ils n’avaient rien à dire», explique Marco. Pourtant, en discutant un peu, les anecdotes reviennent à la surface rapidement. Il y a encore quelques jours, Quentin, le compagnon de Marco, s’est fait insulter par la voisine du dessous : «En manipulant les bacs à fleurs sur le balcon, j’ai fait tomber quelques feuilles. La voisine ne m’avait pas vu, mais ça a tout de suite fusé : « Encore les sales pédés ! » Je l’ai confrontée, mais ça n’a rien changé.»

Les agressions physiques sont rarissimes au Luxembourg, chose qu’apprécie João qui est portugais : «Je trouve que c’est plus facile au Luxembourg, je m’y sens plus en sécurité que dans certains quartiers de Lisbonne par exemple. Ça m’est déjà arrivé là-bas que des gens m’insultent de leur voiture, car je tenais la main de mon copain de l’époque.» Et tenir la main de son compagnon au Luxembourg ? «On se retient de toute marque d’affection en public, c’est complètement intégré chez nous, on ne le remarque même plus. Alors que les couples hétérosexuels s’embrassent et se tiennent la main, pour nous c’est intégré qu’il ne faut pas le faire. Tout va bien tant qu’on ne s’affiche pas», note Paulo, le compagnon de João.

Même chose pour Andrej, Slovène, qui est au Luxembourg depuis maintenant presque neuf ans. Avec son partenaire thaïlandais avec qui il est pacsé, pas de signe d’affection en public : «Je ne lui tiens pas la main dans la rue, mais on ne s’en rend même pas compte, c’est ancré. Sauf quand j’ai un peu bu, alors là je m’en fiche je le fais, et je n’ai jamais eu de réactions. Une connaissance a fait une fois une « blague » sur Xavier Bettel, je lui ai fait remarquer que moi aussi j’étais gay et que ça pouvait me blesser. Ma plus grande victoire, c’est notre fête de PACS en Slovénie avec 50 personnes. C’est le résultat d’un long processus, notamment avec les parents et la famille. Mon père ne m’a pas parlé pendant six mois au début, ma mère voulait m’envoyer chez un psy. Aujourd’hui, ils sont heureux de me voir heureux avec mon mari.»

Dans certaines situations, être gay peut encore poser problème. Cela a été le cas pour Marco et Quentin lors de la recherche d’un appartement : «J’avais convenu d’un rendez-vous avec la propriétaire via les petites annonces internes de la société où je travaillais. Je commence la visite seul, tout va très bien, la propriétaire me parle de « mon » appartement, comme si c’était dans la poche. Puis Marco se joint à nous et là le ton change subitement quand elle comprend que nous sommes en couple. On est passé tout de suite à « l' » appartement en étant beaucoup plus neutre. Nous n’avons jamais eu de nouvelles par la suite. Nous avons dû nous résigner à ce que je fasse les visites et monte le dossier seul pour l’agence immobilière. Marco est venu pour la contre-visite, mais sans la présence de l’agence. On avait trop peur que l’appartement nous passe une nouvelle fois sous le nez.»

« Montrer que c’est non seulement légal, mais normal »

Pour autant, la législation au Luxembourg rassure : «Avoir l’État et les lois de notre côté, cela permet d’éviter les débordements, on se sent protégé de ce point de vue-là. Et il ne faut pas sous-estimer l’effet qu’ont des gens comme Xavier Bettel et Étienne Schneider à afficher leur homosexualité au grand jour. C’est une démarche nécessaire de montrer que c’est non seulement légal, mais normal», continue Quentin. Cette visibilité publique est aussi une bonne chose selon Andrej : «Cela normalise un peu les choses pour le grand public et cela peut aider les plus jeunes générations à faire leur coming out plus tôt.»

Accepter son homosexualité, faire son coming out est un long processus qui prend plus de temps pour soi-même d’abord, mais aussi pour les proches : «Quand tu fais ton coming out, tu sors du placard, mais tu mets tes parents dans un placard à ce moment-là. C’est à leur tour d’accepter la situation et de sortir du placard, de dire au monde extérieur que oui, leur fils est homosexuel», analyse Paulo. Pour Quentin, aucun problème, sa famille a été compréhensive. «C’est mon frère, voyant que je me fichais des filles quand il me déposait à l’école, qui a dit à ma mère que je devais être homo. Elle m’a posé la question et je lui ai dit que oui. Elle s’est posé beaucoup de questions, a culpabilisé, mais au final elle l’a très bien accepté. Elle a rencontré Marco plusieurs fois, tout se passe bien.»

« Ça existe des Portugais gays ? »

Par contre, du côté de Marco, les choses sont plus difficiles : «J’ai mis du temps à l’accepter, d’autant plus qu’avec mes parents c’est très difficile. Ils le savent, ils savent que je vis avec un homme, mais ils ne l’acceptent pas et font semblant de rien. Ils n’en parlent pas, ne me posent aucune question et je n’en parle pas.» Au travail, même chose, Marco évite le sujet : «Je suis commercial, donc avec les clients je ne parle pas du tout de vie privée. Avec les collègues au siège de ma société, je reste vague. Quand on évoque les vacances, je dis que je pars avec « des amis », c’est vraiment par peur de l’exclusion.» Quentin n’a, lui, «pas l’énergie suffisante de devoir rectifier sans cesse» dans les conversations avec les collègues. Pour Paulo, au contraire, tout se passe bien : «Je suis dans une petite équipe de huit à neuf personnes et je parle de mon copain très naturellement, ça a été bien accueilli.»

À chaque histoire, un parcours différent. Le hasard a fait que notre échantillon a concerné plusieurs ressortissants portugais. Pour Humberto, originaire de Lisbonne et qui n’a jamais eu vraiment de problème quant à sa sexualité, il reconnaît que certaines communautés sont plus difficiles que d’autres : «J’ai finalement vécu beaucoup d’homophobie au sein de la communauté portugaise à Luxembourg. Des personnes qui m’ont carrément dit « ah bon, ça existe des Portugais gays ? », ce qui est stupide, d’autant que le mariage gay existe au Portugal depuis 2010 !» Marco nous interrompt : «Vous avez rencontré des Portugais venant de grandes villes, mais il y a aussi un monde avec les mentalités des campagnes…»

Audrey Somnard

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.