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[Histoire] SREL : retour en pleine guerre froide


Nadine Geisler et Jean Reitz, les deux historiens qui ont passé deux ans dans la cave des Archives nationales, ont expliqué comment ils ont réalisé la mission qui leur avait été confiée. (photo Didier Sylvestre)

Deux historiens avaient pour mission d’exploiter pendant deux ans les banques de données du SREL pour la période 1960-2001. Jeudi, ils ont livré leur rapport sur l’espionnage de l’époque.

Le travail fut colossal et le résultat tient dans un rapport de plus de cent pages qui fait voyager le lecteur dans le temps. Celui de la guerre froide où le Service de renseignement de l’État (SREL) collectait la moindre information sur les communistes, leurs proches, les sympathisants qui pouvaient être de simples abonnés au journal Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek ou des colleurs d’affiches. La valeur historique des fiches que les deux chercheurs ont analysées est avérée.

Nadine Geisler et Jean Reitz, les deux historiens qui ont passé deux ans dans la cave des Archives nationales, ont expliqué comment ils ont réalisé la mission qui leur avait été confiée et qui consistait à analyser les banques de données du SREL, mises sous scellés et transférées aux Archives nationales après leur découverte au château de Senningen en 2013.

Face à l’ampleur de la tâche, les historiens n’ont pas pu analyser les 116 000 fiches recensées. Ils se sont concentrés sur les 6 500 fiches luxembourgeoises concernant des personnes physiques et morales. Ils ont épluché le ficher dit ELCOM pour «élément communiste» et ont procédé à l’analyse des activités du SREL durant la même période 1960-2001. Le rapport livre des détails truculents sur les enregistrements de réunions, les écoutes téléphoniques, les détournements de courrier et aussi sur les agents que le Service de renseignement parvenait à recruter dans les rangs du Parti communiste ou dans les associations amies.

Un grand bazar

On imagine les agents espionnant des réunions assis dans une voiture avec du matériel d’époque qui ne captait pas toujours très bien les conversations. Puis des patrons de salle ont laissé le SREL placer des micros directement dans le lieu, tout comme la Poste qui autorisait la déviation d’une ligne qui était mise sur écoute en dehors de tout cadre légal.

Ainsi, des réunions de l’Union des femmes, des Amis de la Tchécoslovaquie, de la Ligue des droits de l’Homme, des Amitiés Luxembourg-Chine, de l’association Luxembourg-URSS, du Réveil de la Résistance et quantité d’autres encore étaient espionnées et leurs membres faisaient l’objet d’une fiche. Les historiens révèlent aussi la manière dont les agents essayaient de soudoyer les facteurs pour récupérer le courrier et tous n’ont pas coopéré.

Les recherches ont établi que 90% des personnes fichées faisaient l’objet de petits dossiers pas plus épais qu’une dizaine de pages. Certaines autres ont des dossiers plus gros, dont un individu qui décroche la palme avec plus de 1 000 pages le concernant. «Le travail des chercheurs n’a pas été facilité dans la mesure où les banques de données présentaient des structures compliquées. La même femme apparaissait dans plusieurs fichiers, une fois avec son nom de jeune fille, une autre fois avec son nom d’épouse. La fédération de handball se trouvait sous fédération et sous handball, etc.» Mais la mission de deux ans devrait se poursuivre, estiment les deux chercheurs dans leurs recommandations. Mais avant de lancer une autre équipe d’historiens, il s’agit d’abord de mettre de l’ordre dans les banques de données et d’engager un archiviste expérimenté pour dresser un inventaire de tout ce fatras de documents, microfiches, microfilms, fiches carton, etc.

Les deux chercheurs ont surtout recommandé de ne rien détruire des 116 438 banques de données, s’agissant de documents nécessaires à la compréhension de la guerre froide. D’une manière générale, ils ont pu confirmer qu’hormis les mouvements à tendance communiste, il n’y a pas eu d’espionnage politique massif au cours de ces années au Luxembourg.

Geneviève Montaigu