La pandémie a failli sonner le glas d’Esch 2022, capitale européenne de la culture. Le projet aux rebondissements multiples a été longtemps décrié. À J-5, Georges Mischo, le président du conseil d’administration, se dit confiant sur la réussite de cet évènement phare pour le Sud.
Le compte à rebours est lancé. Hier encore, des techniciens étaient à pied d’œuvre pour monter une grande scène sur le parvis des hauts-fourneaux à Belval. L’ouverture d’Esch 2022, capitale européenne de la culture, aura lieu samedi. Une petite semaine avant le jour J, le député-maire Georges Mischo, occupant aussi la tête du conseil d’administration d’Esch 2022, revient sur l’histoire mouvementée d’un projet longtemps décrié. Le départ précipité des initiateurs Janina Strötgen et Andreas Wagner, remplacés par une équipe dirigée par Nancy Braun, ne fut qu’une des épines dans le pied d’un évènement qui doit permettre au sud du pays de redorer son blason.
À moins d’une semaine de la grande ouverture d’Esch 2022, est-ce que tout est prêt pour aborder cette année européenne de la culture ?
Georges Mischo : Les derniers préparatifs sont en cours de finalisation. Ces deux dernières semaines, il ne restait plus que des petits détails à régler. Nous sommes soulagés que l’assainissement et l’aménagement des bâtiments Möllerei et Massenoire, lieux clés d’Esch 2022, aient pu être livrés dans les temps. Une dernière chose me préoccupe toutefois : il ne doit pas pleuvoir lors du samedi d’ouverture. J’ai insisté dès le départ pour que les tickets d’entrée soient gratuits. Mais si jamais il pleut, le risque existe que les gens décident de rester chez eux et que la grande fête populaire que l’on espère vivre, n’ait finalement pas lieu.
Vous évoquez la pluie, mais la pandémie constitue certainement un plus grand danger pour Esch 2022. Bien que le front sanitaire semble se dégager aujourd’hui, quels sont les plans B qui se trouvent dans vos tiroirs ?
Il y a un an, nous avions vraiment peur de devoir tout annuler. Personne ne savait comment la situation sanitaire allait évoluer. En 2020, Galway en Irlande et Rijeka en Croatie sont complètement tombés à l’eau. En 2021, Timisoara en Roumanie et Elefsina en Grèce ont été reportés à 2023. Novi Sad en Serbie a été ajouté à Esch 2022 et Kaunas en Lituanie. Un report en 2023 aurait eu un surcoût situé entre 5 et 6 millions d’euros. On s’est donc décidés à maintenir la date prévue, non sans travailler sur des plans B, notamment pour la grande ouverture. Aujourd’hui, il semble que l’on va pouvoir réaliser tous les grands évènements. Des plus petits, tels que des expositions dans une galerie d’art, auraient pu se tenir avec des restrictions sanitaires plus importantes. Au mieux, l’on va vivre une grande relance post-covid pour le secteur culturel, qui a lourdement souffert de la pandémie.
Un long chemin, semé d’embûches, se trouve derrière le projet Esch 2022. Dans quelle mesure, les nombreux rebondissements au niveau de l’organisation ont-ils eu un impact négatif sur les préparatifs ?
Ce qui est arrivé dans la foulée de l’attribution du titre de capitale européenne de la culture, en novembre 2017, est pour moi de l’histoire ancienne. Le seul impact négatif du changement de l’équipe organisatrice a été une perte de temps. Nous avons toutefois réussi à rattraper le retard pris. L’équipe formée autour de Nancy Braun, qui est en place depuis septembre 2018 et qui compte désormais 33 personnes, s’est donné sans compter. L’un ou l’autre chantier aurait pu être achevé plus tôt, mais aujourd’hui tout est fin prêt. Cela ne sert à rien de trop regarder en arrière.
Malgré tout, d’aucuns évoquent encore toujours une motivation politico-politicienne qui a mené au limogeage de l’équipe ayant porté au départ le projet Esch 2022. Un reproche qui est formulé à juste titre ?
Ce genre d’allégations est ridicule. On n’a jamais estimé que la première équipe devait prendre la porte en raison de son orientation politique ni parce que le nouvel échevin à la Culture était issu des rangs du Parti libéral ou que le nouveau bourgmestre était un chrétien-social. Je n’ai jamais compris pourquoi l’on a colporté de telles choses. Notre objectif a toujours été d’évaluer en toute objectivité comment organiser et mettre en œuvre le projet. D’ailleurs, la décision de changer d’équipe organisatrice n’a pas été prise par un bourgmestre noir ou un échevin bleu (NDLR : les couleurs du CSV et du DP), mais elle a été actée à l’unanimité par un conseil d’administration comptant 21 membres issus d’horizons très divers.
De sévères critiques ont aussi entaché la sélection des projets devant être réalisés dans le cadre d’Esch 2022. Le manque de neutralité et de cohérence que l’on vous reproche est-il justifié ?
J’ai insisté d’emblée pour que le comité de lecture, chargé de la sélection des projets, ne comprenne aucun politicien, afin d’éviter tout reproche de copinage. Les choix ont été posés en toute objectivité par des représentants neutres. Sur les plus de 600 projets introduits, quelque 160 ont reçu le label. Pour tout évènement de ce genre, il faut se donner des critères de sélection. Dans notre cas, le transfrontalier, l’esprit européen, la durabilité, la mobilité et bien entendu la culture étaient à mettre en avant. L’on n’a toutefois jamais dit aux porteurs des projets recalés de tout jeter par-dessus bord. Avec plus de 2 000 évènements qui sont programmés dans le cadre de l’année culturelle, il reste de la marge pour des projets non labellisés.
Je me dois de souligner que la politique politicienne n’a jamais joué un rôle
On se rappelle aussi les réticences au niveau de certaines communes du sud du pays, appelées à intégrer le projet Esch 2022. Les différends ont-ils tous pu être résolus ?
Fin 2017, il y a en effet eu des tensions. La communication avec les communes concernées a été défaillante. En décembre de la même année, j’ai convoqué une réunion avec tous les bourgmestres et proposé que l’on mette en place des entrevues à intervalles réguliers. L’objectif était de résoudre au plus vite des problèmes qui pouvaient se présenter. Au départ, le modèle de financement a été que l’État prenne en charge 40 millions d’euros et 10,1 millions à supporter par la Ville d’Esch-sur-Alzette. En parallèle, il était envisagé que les autres communes investissent entre 200 000 et 500 000 euros dans le projet global. Cette proposition a été rejetée par les bourgmestres. Le compromis trouvé porte sur un cofinancement par les communes – selon leurs capacités et volontés – des projets organisés sur leur territoire, en complément aux subsides accordés par Esch 2022. Je me dois de souligner que la politique politicienne n’a jamais joué un rôle lors de ces réunions entre bourgmestres, en dépit des controverses qui ont eu lieu. L’objectif a toujours été de travailler au succès d’Esch 2022.
Esch 2022 a aussi comme particularité que les communes transfrontalières font partie intégrante de l’année culturelle. Cette alliance peut encore avoir l’air un peu abstraite. Quels sont les échos que vous recevez de vos voisins français ?
Au départ, cela a été très compliqué de lancer le projet côté français. Au Luxembourg, le contact entre les communes et les ministères est très rapproché. En France, par contre, la commune doit prendre contact avec la communauté de communes Pays Haut Val l’Alzette, qui s’adresse ensuite au préfet, qui, lui, se met en relation avec le Grand Est avant que la région ne noue le lien avec Paris. L’enjeu financier est important. Il a fallu attendre que la région Grand Est se décide à soutenir activement les communes transfrontalières appelées à intégrer Esch 2022. Le plus important pour nous, côté luxembourgeois, est que le projet soit réalisé en commun.
Quelles sont vos attentes, en tant que président d’Esch 2022, au niveau de l’impact que l’année culturelle peut ou doit avoir sur le développement de la région Sud ?
Je m’attends en premier lieu que la région dans son ensemble gagne en visibilité. Nous avons de très belles régions au Luxembourg. L’on a cependant pu avoir l’impression que le Sud a longtemps été traité comme le parent pauvre. Esch 2022 doit être l’occasion d’attirer l’attention sur le nouveau visage de la Minett, longtemps caractérisé par les hauts-fourneaux, la poussière, la saleté et la sueur. Nous ne voulons bien entendu pas nier notre passé, mais le sud du pays a de belles choses qui sont à découvrir, que ce soit la nature ou les infrastructures qui sont implantées ici. Il suffit de voir l’attention dont bénéficie Esch 2022 dans la presse internationale, notamment en Allemagne où de grands journaux comme le Frankfurter Allgemeine Zeitung ou le Süddeutsche Zeitung ont parlé très positivement du projet. Je citerais aussi les reportages télévisés diffusés sur ARTE, l’ARD ou la ZDF.
Et qu’en est-il du Pays Haut, encore souvent trop isolé ?
Il est clair que l’on vise à renforcer encore la cohésion transfrontalière. Les échanges et coopérations avec Audun-le-Tiche ou Russange s’intensifient. Je pourrais citer le projet de réouverture de la piscine en plein air ERA. Il ne s’agit pas de culture, mais les contacts sont devenus plus faciles entre voisins depuis que l’on travaille plus étroitement ensemble dans le cadre d’Esch 2022. J’ai aussi tenu à relancer le groupement Tonicités regroupant Esch, Luxembourg, Metz, Thionville, Longwy et Arlon.
La culture doit donc devenir un nouveau dénominateur commun entre le sud et le reste du pays ?
Nous ne voulons certainement pas faire de la concurrence à la Ville de Luxembourg. Notre intention est toutefois de démontrer que nous, dans le sud, on sait aussi faire de la culture. Une culture peut-être différente, mais qui n’a rien à envier aux autres.
Est-ce qu’Esch en tant que Ville, avec une image pas toujours très positive, est-elle prête à accueillir un évènement majeur comme l’année européenne de la culture ?
En tant que collège échevinal, on s’est toujours fixé l’année culturelle comme deadline. On a décidé d’investir un important budget dans la culture, que ce soit avec l’acquisition de la Konschthal, qui connaît déjà un succès fou, le rachat et la rénovation du Ciné Ariston, la rénovation de la Bridderhaus ou encore l’aménagement du bâtiment IV. Un montant de 36 millions d’euros a été débloqué. On s’est aussi donné comme seule commune du Luxembourg un plan de développement pour la culture couvrant la période 2017 à 2027. Esch 2022 n’est qu’une partie de ce plan. L’intention n’est pas de faire la fête pendant une année, sans que cela ait un effet plus durable. L’année culturelle doit se transformer en coup d’accélérateur pour la commune, sur le plan culturel, mais aussi au-delà.
Quels seront donc les contours pour l’après-2022 ?
Esch accueille déjà les agences des sièges kultur:lx, music:lx ou de la Fédération luxembourgeoise des auteurs et compositeurs (FLAC). En fait, nous avons la grande chance de disposer de trois grands pôles culturels. Le premier est formé par le Théâtre, le Conservatoire, la Casa d’Italia, la Konschthal et le Ciné Ariston. Le second pôle comprend la Maison Mousset, la Bridderhaus, la Kulturfabrik et le bâtiment IV. Le troisième, finalement, est à Belval avec la Möllerei, la Massenoire ou encore le SKIP. Tout cela doit contribuer sur le long terme à rendre notre ville plus attrayante.