Face aux accusations de discrimination dans le football au Luxembourg, les réponses de la FLF manquent de convaincre à 100%.
Le samedi 6 novembre 2021, un match fait s’embraser la colère qui règne contre la fédération de football au sein du RFCU. La raison? Les conditions intrigantes dans lesquelles évoluent les joueuses au Grand-Duché. La rencontre du soir compte pour le championnat de Ligue 1 Dames et oppose le Racing au Swift.
Elle sera interrompue pour insuffisance de joueuses côté hesperangeois (sept présentes au total) au bout de cinq minutes et sur le score de 7 à 0 pour le RFCU. L’équipe et son coach, Philippe Ciancanelli, fous de rage, accusent leur adversaire d’avoir orchestré cette défection en jouant avec les règlements pour éviter un forfait. Le tribunal fédéral rendra son verdict une dizaine de jours plus tard : le score de 7-0 à l’interruption reste acquis et le Swift écope d’une amende de… 26 euros.
Dans la foulée du match ubuesque contre le Swift, Karine Reuter, la présidente du club de la capitale, interpelle, dans une lettre ouverte, la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Taina Bofferding, et le ministre des Sports d’alors, Dan Kersch, sur les discriminations que subit le football féminin au Grand-Duché. Les principales cibles de cette missive sont la Fédération luxembourgeoise de football (FLF) et la Ville de Luxembourg.
Le silence pour réponse
Dans l’écrit de la présidente du RFCU, le problème des infrastructures dans lesquelles jouent les filles est souligné, mais Karine Reuter appuie bien sur le fait que «le traitement le plus déséquilibré vient de la FLF elle-même». Dans un premier temps, la présidente revient sur le calendrier du championnat féminin «très perturbé», car bouleversé par les matchs de l’équipe nationale masculine.
Quand les Roud Léiwen jouent, les rencontres de foot féminin sont reportées. Lorsque la situation inverse se présente, rien ne bouge du côté des garçons. La présidente du RFCU souhaiterait que ce calendrier à géométrie variable cesse.
Mise face à cette problématique dans une interview réalisée par un journaliste du Quotidien et datant du 14 novembre, Carine Nardecchia, la patronne du foot féminin à la fédération, répond : «Il faut aussi savoir pourquoi c’est comme ça ! Il y avait déjà un problème de disponibilité des terrains et ensuite de manque d’arbitres.» Une déclaration que Karine Reuter avoue recevoir comme «une baffe dans le visage des joueuses féminines».
En plus de ces problèmes de calendrier, la présidente du RFCU dénonce de nombreux autres dysfonctionnements qui polluent le football féminin au Luxembourg. Inégalités de rémunération, nombre d’arbitres limité lors des matches (un seul arbitre, donc pas de juges de ligne chez les filles) et différences d’organisation et de traitement au sein du championnat.
Je trouve cela désolant, car ce que nous avons souligné n’est pas rien
Plus de quatre mois après la publication de cette lettre ouverte et le coup de projecteur sur ce qui semble être un énorme chantier pour l’égalité entre hommes et femmes dans le sport luxembourgeois, les réponses de Dan Kersch et de Taina Bofferding se font toujours attendre. «La situation est exactement identique. La seule chose que j’ai eue, c’est un accusé de réception de la part du ministère des Sports. Je trouve cela désolant, car ce que nous avons souligné n’est pas rien», soupire Karine Reuter.
En colère face à l’inaction de la fédération, elle renchérit en jugeant «qu’au Luxembourg, il n’y a aucun intérêt pour le football féminin». «Mme Nardechia est très gentille, mais elle ne fait rien, assène la présidente du RFCU. Je ne sais pas si elle a suffisamment de pouvoir au sein du conseil d’administration pour faire bouger les choses. Pour le moment, je pense qu’en tant que fédération, on a des dames juste pour dire qu’on a des dames.»
Des réformes et des impasses
Du côté de la FLF, on ne souhaite pas entrer dans ce débat. «On ne va pas répondre à cela», coupe court Carine Nardecchia. Outre son argument sur le manque de terrains et d’arbitres, elle avait justifié les inégalités dans le football féminin luxembourgeois par «la surcharge du calendrier née du coronavirus» et les importantes difficultés qu’éprouvait la fédération en termes d’organisation des matches au moment de la fameuse rencontre face au Swift.
La réforme à venir prouve que le football féminin est important
Interrogée, en compagnie de Paul Philipp, le président de la fédération, Carine Nardecchia défend aujourd’hui les choix de la fédération en mettant en avant les projets à venir pour réformer le football féminin au Grand-Duché. Elle explique qu’à la suite d’une réunion en avril 2021, tous les clubs des trois divisions féminines ont reçu un courrier. Cette missive contient trois questions auxquelles les clubs sont invités à répondre en donnant leur opinion.
Les réponses doivent arriver en ce début du mois de mars. «C’est avant tout une base de discussion, car leur avis est important. Le football féminin change et bouge dans le bon sens. Les problèmes quotidiens, ce sont eux qui les ont. Il leur revient de nous donner leurs idées», explique Carine Nardecchia.
Dans le détail, ces questions concernent l’évolution de l’âge minimum d’une joueuse pour participer aux matches officiels, le nombre d’équipes en Ligue 1 et Ligue 2 et la participation des équipes réserves aux compétitions officielles des équipes 1 féminines. «La réforme à venir prouve que le football féminin est important», conclut la présidente de la Commission du foot féminin.
Je me demande pourquoi on a toujours besoin d’une fédération
Questionnée sur les différences de traitement entre hommes et femmes en matière d’arbitres, Carine Nardecchia ne peut que constater la pénurie actuelle. «C’est un problème qui ne date pas d’aujourd’hui et qui reste sans solution. On demande aux clubs d’essayer de recruter, tout en sachant que c’est compliqué.»
Fédération et clubs, liés face à cette question qui semble insoluble, se renvoient la balle. Quand la patronne du foot luxembourgeois explique avoir «besoin des clubs pour envoyer des gens faire de l’arbitrage», la présidente du RFCU rétorque : «Quand la fédération nous répète que ce problème vient surtout des clubs, je me demande pourquoi on a toujours besoin d’une fédération.»
«On ne s’est jamais posé la question»
En avril 2021 et pour la première fois dans l’histoire, la FLF a inscrit son équipe dames aux éliminatoires d’un Mondial, en l’occurrence la Coupe du monde féminine de football 2023. Les Lionnes rouges y affronteront l’Autriche, 21e nation mondiale, l’Irlande du Nord (48e), la Macédoine (131e), la Lettonie (97e) et surtout l’Angleterre, sixième nation mondiale, qui fait office d’épouvantail au sein de ce groupe D. «C’était un pas qu’il fallait franchir», résume Paul Philipp. Un grand pas en avant pour le football féminin luxembourgeois, mais aussi une avancée qui met en lumière le retard accumulé.
Dans une interview du 14 avril 2021 accordée à un journaliste du Quotidien après l’annonce de l’inscription des dames à la phase qualificative du Mondial-2023, l’entraîneur national, Dan Santos, expliquait : «On ne s’est jamais posé la question les concernant. Le but, c’est que dans quelques années, on n’ait plus à se poser la question pour les dames. Presque toutes les nations européennes sont inscrites à ma connaissance. Il n’y a plus, je crois, qu’Andorre et Saint-Marin qui ne le soient pas. On était un des derniers pays à ne pas l’être.»
La réponse de Taina Bofferding
Au fil de sa lettre ouverte longue de quatre pages, la présidente du RFCU, Karine Reuter, listait méticuleusement toutes les inégalités d’une situation devenue «ridicule» pour les femmes dans le football. Envoyée le 20 novembre 2021 à destination de la ministre de l’Égalité entre les hommes et les femmes et du ministre des Sports, cette missive n’a reçu aucun retour. Aucune réponse ne nous a été donnée sur les raisons de ce silence. En revanche, à la suite de notre demande, Taina Bofferding a accepté de réagir aux faits énoncés par la présidente du RFCU.
La ministre souligne que le domaine des sports joue un rôle important dans la lutte contre les inégalités de la vie quotidienne entre les sexes. «Les inégalités entre femmes et hommes se retrouvent à différents niveaux : conditions d’entraînement et d’encadrement, rémunération, partage des postes à responsabilité, attractivité des compétitions, attention et reportages des médias…»
Toutefois, elle souhaite «traiter le dossier de l’égalité dans le sport de façon holistique et non de façon isolée pour une discipline sportive déterminée, même si le football rencontre une popularité plus significative». Pour ce faire, Taina Bofferding mise sur «une approche multidimensionnelle».
Elle souhaite, par exemple, rapprocher les acteurs clés du sport, comme le ministère des Sports, le Conseil supérieur des sports, les fédérations sportives, le COSL et la presse sportive. L’idée serait de créer le dialogue et d’avancer sur «la lutte contre les stéréotypes de genre et le sexisme, d’une part, et la promotion de l’égalité des sexes dans le sport, d’autre part». Des campagnes de sensibilisation sont prévues.
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Reuter est surement une tr grande footballeuse… super sportive