Accueil | Politique-Société | Fernand Fehlen : « Assumer le luxembourgeois en tant que langue »

Fernand Fehlen : « Assumer le luxembourgeois en tant que langue »


Pour Fernand Fehlen, l' "insécurité linguistique" est un effet secondaire du système scolaire luxembourgeois. (Photo Hervé Montaigu)

Dans son dernier ouvrage, consacré à la transformation du multilinguisme actuel, le spécialiste en études luxembourgeoise Fernand Fehlen démontre que la langue nationale est en bonne santé.

La langue luxembourgeoise est-elle plus vivante que jamais ?

Fernand Fehlen : Elle reste peu représentée au niveau de l’écrit, contrairement à d’autres langues, mais elle est beaucoup plus présente qu’il y a encore dix ans. On a fait un grand pas en avant depuis, non seulement en ce qui concerne l’écrit, mais également dans le domaine politique. Autrefois, c’était un honneur de pouvoir discuter en français avec quelqu’un qui ne parlait pas luxembourgeois. Aujourd’hui une traduction est prévue lors des évènements officiels, ce qui était impensable il y a encore dix ou 15 ans, tout le monde étant censé maîtriser le français.

Vous occupez une position médiane entre ceux qui s’érigent en protecteurs de la langue luxembourgeoise et ceux qui la moquent…

Il s’agit pour moi d’une position à la fois raisonnable et réaliste. D’un côté, il y a l’État souverain et l’idée que si l’on veut conserver le Luxembourg dans son unicité, il faut choisir une langue, comme l’ont fait les Maltais, les Irlandais, etc. De l’autre, il ne faut pas oublier non plus que le luxembourgeois reste une petite langue, malgré l’importance qu’elle revêt aux yeux de notre communauté. Ce sont là les deux aspects à combiner. Les soi-disant patriotes de la langue oublient toujours de rappeler que le Luxembourg est petit, même s’ils ne peuvent l’ignorer. Ce qui ne les empêche pas pendant les vacances de se sentir fiers d’être « français parmi les Allemands et allemands parmi les Français », selon une formule de 1844 et qui reflète un idéal profondément ancré dans la génération à laquelle j’appartiens.

Maîtriser autant de langues est aussi source d’insécurité…

Il est évidemment beaucoup plus simple pour une communauté linguistique de n’avoir qu’une seule langue, à condition que tout le monde vous comprenne. Or si ce n’est pas le cas et qu’on dépend des autres, cela devient une question d’attitude si oui ou non je communique avec l’autre. Voilà pourquoi le refus d’utiliser ses connaissances en français est mal perçu chez les étrangers. Il y a dix jours dans un supermarché, j’ai vu un jeune Luxembourgeois refuser de façon offensive de passer sa commande en français, jusqu’à ce que finalement le vendeur s’excuse. J’ai trouvé cela choquant, car cela me rappelait un engagement pour la langue qui est en contradiction profonde avec la culture luxembourgeoise. Pour nous, la langue est outil de communication et non de combat.

Vous êtes aujourd’hui le seul à montrer une issue hors de cette crispation autour de la langue…

Ce n’est pas ainsi que je verrais les choses. Je suis peut-être le seul à en parler à haute voix. Notre système des langues fonctionne très bien et ce n’est peut-être même pas nécessaire de le thématiser davantage. C’est parce qu’on voulait maintenir le Luxembourg en tant qu’entité que cette langue a gagné en importance ces derniers temps et que de plus en plus de gens l’apprennent. Je voudrais d’ailleurs insister sur le fait que ceux qui apprennent le luxembourgeois ne l’ont pas comme langue maternelle. Dans les années 1970, un pionnier de l’enseignement du luxembourgeois comme Jul Christophory, dans la préface à son manuel, pouvait encore remarquer que s’il l’avait écrit, ce n’était pas pour conserver la langue, mais pour le dire ironiquement : afin de rendre service à quelques étrangers bizarres qui ont eu envie de l’apprendre. À l’époque, en effet, la majorité des Luxembourgeois, y compris moi-même, étaient d’avis que le luxembourgeois n’était pas une langue.
Entretien avec Frédéric Braun

A lire en intégralité dans Le Quotidien papier de ce lundi 22 août

Un commentaire

  1. Bravo ! Gratulatioun!