Dans notre grande interview du mardi, Marc Wengler, directeur général des CFL, revient sur l’évolution à la hausse dans le secteur du rail. Le Luxembourg a récemment investi massivement sur son réseau ferroviaire afin de faire face à une intensification du nombre de voyageurs en l’espace d’une décennie.
Nos voisins français connaissent d’importants mouvements de contestation en lien avec la volonté du gouvernement français de moderniser son rail. Comment jugez-vous ce qui s’y passe?
Marc Wengler : Il serait difficile et peut-être malvenu de ma part de commenter la situation en France. En effet, il est difficile d’établir un parallèle entre ce qui se passe dans l’Hexagone et au Luxembourg. Ce n’est pas parce que nos collègues français font grève qu’il doit en être de même au Grand-Duché.
Pourtant, le fond du problème est l’ouverture du rail à la concurrence, voulue par la Commission européenne, qui doit également avoir lieu au Luxembourg…
La libéralisation du rail a commencé depuis bien longtemps. Cela s’est fait en plusieurs étapes. Dès 2007 pour le fret ferroviaire et dès 2010 pour le « voyageur international ». Il reste, avec le « quatrième paquet ferroviaire », à libéraliser le « voyageur national », ce qui devrait intervenir à partir de 2019 selon les pays et les différents contrats de service public. Pour en revenir au Luxembourg, nous avons déjà préparé le terrain en nous réorganisant, en nous réformant à plusieurs reprises, tant dans nos structures que dans notre façon de travailler, notamment sur le fret ferroviaire.
C’est-à-dire?
Avec la création de CFL Cargo, on y a transféré toute l’activité du fret de la compagnie. Avec cette nouvelle structure et plusieurs développements, nous avons réussi à mettre sous une même direction les deux groupes que sont CFL Cargo et CFL Multimodal.
Avec la libéralisation du rail d’ici à 2019, les CFL pourraient se voir concurrencer ici au Luxembourg, et inversement, les CFL pourraient regarder les opportunités se présentant en Europe. Êtes-vous attentif à cela?
Je ne vois pas cela sous cet angle. Au Luxembourg, en ce qui concerne le service voyageur, c’est un service public. Nous avons un donneur d’ordres qui est le ministère du Développement durable et des Infrastructures, en charge des Transports, qui attribue un contrat de service public. Donc une autorité compétente et un prestataire. Ici, le marché n’est pas vraiment comparable au marché français où il y a un très vaste territoire et beaucoup de régions. Idem en Allemagne avec les « Länder » qui attribuent les contrats. Pour résumer, c’est un marché avec un client et un fournisseur. Ce que je peux dire, c’est que pour le moment nous avons un contrat avec le ministère jusqu’en 2024 et je pense que la volonté de l’État sera de poursuivre avec les Chemins de fer luxembourgeois au-delà de cette date.
Donc la concurrence ne vous fait pas peur?
Depuis 2010, il existe la possibilité pour n’importe quel opérateur de faire une prestation transfrontalière et même combinée avec une desserte locale, c’est ce que l’on appelle du « cabotage ». Pour autant, la question à se poser est de savoir pourquoi il n’y a pas eu de concurrent qui s’est positionné sur ce genre de prestation. Je pense que parfois la libéralisation n’a pas eu les effets positifs espérés. Il s’est même produit l’effet contraire avec la suppression de trains en autonomie commerciale par défaut de rentabilité.
Je pense que l’important n’est pas de savoir qui fait concurrence à qui dans un contexte de libéralisation.
Il y a pourtant des opérateurs étrangers qui prestent sur le territoire luxembourgeois…
Il y a effectivement déjà des prestataires non CFL qui prestent sur le réseau luxembourgeois et vice versa. Nous faisons des prestations sur le Sillon lorrain avec notre propre matériel et notre personnel jusque Metz et Nancy. Inversement, la SNCF ou encore la SNCB va jusque Luxembourg. Pour le Sillon lorrain, deux tiers sont opérés par la SNCF et un tiers par les CFL. Mais dans le fond, qu’est-ce que cela change cette mise en concurrence? Je pense que l’important n’est pas de savoir qui fait concurrence à qui dans un contexte de libéralisation. Notre stratégie est tout autre puisque nous nous concentrons sur l’amélioration de la qualité de nos services pour nos clients. C’est par ce levier que nous renforcerons la durabilité et la pérennité des CFL et de ses contrats futurs.
Est-ce qu’avec un ticket de train à deux euros pour deux heures, le rail voyageur est rentable?
C’est un contrat de service public, c’est comparable aux services de transports en commun. Nous avons un contrat avec le ministère et nous sommes payés en fonction des prestations en respectant un horaire, un nombre de dessertes, etc. Concernant le prix du ticket de train, nous n’avons pas autorité sur la tarification. Nous collectons l’argent et nous le rétrocédons à l’autorité compétente. C’est le ministère en charge des Transports, à qui nous adressons nos factures, qui a la vision globale au niveau de la rentabilité et des coûts. C’est donc au ministère qu’il faut poser la question.
Vous avez bien une idée de la réponse?
Si votre question c’est de savoir si le prix du billet de train couvre l’ensemble des charges, je peux vous répondre : évidemment que non. C’est d’ailleurs très rarement le cas et ce dans n’importe quel pays du monde. Pour autant, cela ne signifie pas que le rail n’est pas rentable […]
Entretien avec Jérémy Zabatta.