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Devenir Premier ministre, ça vous dirait ?


Sous ses airs loufoques, le scénario imaginé par Laurent Moyse pour "Le Coup du sort" recèle un avertissement. (illustration François Aussems)

Dans « Le Coup du sort », fiction politique, Laurent Moyse imagine un pays devenu ingouvernable en raison d’une suite d’élections et de l’incapacité répétée des partis à se mettre d’accord pour former un gouvernement de coalition.

Après quatre élections, le paysage politique paraît si émietté que les ministres réunis en conseil pour faire le point sur une crise sans précédent doivent reconnaître que «l’impasse est totale».

Avec un certain goût du grotesque et un humour pince-sans-rire qui lui est propre, l’ancien rédacteur en chef de La Voix du Luxembourg emmène son lecteur dans les coulisses des pourparlers censés sortir le pays de l’impasse, en compagnie de ministres qui portent des noms aussi évocateurs que Balence, Boulot ou encore Sanslesous… On y assiste par exemple à l’éclosion de l’idée d’un gouvernement d’union nationale, rassemblant tous les partis, et qui pourrait apporter la solution recherchée, quitte à suspendre le jeu démocratique : car, comme le remarque un ministre averti présent dans la salle, il n’y aurait alors plus personne sur les bancs de l’opposition…

Le registre national plutôt que les urnes

«Il ne s’agit que d’une fiction, mais dont on ne peut exclure qu’elle se produise un jour», explique Laurent Moyse, qui voit un lien entre l’effritement du débat politique et le retour des autoritarismes en Occident, entre la «crise de la représentation traditionnelle», souvent exprimée à travers l’exigence de plus de participation directe (sous forme de pétitions ou référendums, par exemple) et ce qu’il appelle «l’éparpillement des opinions».

La démocratie, que Laurent Moyse définit par l’État de droit, la séparation des pouvoirs et la tenue d’élections libres n’est pas une garantie en soi contre la percée des populismes de tous bords. Les élections peuvent servir de façade pour légitimer le pouvoir en place, rappelle-t-il, tout comme une pétition, un référendum peuvent devenir le vecteur d’idéologies contraires aux principes démocratiques. Adolf Hitler, on s’en souvient, fut élu démocratiquement…

À l’heure où les fake news sont en train de devenir un moyen efficace de brouiller l’opinion publique, Laurent Moyse imagine un pays où l’atomisation de cette opinion oblige une classe politique, qui ne l’a pas vu venir, à déclarer sa faillite pour sortir le pays de sa crise. Au terme de leur réunion, les ministres décident d’organiser un tirage au sort à partir du registre national, afin d’élire un homme nouveau «issu du peuple», à la tête d’un gouvernement de transition. «À situation exceptionnelle, décision exceptionnelle», commente l’un deux. Sous ses airs loufoques, Le Coup du sort recèle donc aussi un avertissement.

Frédéric Braun

Au cœur de notre époque

« La démocratie emprunte des chemins qui ne plaisent pas à tout le monde. Dans cette optique, quelle place faut-il accorder à l’individu ? »

Les questions que Laurent Moyse soulevait mercredi, en marge de la présentation de sa première œuvre romanesque, touchent au cœur de notre époque. Elles interrogent l’avenir de la démocratie comme du politique tout court, à une époque où l’opinion individuelle compte plus que jamais et transforme jusqu’à la notion même que nous avons du débat politique.

« Le Coup du sort », Laurent Moyse, Ernster éditions, Luxembourg.

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