Le Dr Romain Nati continue de suivre de très près la circulation du covid au Luxembourg. Au vu du récent rebond des infections et un taux de vaccination qui reste à améliorer, le directeur général du CHL plaide pour le maintien des restrictions sanitaires en vigueur.
Le Centre hospitalier de Luxembourg (CHL) et le Service national des maladies infectieuses restent en première ligne du front de lutte contre le coronavirus. S’il refuse encore de tirer la sonnette d’alarme, le directeur général, le Dr Romain Nati, se veut très prudent sur l’évolution de la pandémie à l’approche de l’automne et de l’hiver. Seule certitude à ses yeux : le Luxembourg va faire face à une «quatrième vague d’infections de non-vaccinés».
Ces deux dernières semaines, le nombre de nouvelles infections au coronavirus connaît un rebond, a priori dû à l’effet « retour de vacances ». Comment jugez-vous la situation sanitaire en cette fin du mois d’août?
Dr Romain Nati : Il est en effet à constater que les retours de vacances ont un impact sur les infections. Le contraire aurait été étonnant. En parallèle, la vie sociale a repris au Luxembourg. Le taux d’incidence de cet été n’est plus à interpréter de la même manière qu’il y a encore une année. Ceci étant, si on compare le nombre de cas positifs par 100 000 habitants à la situation des mois d’août et septembre 2020, on se trouve à un niveau plus élevé, et ce, en dépit de la vaccination. Nous sommes 14 jours en avance sur la courbe enregistrée il y a douze mois. Nous sommes confrontés en même temps à l’effet positif de la protection vaccinale et à l’impact négatif du variant Delta, plus contagieux. Il faudra voir comment va se répercuter l’opposition de ces deux forces sur le front sanitaire.
En Allemagne, un débat est actuellement mené sur la pertinence du taux d’incidence comme indicateur pour l’évolution de la pandémie. Au Luxembourg, d’autres indicateurs, comme le nombre d’hospitalisations, ont toujours été pris en compte. Quelle importance accordez-vous au taux d’incidence?
Le taux d’incidence garde son importance, mais pas en se basant sur un chiffre précis pour tout voir en noir ou en blanc. L’incidence reste toutefois intéressante en ce qui concerne son évolution. Si ce taux augmente, nous devons nous préparer à un nombre plus important d’hospitalisations. Il ne s’agit pas d’une formule mathématique exacte, mais si l’incidence est en baisse, nous pouvons nous attendre à une détente de la situation. Il est toutefois difficile de quantifier le nombre d’admissions.
Ces derniers jours, les hospitalisations commencent à repartir à la hausse. Quel est le degré d’inquiétude sur le terrain?
Nous restons très vigilants. Pour l’instant, nous constatons une grande volatilité en ce qui concerne le nombre d’hospitalisations. La variation est assez grande de semaine en semaine et même de jour en jour. Il est encore difficile d’identifier une véritable tendance, même si sur la fin de la semaine, les chiffres en soins normaux ont augmenté. La situation en soins intensifs reste par contre stable. Les prochaines semaines vont devoir nous démontrer dans quelle direction on se dirige, même si une véritable tendance à la baisse n’est pas à prévoir. Nous sommes préparés à ce que le nombre d’hospitalisations devienne de nouveau plus important.
Mercredi dernier, le Premier ministre, Xavier Bettel, a indiqué que la grande majorité des patients hospitalisés n’étaient pas vaccinés contre le covid. Pouvez-vous confirmer que la vaccination est le seul moyen pour éviter une multiplication des hospitalisations comme celle vécue fin 2020?
Nous avons procédé, à l’échelle du CHL, à une analyse plus approfondie des hospitalisations de patients ayant contracté le virus. Entre le 1er juillet et le 26 août, 81 malades du covid ont été pris en charge. Dix d’entre eux étaient pleinement vaccinés, soit environ 12 % du total. Ces chiffres sont comparables avec ceux enregistrés par d’autres hôpitaux en Allemagne ou en France. Cela confirme que la vaccination ne protège pas à 100 % contre une infection. Mais sans protection vaccinale, les hospitalisations seraient encore bien plus importantes. En poussant l’analyse encore plus loin, on constate que sur les 10 non-vaccinés admis au CHL, il y a des personnes âgées de plus de 88 ans ainsi que des personnes immunodéprimées, suivant une chimiothérapie et dont le système immunitaire est affecté. En retirant ces patients, il reste trois malades non vaccinés de plus de 65 ans atteints de comorbidités comme des problèmes cardiaques ou qui sont diabétiques, soit des personnes vulnérables appelées à être vaccinées en priorité. La conclusion est que la protection vaccinale contre les hospitalisations est bien présente et que les personnes vaccinées, mais hospitalisées, font partie de la catégorie des personnes vulnérables. Cela va rester le cas aussi longtemps que le virus continuera à circuler.
Peut-on conclure que le variant Delta a un impact sur la gravité des symptômes des patients hospitalisés?
L’échantillon de patients au Luxembourg est très réduit. Mais nous avons pu constater que dans un premier temps, les patients en soins intensifs avaient contracté le variant Delta. Ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui, du moins au CHL. Globalement, on constate toutefois que le variant Delta a à la fois une plus grande contagiosité et provoque des formes graves du covid.
Vous vous attendez à quelle évolution de la pandémie en automne et en hiver?
Nous nous dirigeons clairement vers une quatrième vague d’infections des non-vaccinés. Partant de ce principe, nous allons avoir à faire à une grande partie d’hospitalisations évitables. L’objectif doit être de réduire au plus ces admissions évitables. Ce sera possible jusqu’à un certain point. On se prépare à tous les scénarios. Mais si les hospitalisations se multiplient et même sans atteindre les dernières limites, des répercussions sur le fonctionnement normal de l’hôpital ne sont pas à exclure. Pour moi, il existe donc un seul mot d’ordre : vacciner, vacciner et vacciner.
Votre hôpital a décrété récemment que le personnel de santé nouvellement recruté doit être vacciné contre le covid. Cette décision a créé pas mal de remous. Pouvez-vous expliquer le raisonnement qui se trouve à la base de ce choix?
L’importance d’un taux de vaccination élevé est incontestable, encore davantage dans le domaine des professions de santé. Malgré certaines hésitations qui existaient au départ, nous avons réussi au sein du CHL de créer une grande dynamique au niveau de la vaccination du personnel. Un important travail de sensibilisation s’est avéré payant et des résultats formidables ont pu être atteints. Le taux de vaccination est de 100 % pour les médecins et pharmaciens. Au niveau des infirmières et infirmiers et des autres professionnels de santé, 85 % sont entretemps vaccinés. S’y ajoutent 3 % qui disposent d’un certificat de rétablissement. Il reste donc 13 % de notre personnel de santé qui se fait tester trois fois par semaine. Un tiers de ces derniers ont cependant déjà entrepris les démarches pour se faire vacciner. Dans les semaines à venir, le personnel de santé du CHL sera donc immunisé à 92 %. Combiné aux médecins et pharmaciens, le taux global de vaccination sera de 87 % et de 94 % d’immunisés. Nous sommes très fiers de ce résultat. Cet effort collectif ne doit pas être négativement impacté par des recrutements de personnes qui n’afficheraient pas la même conscience professionnelle que ceux qui ont accepté de se faire vacciner. Il s’agirait d’un manque de respect.
Le gouvernement compte continuer à miser sur la sensibilisation pour convaincre un nombre plus important encore de la population à se faire vacciner. Est-ce le bon chemin ou faudrait-il quand même se diriger vers une obligation vaccinale?
Nous avons atteint de très bons résultats sans obligation vaccinale. En tant que directeur d’hôpital, j’apporte ma pierre à l’édifice avec ma politique de recrutement. Je doute toutefois qu’une obligation intersectorielle ait un grand effet. Personnellement, je ne suis certainement pas quelqu’un qui s’opposerait à une obligation vaccinale, mais je ne suis pas non plus celui qui militerait ouvertement pour une telle obligation.
La rentrée scolaire se profile à l’horizon. Un épidémiologiste belge, cité mercredi dans les colonnes du Soir, estime que les hospitalisations d’élèves non vaccinés vont augmenter dans les mois à venir. Partagez-vous cet avis?
Il faut garder à l’œil l’impact qu’aura le virus sur les enfants qui n’ont pas encore pu profiter de la protection vaccinale. En même temps, nous savons que depuis le début de la pandémie, le secteur pédiatrique n’a pas connu une incidence importante. Cela n’a pas changé jusqu’à présent. Sur les 17 patients covid+ que le CHL comptait jeudi, deux étaient des enfants pris en charge à la Kannerklinik. En dépit du variant Delta, nous avons eu ces derniers mois très peu de cas graves. Les hospitalisations d’enfants restent l’exception. Sur les derniers mois, on a eu très rarement plus de deux enfants hospitalisés en même temps. Mais en sachant que la rentrée approche et que le variant Delta continue à être prédominant, une certaine dynamique au niveau des hospitalisations d’enfants non vaccinés n’est pas à exclure. Il nous faut rester vigilant.
Le ministre de l’Éducation nationale doit encore annoncer le concept sanitaire qui sera en vigueur dans les écoles. Quelles sont, selon vous, les mesures à prendre?
Il est important de continuer à respecter toutes les mesures de précaution possibles. Je ne suis pas un expert en pédagogie, mais l’obligation du port de masque doit en tout état de cause rester de mise. D’une manière plus générale, il faut souligner qu’une vaccination ne doit pas exclure le port du masque lorsqu’on se trouve potentiellement au contact de personnes qui ne pourraient pas encore être immunisées. Les gestes barrières doivent continuer à être respectés. Dans le milieu scolaire, où beaucoup d’élèves ne sont pas encore vaccinées, cela sera d’autant plus important. Il ne faut pas non plus oublier que le covid long peut aussi toucher les enfants. Même si les cas sont très isolés, cela peut avoir un très grand impact sur les enfants et familles concernés. Il est toujours plus dramatique si une jeune personne est atteinte d’une maladie chronique.
Le gouvernement doit présenter mercredi les contours de la prochaine loi covid. Au vu de l’évolution actuelle des infections, vous plaidez pour maintenir le statu quo ou est-ce que des restrictions plus strictes seraient nécessaires?
À ce stade, le cadre réglementaire est adapté. Ce qui est sûr, c’est que l’on ne pourra pas procéder à des ouvertures ou allégements supplémentaires des mesures. Ce n’est pas le moment. Nous disposons actuellement d’un bon mélange entre restrictions et libertés. Si l’on assiste par contre à une explosion du taux d’incidence, pas dans l’immédiat, mais peut-être dans les deux ou trois semaines à venir, il faudra voir pour activer le bon levier. Il serait alors envisageable de passer dans l’un ou l’autre secteur à la formule testé-guéri-vacciné en supprimant l’option des tests rapides, qui demeurent le maillon faible de notre concept sanitaire en place. Avec une incidence élevée, le risque que le virus s’invite dans une communauté est plus important.
Il faut se poser la question de savoir s’il est encore justifié de priver les personnes immunisées de libertés
Est-il envisageable d’accorder plus de libertés aux seules personnes vaccinées ou rétablies? Cela ne risque-t-il pas de diviser dans la société?
Je ne vois pas le risque d’une division. Chacun a la possibilité de se faire vacciner à l’exception de ceux pour qui il existe une contre-indication médicale. Il faut en effet se poser la question de savoir s’il est encore justifié de priver les personnes immunisées, avec les non-vaccinés, de libertés.
Entretien réalisé par David Marques