Bras droit de la ministre Paulette Lenert, le Dr Jean-Claude Schmit se souvient très bien du début de la pandémie de coronavirus. En février et mars 2020, les inconnues étaient importantes. Des décisions ont dû être prises rapidement. Retour sur une année de crise.
«Notre seule préoccupation était la gestion de la pandémie.» Le Dr Jean-Claude Schmit est à la tête de la direction de la Santé. Alors que son service comprend plusieurs sections, l’ensemble de l’équipe a été mobilisé pour lutter contre le coronavirus. Un an après l’annonce du premier confinement, le Dr Schmit revient sur les processus de décision, rejette tout différend avec la ministre Paulette Lenert et répond aux critiques entourant la campagne de vaccination.
Quand avez-vous entendu parler du Covid-19 pour la première fois?
Jean-Claude Schmit : En décembre 2019, on a entendu que quelque chose était en cours en Chine. Nous avions déjà eu des alertes semblables, sans que cela ait eu de grandes répercussions. Personne n’a pensé que le scénario d’une pandémie allait devenir réalité.
À quel moment, le signal d’alerte a-t-il été donné au Luxembourg?
Courant janvier 2020, on a commencé à préparer le terrain. Le mois de février était encore assez calme, jusqu’à ce que l’on détecte, en date du 29 février, le premier cas positif au Luxembourg. Tout s’est emballé par la suite. Les pays voisins ont à ce même moment commencé à lancer le confinement. Il y a eu un vent de panique. Le Luxembourg a fini par leur emboîter le pas et a décrété à son tour le confinement, le tout sous l’impression des images dramatiques qui nous parvenaient depuis la Chine, mais également de l’Italie du Nord.
Vous parlez bien de moment de panique. Comment s’est-il exprimé dans les coulisses du ministère de la Santé?
Cette panique était surtout due au fait que le virus était une grande inconnue. Personne ne savait ce qui allait nous attendre concrètement. Il s’est avéré que le coronavirus allait devenir quelque chose de beaucoup plus grand que ce que nous avions connu par le passé. La question était de savoir comment nous allions réussir à maîtriser le Covid-19, quelle était sa dangerosité, comment il se propagerait, etc.
Le Grand-Duché disposait-il d’un véritable plan pandémie, prévoyant le scénario d’une propagation mondiale d’un dangereux virus?
Depuis 2006, il existe un plan pandémie portant sur la grippe. Le scénario qui nous préoccupait à ce moment était l’arrivée d’une forme plus sévère du virus de la grippe. Le coronavirus n’est pas tout à fait différent. Nous étions donc préparés dans une certaine mesure, mais on ne peut jamais être suffisamment paré.
Rapidement, il s’est toutefois avéré que le Luxembourg ne disposait pas d’un stock suffisant de matériel de protection. Partagez-vous les reproches selon lesquels les autorités ont failli à ce niveau?
Nous n’étions pas les seuls à avoir été pris de court. Il faut aussi dire que contrairement à ce qui était connu au départ, le masque n’a gagné que beaucoup plus tard en importance. Le ministère de la Santé disposait bien d’un stock. Le masque peut servir à endiguer la transmission de la grippe, mais il ne joue de loin pas un rôle aussi important que dans le scénario où un virus se transmet par des aérosols. Il manquait aussi des respirateurs. Nous avons pu les acquérir rapidement et en grand nombre, mais heureusement nous n’avons pas été obligés de les utiliser. Toute une série se trouve toujours complètement emballée dans notre stock national.
La réactivité du terrain a-t-elle permis de limiter les dégâts?
Tout le système de santé, que ce soit les hôpitaux ou les médecins sur le terrain, ont très bien réagi. Les soins de santé hors Covid ont été assurés à tout moment. L’avantage d’un petit pays est que tout le monde se connaît et que la confiance mutuelle règne. Vous pouvez dès lors prendre très vite des décisions qui sont appliquées rapidement. La solidarité en début de crise était extrêmement grande. Avec une crise qui perdure, cette même solidarité tend toutefois à s’effilocher.
Avec le recul, le confinement strict décrété en mars 2020 était-il vraiment la bonne décision?
Si on se retrouvait aujourd’hui dans la même situation, la décision aurait certainement été différente. Mais avec le savoir que l’on avait à ce moment-là, on n’avait pas d’autre choix. Il faut aussi rappeler que tout le monde s’attendait à ce que ce confinement brutal soit suffisant pour retrouver la normalité. Il n’en a rien été.
N’aurait-il pas fallu décréter un second confinement strict en automne, à un moment où les infections étaient sensiblement plus importantes qu’au printemps?
Nous aurions en effet pu prendre des mesures plus strictes. Mais à ce moment, nous nous trouvions déjà dans une situation où on se devait de trouver un équilibre entre ce qui était nécessaire sur le plan sanitaire et ce que l’on pouvait encore imposer comme restrictions à la société et à l’économie. Je ne cache pas qu’il y a eu des discussions sur ce point. À partir du moment où le Premier ministre a dit vouloir éviter un second confinement strict, il a fallu trouver un équilibre.
Bon nombre d’experts ont très tôt mis en garde contre une deuxième vague en automne et en hiver. N’avez-vous pas sous-estimé la situation?
Non, nous n’avons certainement rien sous-estimé. Les discussions ont porté sur les restrictions à prendre. Depuis décembre, nous avons atteint cette balance, le bon équilibre entre restrictions et libertés. La situation s’est stabilisée, contrairement à d’autres pays qui se trouvent déjà confrontés à une troisième vague d’infections.
En tant que directeur de la Santé, il est simple de dire « on ferme tout »
Ces derniers mois, la direction de la Santé a toutefois plaidé pour des restrictions bien plus strictes. Existe-t-il un différend avec le gouvernement, qui en fin de compte a décidé de s’engager dans un chemin plus libéral?
Mes équipes évaluent la situation strictement selon l’aspect sanitaire. Un gouvernement doit assumer une autre responsabilité. En tant que directeur de la Santé, il est simple de dire « on ferme tout ». J’ai un autre rôle à jouer que les responsables politiques qui doivent eux avoir aussi à l’œil les répercussions sur la société et l’économie. Je peux donc comprendre que le gouvernement prenne des décisions qui diffèrent de nos recommandations. Ces divergences de vues ont donné lieu à une surenchère politique. Le fait que la ministre de la Santé prenne une autre décision ne veut pas dire qu’il existe un différend entre nous.
Pouvez-vous partager l’optimisme du gouvernement, qui réfléchit à des ouvertures début avril?
On a pu craindre que la situation dérape, ce qui ne s’est pas confirmé. Je suis optimiste sur le fait qu’il sera possible de continuer à maîtriser le nombre de nouvelles infections, à condition que la population continue à respecter les restrictions en vigueur. L’idéal serait que les chiffres descendent encore un peu plus. Nous disposons cependant aussi d’autres facteurs encourageants.
La récente hausse des hospitalisations et des décès ne pourrait-elle pas venir contrarier les plans de déconfinement?
L’augmentation des hospitalisations nous inquiète vraiment. Il faut continuer à suivre l’évolution de très près. Il se confirme que les variants ont pu avoir un impact sur la gravité de la maladie. Par la force des choses, les décès s’accumulent aussi. La moyenne d’âge reste largement au-dessus de 80 ans. Nous ne sommes pas confrontés subitement à des décès de personnes plus jeunes.
Des tensions ont aussi fait leur apparition entre la Santé et l’Éducation nationale. Comment jugez-vous la situation?
La Santé et l’Éducation nationale ont eu besoin de temps pour s’accorder sur une démarche commune. Nous collaborons très bien aujourd’hui, même si les points de vue sur les priorités peuvent toujours diverger. Un comité interministériel tranche en dernier lieu. Avec l’arrivée des variants, la sensibilité pour le volet sanitaire a sensiblement augmenté.
Entretemps, de lourdes critiques portent sur l’absence d’une base légale plus solide pour les restrictions prises dans les écoles. Le ministre émet des recommandations, qui sont accompagnées par des ordonnances du directeur de la Santé. L’État de droit est-il mis en péril?
Je comprends que l’opposition parlementaire revendique un renforcement du cadre légal. Elle est dans son rôle. Mais je dois aussi dire que les problèmes peuvent, la plupart du temps, être résolus par un simple appel téléphonique avec la direction d’une école ou un bourgmestre. Dans 99 % des cas, les gens coopèrent sans broncher.
Avez-vous trop de pouvoirs en tant que directeur de la Santé?
Si on lit à la lettre la loi de 1980 sur l’organisation de la direction de la Santé, je dispose en effet d’une très large panoplie de moyens. Mais, encore une fois, avant d’établir une ordonnance, je prends le téléphone et j’échange avec le directeur d’école ou le bourgmestre pour leur expliquer ce qui doit être fait. Sur le terrain, la situation est bien moins dramatique que ce que l’on pourrait penser.
En début d’année, de très grands espoirs étaient placés dans la vaccination. Les critiques contre la lenteur de la campagne ne diminuent pas. Des erreurs ont-elles été commises?
Le plus grand facteur qui nous a freinés est la faible quantité de vaccins qui ont pu être fournis. Les charges qui arrivent sont administrées au plus vite. Il ne faut pas oublier que les plus âgés sont quasiment tous vaccinés. Toutes les personnes de plus de 75 ans ont aujourd’hui obtenu une invitation. La phase 3 réservée aux 70-74 ans sera lancée en fin de semaine. Si on gagne encore 10 ans avec la vaccination des plus de 65 ans, on sera bien. Je n’ai aucune inquiétude que nous échouions, d’autant plus que les promesses de livraisons augmentent. Les premiers nouveaux vaccins de Johnson & Johnson ne devraient cependant pas arriver avant la mi-avril.
Seule la moitié du personnel extrahospitalier s’est fait vacciner, cela interroge. Ce chiffre doit vous inquiéter en tant que directeur de la Santé.
Il est clair que l’on doit pouvoir faire mieux. Les chiffres ne sont pas encore définitifs. Nous avons enregistré plus de 1 300 inscriptions sur la liste de rattrapage.
Le retrait provisoire d’une charge n’a fait qu’accentuer les craintes autour du vaccin d’AstraZeneca. Avez-vous des retours sur des personnes ayant refusé de se faire vacciner avec ce sérum?
L’efficacité du vaccin n’est plus à prouver. En Écosse, une étude ayant porté sur 5,4 millions de personnes en est venue à la conclusion que le taux de protection du vaccin d’AstraZeneca est même plus important que celui de BioNTech-Pfizer. Je ne nie pas qu’il existe des effets secondaires, mais ils restent très majoritairement bénins. Au Luxembourg, nous n’avons enregistré que deux ou trois cas avec des complications qui ont rapidement pu être maîtrisées. En fin de compte, très peu de personnes qui devaient être vaccinées avec AstraZeneca se sont désistées.
Ces derniers jours, un débat sur la gestion des doses restantes a été lancé. Quelle est la procédure dans ce cas de figure?
En principe, il n’existe aucun problème. On sait combien de personnes sont inscrites pour être vaccinées dans une journée. Il existe plus de variations auprès des équipes mobiles. Mercredi, par exemple, seules deux ou trois doses sur 800 qui avaient été préparées au centre de vaccination de la halle Victor-Hugo n’ont pas pu être administrées. Dans ce cas de figure, des membres du personnel de santé détachés dans un centre peuvent se faire vacciner. Arrivent ensuite d’autres personnels tels que des pompiers ou des membres de l’armée. En dernier lieu, la centrale du 112 peut nous envoyer des ambulanciers du CGDIS. Ces derniers jours, aucune dose n’a été jetée.
David Marques