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[Témoignage] Ce jour « où tout a basculé » et une vie avec le sida


S'il y a bien une chose que Patrick a dû affronter toutes ces années, plus encore que la maladie, c'est la bêtise. (illustration Editpress)

Patrick Wengler a 35 ans. Il aime l’art, le théâtre et profite de la vie à chaque instant, mais il est aussi séropositif. Depuis dix ans, il se bat pour la vie et le raconte sans tabou.

Il ne l’oubliera pas, cette année-là. Patrick Wengler avait 24 ans, le 28 février 2008, lorsque le diagnostic est tombé. Ce jour-là, celui où « tout a basculé », il l’a appris. Les mots ont été prononcés. « Vous êtes séropositif », lui a dit son médecin généraliste. Pourtant, malgré la gravité de la situation, le jeune homme, à l’époque, a mis du temps avant de réaliser ce qui lui arrivait.

Il était jeune, insouciant, « bête », selon lui. Il n’avait pas envisagé qu’un acte sexuel sans protection pourrait avoir un tel impact. Aux autres oui, mais pas à lui. Pourtant, il demandait régulièrement des tests de dépistage à son médecin généraliste, qui revenaient toujours négatifs. Mais pas cette fois.

Ni mélodrame ni colère

Pour autant, pas de mélodrame le jour de l’annonce ni même ceux qui ont suivi. « Je pense que je ne réalisais pas , avoue-t-il. J’ai donc gardé cela pour moi et j’ai continué ma vie sans trop y penser. » Pas de haine, non plus, pour celui qui l’avait infecté. « J’ai appris qu’il savait qu’il était séropositif quand on se voyait. Il me l’a dit à notre séparation. Pour être honnête, je ne lui en ai jamais voulu parce qu’il faut être deux pour un rapport sexuel. J’étais aussi fautif que lui, je n’avais rien fait pour me protéger. »

Pas de colère envers lui-même non plus : « À quoi cela aurait-il servi ?, demande-t-il, à part à ajouter du malheur à tout cela ? » Et après ? Comment en parler aux autres ? Aux proches, à la famille, aux amis ? « Je n’en ai pas parlé. L’une des premières choses que l’on m’a dites à l’hôpital était d’abord d’attendre avant de l’annoncer, car les réactions peuvent être négatives. »

Négatives pourquoi ? « Parce que dans la tête des gens, le sida, c’est contagieux, dit-il sereinement. Ça fait peur. C’est bizarre, parce que lorsqu’un malade du cancer annonce sa maladie, il y a généralement une réaction de compassion, de bienveillance. Lorsque l’on annonce que l’on est séropositif, la réaction peut être tout autre, et j’en ai fait les frais plus tard. »

Moins 20 kg en quelques semaines

Plus tard, c’était quelques mois après, lorsque Patrick Wengler est tombé gravement malade. « Mon cas s’est aggravé, raconte-t-il. J’ai perdu 20 kg en quelques semaines, j’ai eu une infection au visage. Lorsque les médecins m’ont vu, ils m’ont dit que là je n’étais plus seulement séropositif, j’avais atteint un stade critique : le stade du sida. Je n’avais plus d’immunité. Il fallait que je commence le traitement. » Il a alors commencé sa trithérapie et a subi les effets indésirables qui y sont associés : nausées, mal-être général, perte d’appétit…

Tous les jours, pendant « deux ou trois ans», Patrick Wengler prenait ses comprimés à la minute près. Sans quoi, il n’était plus protégé, le sida pouvait le tuer. Mais malgré tout, la maladie a repris le dessus en février 2009, période pendant laquelle il a, à nouveau, été hospitalisé.

« Je me suis dit que si je sortais vivant de cet hôpital, alors je parlerais à tout le monde de ce que j’ai », se souvient le jeune homme âgé aujourd’hui de 35 ans. C’est à ce moment-là qu’il en a parlé à sa famille, « en la préservant au maximum », et progressivement aux amis. « J’en avais marre d’être confronté à deux situations : celle où je devais trouver des excuses lorsque je prenais mes médicaments et celle qui m’obligeait à filer me cacher dans les toilettes pour les prendre sans me justifier. » Et à l’annonce, certains lui ont tourné le dos.

« Ce n’est pas frontal. C’est une tendance insidieuse. Les gens commencent par ne plus appeler, puis par ne plus venir au restaurant, puis par ne plus rien proposer. La distance se crée, rien n’est dit, mais j’ai compris qui sont mes vrais amis avec la maladie. »

Une pilule pour la vie

Aujourd’hui, finie la trithérapie, mais toujours cet unique médicament à prendre toutes les 24 heures. Et il y a des moments où « le simple fait de savoir que ma vie est accrochée à ce petit médicament me pèse ». Comme pour déclarer la guerre au sida, il avoue avoir « arrêté toute prise de médicament plusieurs fois », partagé entre l’envie de vivre « pour voir grandir (son) filleul » et la colère qu’il garde au fond de lui.

« Je me dis que ça profite quand même aux grands laboratoires pharmaceutiques. Je trouve aberrant qu’on ne trouve toujours pas de remède à ce jour, donc il m’est arrivé parfois d’être lassé et de laisser la pilule de côté. » Pour autant, Patrick Wengler vit normalement. Même si la maladie a changé son rapport à la sexualité et aux hommes de manière générale.

« Bien évidemment, depuis que j’ai été diagnostiqué, je me protège systématiquement lorsque j’ai un rapport sexuel. Mais il faut avouer que c’est très difficile de commencer une relation en avouant que l’on est séropositif. Ça peut faire peur et c’est normal. C’était déjà difficile pour moi de rencontrer le prince charmant en temps qu’homosexuel au Luxembourg, parce que le pays est tout petit, mais homosexuel et séropositif, ça complique les choses ! », dit-il en riant.

Mais pas de tristesse qui vaille pour lui : « Je fais du sport, je mange ce que je veux, je vais au théâtre, je fais plein de choses comme tout le monde », dit-il à tous ceux qui ne croient pas que c’est possible. « Et je ne transmets pas mon virus à ceux que je croise d’un regard », insiste-t-il. Car s’il y a bien une chose que Patrick Wengler a dû affronter toutes ces années, c’est la bêtise.

Il lutte contre les amalgames

« J’ai entendu des réflexions tellement idiotes de la part d’un ancien employeur. Quand il a su ce que j’avais, il m’a dit : ‘Mais enfin Patrick tu te rends compte que tu partages les toilettes avec tes collègues ?’ J’ai dû lui expliquer sereinement que le VIH ne s’attrape pas si facilement, qu’il faut qu’il y ait rapport sexuel, échange de seringue ou transfert de sang pour qu’il y ait un risque .» Depuis, il se bat pour dire à qui veut l’entendre que « non, on n’attrape pas non plus le sida parce qu’on a bu dans le verre d’un homme séropositif ni parce qu’on lui a serré la main ».

Ce qui devrait être évident et connu de tous de nos jours n’empêche pas les plus instruits de faire des amalgames… « Un jour, une infirmière qui tenait un centre équestre a refusé de m’embaucher parce qu’elle avait appris que je suis séropositif. Elle me l’a dit ouvertement. J’ai trouvé ça fou de la part d’une infirmière .» Pourquoi ne pas porter plainte ? « Parce que c’est fatigant de se battre contre l’ignorance et ça me demanderait trop d’énergie .»

Et cette énergie, c’est ailleurs que Patrick Wengler veut la mettre en s’engageant avec Paticka, l’association qu’il a créée fin 2010, dont le nom fait un doux écho au surnom que le filleul de Patrick Wengler lui donnait lorsqu’il était enfant. Paticka vise ainsi « à parler du sida à travers l’art, en organisant des expositions sur cette thématique, des pièces de théâtre, toutes sortes de manifestations artistiques qui facilitent l’approche de la maladie », explique son fondateur.

Sarah Melis

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