Dan Biancalana (LSAP) est le rapporteur du budget de l’État 2022. Le jeune député-maire de Dudelange va placer ses travaux sous le signe de l’équité et de la sécurité sociale. La lutte contre la crise du logement et le changement climatique ne seront pas négligés pour autant.
Rapporteur du budget 2020, Yves Cruchten (LSAP) avait mis l’accent sur le bien-être. Il y a douze mois, François Benoy (déi gréng) avait lui axé son rapport sur le budget 2021 sur une transition écologique équitable. Cette année, Dan Biancalana (LSAP) a été nommé rapporteur du budget 2022, qui doit poser les bons jalons pour la reprise postcovid.
Le concept de «sécurité», qui est à décliner en plusieurs aspects, va servir de fil rouge au député socialiste. Dans les deux mois à venir, Dan Biancalana décortiquera un budget aux contours suivants : 23,5 milliards d’euros de dépenses et des recettes à hauteur de 22,3 milliards d’euros. À la mi-décembre, l’élu socialiste soumettra son rapport à la Chambre des députés.
Devenir rapporteur du budget en tant que député qui n’effectue que son premier mandat n’est certainement pas chose aisée. Comment abordez-vous cette mission de taille?
Dan Biancalana : Je tente de me préparer au mieux à la tâche qui m’attend. La lecture de toute une série de livres portant sur le volet plus technique du budget de l’État fait partie de ces travaux préparatoires. À côté de l’aspect purement financier, le rapport du budget contient également une note plus personnelle avec les recommandations que le rapporteur émet lors de la présentation du document de synthèse qui viendra lancer à la mi-décembre les débats à la Chambre. Pour ce volet plus personnel, le rapporteur mène une série d’entrevues plus spécifiques avec des représentants qui sont actifs dans la thématique choisie pour son rapport.
L’exercice qui consister à rencontrer des acteurs de la société civile pour dresser le rapport sur le budget est assez récent. Quel est l’apport de ces échanges en dehors du cadre purement institutionnel?
Les deux volets sont importants. En tant que rapporteur, des réunions plus formelles sont prévues pour mieux prendre connaissance des priorités des différents ministères et pour récolter les avis des différentes institutions. Mais il est tout aussi important de partir à la rencontre de la société civile pour pouvoir se faire une image plus complète. Cet exercice est enrichissant, car il permet de prendre également connaissance des avis et propositions d’acteurs qui ne se trouvent pas dans le circuit institutionnel.
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Quel est le calendrier pour ces rencontres avec des acteurs de terrain?
J’ai eu une première série de contacts autour de la rentrée de septembre. Mon tout premier échange a eu lieu avec la Croix-Rouge, et ce n’était pas un choix anodin.
Justement, quelle est la thématique que vous avez choisie pour votre rapport?
Le mot-clé de mon rapport sera la sécurité. La crise sanitaire est venue nous démontrer combien il est important de pouvoir compter sur un État-providence fort. Avec la perspective d’une relance postcovid et d’une normalisation progressive, il importe de ne pas oublier certaines catégories de la population. La sécurité existentielle de tout citoyen doit être garantie, indépendamment de son âge ou de sa situation socioéconomique.
Le choix de la sécurité comme fil conducteur peut toutefois interpeller, au vu du débat actuel sur l’insécurité qui règnerait à Luxembourg…
Il ne s’agit certainement pas d’un clin d’œil à la sécurité dans l’espace public. Le concept de sécurité se décline en plusieurs aspects. L’intégrité physique en fait partie, mais il faut aussi pouvoir bénéficier de la sécurité que doit offrir l’État pour permettre aux citoyens d’assurer leur existence. Sont à citer les mesures qui sont à prendre pour permettre à tout un chacun de décrocher un emploi ou de pouvoir bénéficier d’une éducation équitable. La digitalisation constitue un autre défi où l’État doit éviter que des fractures ne se créent. Si j’ai choisi ce mot-clé, c’est aussi pour attirer l’attention sur la situation précaire que vivent certaines couches de la société. Toutes les mesures prises pour anéantir cette précarité vont permettre de renforcer la confiance des citoyens dans les institutions. Le concept de sécurité forme un tout. En soutenant les plus fragiles, on soutient aussi l’ensemble de la société.
Dans cet ordre d’idées, comment jugez-vous le projet de budget tel qu’il a été déposé par le ministre des Finances, Pierre Gramegna? Avec les investissements, la solidarité, le logement, la durabilité et la compétitivité, les bonnes priorités ont-elles été fixées?
En tant que rapporteur, vous avez le droit de vous positionner par rapport au budget déposé par le gouvernement. En même temps, vous vous devez de garder une certaine neutralité, nonobstant les recommandations qui sont formulées dans votre rapport. Les priorités qui ont été fixées s’inscrivent dans la logique de la relance postcovid, avec à la clé une normalisation progressive de l’économie et sans négliger l’aspect social. Il faut savoir d’où l’on vient, quelle est la situation actuelle et quel est l’objectif que nous souhaitons atteindre à court, moyen et long terme.
Votre président de fraction, Georges Engel, regrette que le gouvernement n’ait pas réussi à s’accorder sur des mesures sociales encore plus conséquentes. Aurait-il fallu agir davantage pour assurer la sécurité existentielle que vous comptez mettre en avant?
Les mesures sociales ne sont jamais de trop. Le volet social fait partie intégrante de l’ADN du LSAP. Il est donc très positif que les transferts sociaux représentent 47 % du budget pour 2022. Toute une série de nouvelles mesures ont été prises. Mon parti s’est accordé sur le besoin d’aller plus loin, mais en fin de compte, les trois partenaires de la coalition gouvernementale doivent pouvoir se retrouver dans le projet de budget.
Le Statec a mis en évidence le fait que sans les transferts sociaux le risque de pauvreté atteindrait 47,4 % de la population. En même temps, ces mêmes transferts ne permettent pas d’éradiquer le risque de pauvreté, qui pointe toujours à 17,4 %. Faudrait-il revoir la distribution de ces aides étatiques?
Les transferts sociaux sont une réaction par rapport à la situation qui se présente à nous. En termes de sécurité existentielle, il faut aussi prendre des mesures préventives. Il est toutefois positif de constater que, contrairement à d’autres pays, les inégalités sociales ne se sont pas aggravées lors de la crise sanitaire. Le paquet de mesures d’aides du gouvernement a contribué à limiter les dégâts. En même temps, il n’est pas question d’embellir la situation. Nous sommes conscients que le risque de pauvreté est très élevé, notamment parmi les monoparentaux.
Le LSAP annonce pour janvier un paquet pour plus de justice fiscale. Des premiers éléments des mesures qui seront proposées pourraient-ils déjà se retrouver dans votre rapport?
On entre ici dans une autre discussion. Ce n’est pas encore le moment d’en parler. Nous continuons à travailler sur ce paquet. Après la réforme fiscale de 2017, les propositions que l’on compte soumettre doivent permettre de continuer à décharger les ménages. Les crédits d’impôt sont une piste.
Le coût du logement reste le principal générateur de pauvreté au Luxembourg. Une taxe sur la spéculation foncière est enfin annoncée. Tout cela reste néanmoins assez vague. Pouvez-vous apporter des éléments plus concrets?
Je ne remets pas en question la promesse du dépôt d’un projet de loi endéans les douze mois à venir. Je sais aussi que les travaux préparatoires se poursuivent au sein du ministère de l’Intérieur. Les communes ont pour leur très grande majorité accompli leur devoir en votant des plans d’aménagement généraux (PAG) de nouvelle génération. Les PAG seront décisifs pour pouvoir évaluer la valeur des terrains et définir leur taxation. La politique du logement ne se limite toutefois pas à l’impôt foncier ou à une taxe sur la spéculation. La future obligation de viabiliser un terrain constructible dans un délai précis, faute de quoi le terrain est reclassé en zone verte (« Baulandvertrag« ), est à citer, tout comme l’est le Pacte logement 2.0 qui doit, lui, permettre la construction de plus de logements abordables, qui resteront dans la main publique.
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La Chambre immobilière, représentant notamment les promoteurs, a rapidement fustigé le projet d’une taxe sur la spéculation. Elle dénonce bien plus la lenteur administrative qui préside à la réalisation d’un nouveau lotissement. Quelles sont vos expériences en tant que bourgmestre d’une ville comme Dudelange?
Comme bourgmestre, j’ai assisté à la réalisation rapide de projets de construction, peu importe que ce soit la commune ou un promoteur privé à la manœuvre. Nous avons bien entendu aussi connu des projets où, en raison de certaines obligations environnementales, le temps de réalisation s’est allongé. L’envergure du projet est aussi à prendre en considération. La situation n’est donc ni toute noire ni toute blanche.
La forte hausse des prix de l’énergie n’a pas vraiment été mentionnée lors de la déclaration sur l’état de la Nation ou lors du dépôt du budget. Est-il envisageable que la Chambre prenne une initiative pour inscrire une aide dans le prochain budget?
Une première réaction à la flambée des prix de l’énergie est la hausse annoncée de 200 euros par ménage de l’allocation de vie chère. Les différentes communes ont la possibilité d’augmenter à leur tour les aides pour soutenir les ménages en difficulté.
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Le rapporteur du budget 2021, François Benoy, avait fortement mis l’accent sur la transition écologique. Quelle importance allez-vous accorder à la politique climatique?
Comme évoqué, le volet social va constituer mon principal point d’attaque. Cela ne veut pas dire que le climat sera négligé. Pour revenir au concept de la sécurité existentielle, l’encadrement social des mesures climatiques ou encore la lutte contre la précarité énergétique doivent être pris en compte. L’objectif doit être de convaincre tous les citoyens de participer à l’effort.
Parmi les critiques émises par l’opposition parlementaire figure celle que le projet de budget donne l’impression que la crise est derrière nous. L’optimisme affiché est-il démesuré?
L’optimisme prôné par le ministre Gramegna reste modéré. D’un côté, les indicateurs confirment la relance qui se profile à l’horizon. La croissance est estimée à 6 %, le chômage est retombé à 5,5 %, la dette publique va rester en dessous des 30 % du PIB annuel. La vigilance reste toutefois de mise, car nous ne sommes pas encore entièrement sortis de la crise. La politique budgétaire menée en 2020 et 2021 nous permet toutefois de mettre aujourd’hui en œuvre des mesures sociales supplémentaires.
Serez-vous quand même à l’écoute des propositions d’amendement qui viendront des bancs de l’opposition?
L’opposition est certainement dans son rôle lorsqu’elle soumet des propositions alternatives. Il faut toujours être à l’écoute, mais aussi savoir quel est l’impact financier des mesures proposées et si elles entrent dans le cadre global du projet de budget. Un budget avec ses recettes et dépenses définit toujours le chemin choisi par un gouvernement pour atteindre un objectif précis.
Il est grand temps d’abandonner le dogme qu’une dette est d’office quelque chose de mauvais
Une autre critique majeure concerne la hausse de la dette publique et l’absence de mesures pour rembourser les emprunts contractés. Le gouvernement joue-t-il avec le feu?
Il faut toujours garder à l’œil l’évolution de la dette publique. En même temps, il est grand temps d’abandonner le dogme qu’une dette est d’office quelque chose de mauvais. Signer des emprunts permet en contrepartie de faire des investissements majeurs qui permettent, eux, de relancer la croissance. En procédant de la sorte, on réussit aussi à financer les mesures sociales, qui, elles, débouchent sur une hausse du pouvoir d’achat.
David Marques