Le Premier ministre persiste et signe. Le style Bettel n’a rien à voir avec celui de son prédécesseur. Il avait promis un travail d’équipe et il se traduit dans les faits.
Le référendum occupe son esprit. Bien sûr. Le résultat ne le mettra pas à mal dans la mesure où il ne s’agit pas de voter pour ou contre le gouvernement. Mais pour Xavier Bettel, il en va de la modernisation d’un pays qui en a bien besoin s’il ne veut pas être comparé à Dubai sur le plan démocratique.
Le Quotidien : Quand on voit le débat qui déborde, très souvent, concernant le droit de vote des étrangers, vous ne regrettez pas d’avoir opté pour le référendum?
Xavier Bettel : Non. Moderniser un pays ne trouve pas toujours l’approbation et le moderniser par voie référendaire n’est pas du tout dans les habitudes des Luxembourgeois et on le remarque très bien. Mais faire de la politique et avoir des convictions, c’est aussi accepter qu’elles ne soient pas partagées par tout le monde. Nous allons laisser les gens trancher sur cette question de société qui est parmi les plus importantes, et si je suis prêt à franchir ce pas, on voit bien qu’une partie de la population, elle, n’est pas prête à le faire.
N’empêche que la campagne a débuté il y a longtemps déjà sur les réseaux sociaux et forums internet et que l’on assiste à une forme d’affrontement entre les « oui » et les « non » qui n’est pas toujours très heureuse…
Je vois qu’il y a surtout un grand travail d’information et d’éducation à mener pour comprendre ce que c’est qu’un référendum. Éducation pour expliquer ce qu’est la participation citoyenne et information, parce qu’il y a eu beaucoup d’intox. On interprète souvent les questions de manière à faire peur aux gens. La phrase type « je ne suis pas raciste, mais… » est très répandue et je le dis encore une fois, ici on donne un miroir aux gens et on leur demande quel Luxembourg ils veulent demain. C’est un choix personnel, pas un choix de parti politique. Si le non gagne, je ne vais pas sortir renforcé, mais ce n’est pas le but de ce référendum qui est une occasion unique de moderniser le pays. Cela m’inquiète de savoir qu’aux prochaines élections législatives, 40 % de la population en état de voter décidera seule de la politique de ce pays.
Cela n’a pas l’air de chagriner les ardents partisans du non…
Les gens doivent se souvenir d’où l’on vient, savoir où l’on est et s’interroger sur ce que l’on serait si le Luxembourg ne devait compter que sur sa main-d’œuvre. Les propos diffamatoires et xénophobes font très mal et j’aimerais simplement pouvoir échanger directement avec les gens qui les tiennent. Je lis par exemple que les familles syriennes que nous accueillons n’ont qu’à retourner d’où elles viennent parce qu’elles n’ont rien à faire ici. C’est dit par des gens qui n’ont jamais connu de conflits, qui n’ont pas dû fuir leur pays et tout abandonner derrière eux. Pour un Luxembourgeois, cela signifie abandonner sa nouvelle télé, son nouvel ordinateur et sa voiture devant la porte. Il faut que l’on réfléchisse.
Comment définiriez-vous l’identité luxembourgeoise?
C’est une identité qui a évolué. On a été français, autrichiens, hollandais, espagnols et enfin luxembourgeois, mais c’est encore assez récent. L’identité et la citoyenneté, c’est encore différent. Se sentir citoyen quelque part ne veut pas nécessairement dire que l’on a le passeport qui correspond à ce pays. Il faut arrêter de tout confondre.
Il y a confusion au sein de votre propre parti qui, selon les sondages, se montre très partagé. Cela vous surprend-il?
La situation a évolué entre deux sondages. Beaucoup de gens avaient des a priori, mais il y a eu un travail d’information qui a porté ses fruits. Il y a un mois, les résultats étaient très partagés pour le DP et aujourd’hui la tendance s’est inversée. Je me suis rendu aux congrès régionaux, aux réunions d’information et j’ai rencontré nos membres. Quand on discute et on échange avec eux, on arrive à les convaincre. C’est ce que l’on doit faire encore ce mois-ci. Je ne veux pas dire que je vais réussir à inverser la vapeur, mais je donnerai toute mon énergie pour essayer de convaincre.
Le président du DP que vous êtes part en campagne, mais pas le Premier ministre. Vous tenez à faire cette distinction?
J’ai dit ce que j’avais à dire en tant que Premier ministre sur ce référendum et je trouve que la déclaration sur l’état de la Nation était le bon moment pour m’exprimer en tant que chef d’un exécutif formé par trois partis. Cette déclaration est un état des lieux dans lequel on décrit ce qui se passe dans le pays et ne pas parler du référendum aurait été irresponsable. J’ai fait et dit ce qu’il y avait à en dire et à partir de maintenant, c’est Xavier Bettel président du DP qui part en campagne.
Le gouvernement ne pouvait-il pas mener campagne pour le oui?
Si le gouvernement menait une campagne pour le oui, il utiliserait de l’argent public pour ce faire, alors que le camp du non n’aurait pas ces mêmes moyens. On a préféré ne pas le faire en tant que gouvernement, mais en revanche, les partis le font c’est différent.
«Je ne vais pas réinventer tout le programme de la coalition »
En cas de victoire du non, le droit de vote des étrangers ne sera plus un sujet d’actualité pour de nombreuses années. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation de Charles Goerens?
Oui, c’est sûr. Je ne peux pas poser la même question l’an prochain! Si les électeurs disent non, je devrai laisser un délai s’écouler. C’est une question de société qui est importante à trancher. Il faut que les choses soient claires : nous n’avons pas de majorité politique, alors si les électeurs peuvent dire « mais nous on est pour » ce serait un signal fort.
Vous cumulez les mandats de Premier ministre et président de votre parti. Vous reproche-t-on ce cumul?
Non. J’ai été élu pour trois ans et je terminerai mon mandat l’année prochaine. Je ne sais pas si je serai encore candidat l’année prochaine, la décision sera prise en temps voulu. J’ai été élu à la tête du parti pour faire un bon résultat aux élections législatives de 2013, je pense que j’ai accompli ma mission. Je ne m’accroche pas à ce poste, mais je terminerai mon mandat.
Le Luxembourg prend la présidence du Conseil de l’UE en juillet dans la foulée du référendum. On évoque toujours ce signal fort que le pays pourrait envoyer à ses partenaires. Ne serait-il pas temps d’instaurer une véritable citoyenneté européenne?
En Angleterre, les pays du Commonwealth peuvent déjà voter, donc il faut qu’on arrête de dire que c’est inédit en Europe. Maintenant, il y a des pays qui ne sont vraiment pas prêts à franchir le pas. On a beau retourner le problème dans tous les sens, il n’y a pas un autre pays européen où seuls 40 % de la population élisent leurs représentants. Aux prochaines élections, quatre personnes sur dix vont pouvoir dire si elles sont satisfaites de ma politique ou non! Aucun autre pays au monde, sinon Dubai, n’arrive à notre niveau de déficit démocratique. Je ne pense pas que ce soit un exemple à suivre.
Votre déclaration sur l’état de la Nation a suscité nombre de critiques de la part de l’opposition. A-t-on encore trop tendance à comparer le style Juncker avec le style Bettel?
Bettel n’est pas un one man show. Bettel est le chef d’une équipe et quand un travail a été mené à bien par certains collègues, pourquoi ne pas leur laisser la possibilité de le présenter? J’ai donné l’exemple dans ma déclaration sur l’état de la Nation de la loi sur l’accès des citoyens à l’information. Une promesse de Jean-Claude Juncker en 2007 déjà. Mon gouvernement l’annonce et dépose un projet de loi dans la foulée. J’entends encore de la part du CSV ce reproche d’avoir encore parlé du chômage des jeunes. Mais je tiens à leur signaler que j’en ai parlé l’année dernière et que j’en parlerai encore l’année prochaine! Chaque année, j’annonce un programme pour les douze prochains mois. J’ai présenté un programme gouvernemental pour cinq ans et la semaine dernière, j’ai rappelé où nous en étions. Je ne vais pas réinventer tout le programme de la coalition à chaque déclaration sur l’état de la Nation. Ce n’était pas à moi de présenter la réforme du congé parental dans la mesure où la ministre Corinne Cahen était déjà prête à le faire. C’est son dossier. Je n’allais pas non plus m’étendre sur le problème de l’immigration, vu que Jean Asselborn avait développé le sujet une semaine plus tôt.
Il reste néanmoins des sujets qui n’ont pas été abordés, comme la réforme fiscale. Vos adversaires du CSV en ont profité pour laisser entendre que les partenaires de la coalition ne seraient pas d’accord entre eux, d’où un silence remarqué…
Ils en rêvent! Ils essayent de croire que l’on se retrouve dans leur situation quand ils étaient encore membres du gouvernement. Mais je tiens à leur dire que la coalition marche très bien. On s’écoute et on se respecte. Quant à la réforme fiscale, nous avons annoncé la couleur : nous allons alléger le fardeau des classes moyennes. Un impôt sur la fortune? Cette idée des socialistes n’est pas dans le programme de coalition et même nos partenaires, par exemple Dan Kersch, n’en veulent pas tel qu’il est appliqué en France. Nous avons différents groupes de travail qui planchent sur cette réforme et nous avons besoin de chiffres pour projeter différents scénarios. Il est important de faire une analyse fine. Mais j’estime avoir abordé beaucoup de sujets dans ma déclaration. J’avais envie d’être plus global cette année et c’est le discours de Bettel au nom du gouvernement.
Vous allez bientôt connaître « le plus beau jour de votre vie », comme le veut l’expression consacrée. Comment vous sentez-vous?
C’est un moment que je partage avec des gens qui me sont proches et j’espère que vos lecteurs sont aussi heureux que moi.
Entretien avec Geneviève Montaigu