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Bettel et Macron face aux citoyens : « Nous avons oublié ce qu’apporte l’Europe »


Les deux chefs d'État ont emporté la foule avec eux lors d'un débat passionné et passionnant. (photo Julien Garroy)

Durant deux heures, jeudi après-midi, Emmanuel Macron et Xavier Bettel ont débattu des enjeux européens avec le public de la Philharmonie. Une Europe qui protège, qui va vers plus d’intégration, qui va au clash avec les nationalistes.

Reportage d’Hubert Gamelon

Non, Emmanuel Macron n’était pas venu à Luxembourg pour «s’immiscer dans l’agenda des législatives luxembourgeoises», comme l’a soupçonné un journaliste en conférence. «J’en serais bien incapable», a expliqué le président français, qui n’a d’ailleurs pas hésité à montrer des désaccords avec Xavier Bettel, malgré une proximité politique évidente.

Si ces consultations européennes tombent à cette date, c’est que «nous avons prévu une restitution pour le mois de décembre». Des consultations, en donnant la parole aux citoyens sans filtre ? Oui. C’est ce qu’on a pu constater dans les travées très garnies de la Philharmonie, avec pêle-mêle : des lycéens, des retraités, des actifs, des immigrés fraîchement arrivés au Luxembourg, des interlocuteurs (un peu) fâchés avec le monde libéral, des femmes en colère… Extraits choisis.

L’Europe, une abstraction ? Bettel donne le ton

Devant une salle qui s’est tue comme des enfants quand on raconte une histoire, Xavier Bettel a donné le ton de la consultation avec superbe. Ses grands-parents? Juifs des pays de l’Est, cathos luxembourgeois, athées français. «Et moi, j’ai étudié en Grèce grâce à Erasmus. Et moi aujourd’hui, je suis marié à un Belge. À une autre époque, ou dans un autre lieu, j’aurais pu être condamné à mort pour être celui que je suis.»

«Nous avons oublié ce qu’apporte l’Europe.» C’est le même message que délivre Emmanuel Macron. «L’histoire du Premier ministre luxembourgeois, c’est l’histoire de milliers d’Européens. Quand j’ai commencé ma campagne présidentielle en France, on disait que j’allais dans le mur, pour plusieurs raisons, notamment parce que je mettais des drapeaux européens partout dans mes meetings. On a oublié ce moment exceptionnel que nous vivons, je le dis d’autant plus ici, dans l’ancienne Lotharingie (NDLR : référence à la confluence des cultures germanique et latine). Et on laisse le terrain aux partisans de visions autoritaires et nationalistes.»

L’Europe, un modèle usé

Pour Xavier Bettel, inutile de rêver d’une Europe fédérale, comme le lui demande un homme au micro. «Brexit, migration, Turquie, État de droit en Pologne… Parlons unis sur ces sujets-là, et nous verrons le reste après!» Et d’enfoncer le clou : «Si on n’arrive pas à avancer à 28, avançons à moins ! Je suis pour une coopération renforcée sur certains dossiers.»

Pour Emmanuel Macron, l’Europe n’est pas parfaite non plus. Et il prend l’exemple simple de la protection militaire, l’un des pouvoirs de base d’un espace politique. «Je ne suis pas un ‘eurobéat’, lance-t-il. De quoi se nourrissent les populismes? De notre absence de résultats. Comment obtenir de meilleurs résultats ? En fixant le cap d’une Europe souveraine qui protège. Le Fonds européen de la défense que nous avons mis en place (NDLR : pot commun), cela va dans le sens du concret. Et il faut aller plus loin! La Finlande et les États baltes, qui craignent le comportement de leur voisin (NDLR : la Russie), se tournent vers l’OTAN pour leur protection. Non, c’est l’Europe ! Je veux une vraie solidarité de défense européenne.»

L’Europe ultralibérale… Le ver est dans le fruit ?

Un jeune homme, visiblement remonté contre le libéralisme, prend le micro. Il estime, en gros, que ni Bettel ni Macron, deux libéraux, ne pourront contrer la montée des populismes en Europe. «Car vos politiques en sont la cause !» Le débit est fleuve, il faut l’interrompre plusieurs fois.

C’est principalement Emmanuel Macron qui répond. «Je ne suis pas un ultralibéral, parce que je ne crois pas au moins disant économique et social. Je suis pour le productivisme en revanche : avant de mieux répartir les richesses, il faut les produire. Cela induit une certaine compétitivité. Mais je crois en une Europe qui définit ses standards, qui ne cède pas à tout sur le marché.»

On en vient à l’épineuse question de la fiscalité européenne, et de cette fâcheuse manie qu’ont les grosses boîtes de rapatrier les bénéfices dans les pays à basse taxation (dont le Luxembourg)… Plus tôt dans la journée, lors d’une conférence réservée à la presse, le Premier ministre luxembourgeois a dit qu’il ne serait pas opposé à des solutions européennes «limitées dans le temps» pour imposer les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple, etc.). À condition qu’une solution plus globale émerge au niveau de l’OCDE à l’expiration d’un délai.

Emmanuel Macron a salué la volonté de ces «Sunset clauses».

Mais pour le Premier ministre luxembourgeois, il est hors de question de sacrifier la «compétitivité européenne» si le monde avance sur un autre rythme. Le caractère limité dans le temps devrait rapidement montrer des limites, vu que les solutions mondiales sur la question apparaissent lointaines.

Écologie : France et Luxembourg, mauvais élèves de l’UE ?

C’est une lycéenne à la voix assez frêle, mais elle ne s’est pas laissée démonter : «Le Luxembourg, avec 5% d’énergie consommée produite de façon renouvelable et la France, avec le départ de Nicolas Hulot et le nucléaire, peuvent difficilement parler d’écologie, non ?» Bim ! Xavier Bettel se lance le premier. «J’ai un petit pays, vous avez vu ? Si je mets des éoliennes partout, même dans la Pétrusse, les autres vivent où ?» La salle rit. «Nous menons des projets, mais nous avons aussi une politique au Luxembourg, qui consiste à investir dans des parcs énergétiques propres à l’étranger. Et en cela, je le souligne : le Luxembourg n’investira jamais dans le nucléaire !» Applaudissements de la salle. Xavier Bettel plaide par ailleurs pour des mécanismes pénalisant les pays qui font du «dumping écolo», comprendre, qui ne tendent pas vers les mêmes critères de production qu’au Luxembourg. «Il y aurait une belle ‘liste noire’ à établir !»

Emmanuel Macron ne tourne pas autour du pot non plus. «C’est gentil de nous alerter. Mais nous ne sommes plus à l’époque de l’alerte. Et quelque part, c’est le cri du cœur de Nicolas Hulot. L’alerte, c’était mon anté, antéprédécesseur (NDLR : Jacques Chirac qui disait «La maison brûle et l’on regarde ailleurs»). Maintenant que le péril est concret, on fait quoi? Pour la France, je crois défendre un plan climat inédit : on me dit que le problème n°1 sont les émissions de CO2 ? La France sera le premier pays au monde à fermer toutes ses centrales à charbon ou aux énergies thermiques. Le nucléaire ? Il n’émet pas de CO2. Il permet d’asseoir une souveraineté énergétique, et de ne pas dépendre de pays qui défendent des valeurs différentes de celles de l’Europe. Nous pourrons parler d’un plan de sortie du nucléaire (NDLR : qui produit des déchets sur des millions d’années) quand nous saurons stocker l’énergie verte. C’est la recherche, notamment européenne, qui doit accélérer (…) La plupart des gens qui avancent des principes, il faut qu’ils viennent m’aider dans le concret.»

Migrants, Italie… Comment répondre à la fracture européenne ?

Une dame du public, d’origine italienne, se dit attristée par la situation en Italie qui voit débarquer des centaines de migrants chaque jour. Elle lance à Emmanuel Macron, que par ailleurs elle «aime» (le président français s’en pince les lèvres), que «l’Italie a été laissée seule». «L’Italie en est là, parce que l’Europe n’a pas été solidaire. On peut répondre en étant ferme et efficace, en ne reniant pas nos valeurs européennes.» En clair : la «responsabilité» des pays côtiers qui doivent ouvrir leur port et la «solidarité» européenne qui organise la répartition ou pour d’autres cas le renvoi des migrants. «Pendant 30 ans, nous avons trop cédé à un dogme en Europe : le marché unique, ce n’est pas l’absence de règles. On a créé des perdants profonds, on a trahi le projet européen, il faut que cela cesse.»

Pour Xavier Bettel, la situation est aussi la suivante : «La crise migratoire est derrière nous, puisque nous avons réduit les flux de 90%. Qui sont ceux que nous devons accueillir ? Ceux qui ont une heure pour partir de leur pays, chassés par la guerre ou par diverses formes d’intolérance. Pourquoi des Syriens arrivent au Luxembourg ? Ils ne veulent pas mieux vivre, ils veulent juste vivre ! Si l’Europe n’ouvre pas ses portes dans ces cas-là, je ne comprends plus rien à notre ADN.»

Femmes asservies dans le monde, que fait l’Europe ?

Une jeune femme a poussé un coup de gueule terrible dans l’assemblée, mettant en cause les relations normalisées de l’Europe avec des pays comme l’Arabie saoudite, où les femmes sont oppressées, tout comme les minorités sexuelles. C’est Emmanuel Macron qui a répondu dans un grand moment de vérité. «Je ne vais pas chercher un succès d’estrade en vous disant que je condamne l’Arabie saoudite, puisque vous citez ce pays. Tout ce que vous dites est vrai. En temps qu’Européens, notre rôle est d’aider les réformateurs à faire évoluer leur pays (NDLR : référence à Mohamed ben Salmane, le prince héritier de 32 ans). Je ne veux pas condamner les réformateurs en les agrégeant aux pires obscurantistes de leur pays. On se voit assez régulièrement, pour parler de tout. Et je lui demande à chaque fois comment ça évolue sur ces points, l’Europe demande des signaux positifs réguliers : je le vois, je ne l’interpelle pas depuis une estrade. C’est mon efficacité, tout comme votre coup de sang est salvateur.»

Dis Emmanuel, quand est-ce qu’on va dans l’espace ?

Un jeune homme a posé la question de la stratégie spatiale européenne. Dans un jeu comique assez délicieux, Xavier Bettel a roulé des épaules et a dit : «On a des programmes assez intéressants (NDLR : space mining) au Luxembourg, la France nous rejoint quand elle veut !» Emmanuel Macron a souri. Mais préfère mettre en garde contre une concurrence féroce des nouveaux acteurs américains, «capables d’envoyer des satellites à bas coût. Il faut une réponse européenne : c’est la stratégie New Space dont je suis partisan, qui couvre autant les domaines civils et militaires, que ce marché américain des petits lanceurs».

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