Il n’y a pas que dans les gigantesques Delhi ou Bombay que la situation est catastrophique, les campagnes indiennes et le voisin népalais étouffent, eux aussi, du Covid-19.
Malades qui meurent devant les portes des hôpitaux, crématoriums de fortune installés sur des parkings, 412 000 nouveaux cas recensés hier et près de 4 000 décès en seulement vingt-quatre heures… L’Inde est complètement submergée par cette nouvelle vague de coronavirus. Et le bilan qui fait état de 230 000 morts à ce jour pourrait bien être largement sous-évalué. «Pour certains experts, entre des dissimulations volontaires de la part des autorités et les personnes qui meurent chez elles et ne sont pas comptabilisées, ce chiffre pourrait être en réalité 5 à 10 fois supérieur !», fait savoir Françoise Binsfeld, directrice de l’association Aide à l’enfance de l’Inde et du Népal (AIEN).
L’AIEN, qui met en œuvre des projets de développement en Inde et au Népal depuis près de 55 ans essentiellement dans les domaines de l’éducation, la santé, les revenus, l’agriculture et les droits humains, travaille actuellement avec 11 partenaires dans 5 États en Inde et 16 districts au Népal afin de venir en aide aux plus démunis pendant cette période très difficile. Françoise Binsfeld échange quotidiennement avec les membres de ces associations pour prendre le pouls de la situation et évaluer les besoins.
Ils lui ont confirmé la gravité de la situation. Le système de santé indien, déjà fragile, est au bord de l’effondrement. «Il manque de tout : de l’oxygène, du matériel, du personnel, des lits.» Et il n’y a pas que les mégapoles Dehli et Bombay qui souffrent : la situation dans les zones rurales (où vivent 70 % des Indiens) et les bidonvilles est aussi «très critique», alerte Françoise Binsfeld. «Partout, des confinements stricts ont été déclarés, mais c’est insuffisant. Souvent les maisons ne comportent qu’une ou deux pièces, c’est donc très difficile pour les familles nombreuses de s’isoler. Il faudrait aussi plus de tests pour couper la chaîne de transmission du virus et vacciner plus.»
«Ce dont nous avons le plus besoin, ce sont de la nourriture et du matériel médical de base, comprenant des bouteilles d’oxygène, des oxymètres, des thermomètres et des masques de protection. Des « kits médicaux » qui fonctionnent comme des trousses de premier secours», témoigne Anuradha Mohanty, directrice PECUC, partenaire de l’AIEN en Odisha.
Un manque de moyens auxquels s’ajoutent un manque d’informations (qu’essaient de parer les partenaires de l’AIEN en diffusant des spots radiaux sur les gestes barrières et les campagnes de vaccination dans différentes dialectes) ainsi que des problèmes d’ordre culturel : la religion est une composante essentielle pour les Indiens et nombreux sont ceux à n’avoir pas renoncé aux festivals qui ont drainé des milliers de personnes. «C’est aussi la saison des mariages, souligne Françoise Binsfeld. Il y a habituellement des centaines d’invités! Le gouvernement a limité le nombre à 20 personnes, mais c’est toujours trop.»
Situation critique au Népal aussi
D’autant que la vaccination est problématique. Si le gouvernement a ouvert la vaccination depuis le 1er mai à 600 millions d’adultes, les doses manquent, mais en outre, pour en bénéficier, il faut s’enregistrer en ligne ou via une application mobile. «Les personnes les plus marginalisées ou dans les bidonvilles n’y ont pas forcément accès. Nos partenaires interviennent donc aussi à ce niveau pour les aider et assurer le suivi pour la deuxième dose. Mais la tâche est titanesque.»
Et la cascade de problèmes ne s’arrête pas là : comme dans d’autres pays, les revenus des familles pâtissent de la crise sanitaire, tout comme l’éducation des enfants et la santé mentale des individus. Pis encore, «le travail des enfants, les mariages forcés et la violence au sein des familles ont aussi augmenté au cours de cette année de pandémie», prévient Françoise Binsfeld.
Mais si le géant indien avec son milliard et demi d’habitants capte actuellement toute l’attention, la situation est tout aussi dramatique chez son voisin népalais, avec lequel il partage 1 800 kms de frontière ouverte. Le Népal croule en effet lui aussi sous le nombre de malades et son système de santé fragile étouffe. «Il y avait environ 100 nouveaux cas par jour en début d’année. Désormais, ce sont plus de 7 000 nouvelles contaminations quotidiennes avec un taux de positivité de plus de 39 %. Et encore, le Népal teste peu! De plus, l’Inde est habituellement un partenaire privilégié, mais elle ne peut plus exporter actuellement», alerte Françoise Binsfeld.
Une aggravation qui serait due notamment aux mouvements de population : «Les Indiens avaient transité via Katmandou pour pouvoir voyager dans d’autres pays jusqu’à l’interdiction formulée par le gouvernement népalais. Mais, en plus, des centaines de milliers de Népalais travaillent en Inde et sont rentrés lorsque les confinements y ont été décrétés. De même, des milliers de résidents des villes népalaises sont retournés dans les villages, propageant d’autant le virus», explique Françoise Binsfeld.
«La situation est vraiment complexe : nos partenaires tombent aussi malades et en plus, contrairement à d’autres situations d’urgence où nous pouvions intervenir tout de suite sur le terrain, comme après le tsunami en Inde ou le tremblement de terre au Népal, là, il faut évaluer le risque d’abord», conclut la directrice de l’AIEN.
L’AIEN lance un appel aux dons pour aider les plus vulnérables. Les dons peuvent être faits directement sur le compte bancaire de l’ASBL : CCPL LU03 1111 0367 5084 0000, avec la mention «Covid-19»; ou ou en ligne sur www.aein.lu/faites-un-don/.
Tatiana Salvan