Deux fronts se tiennent tête : le SPFP autour de Christian Schleck et l’état-major de l’armée qui veut se prémunir d’un scandale. Le syndicat a livré sa version détaillée de l’affaire mardi, malgré des zones d’ombre.
Ces tensions entre l’armée et ses représentants syndicaux auraient commencé en 2006, année de la nomination de Jean-Louis Schiltz au ministère de La Défense, selon Patrick Frantz, ancien président du SPAL (syndicat professionnel de l’armée). Lui-même aurait subi des pressions de la part de l’état-major. Il aurait été forcé de porter l’affaire face au tribunal administratif. «La hiérarchie a toujours tenté de faire pression sur les représentants syndicaux avant les assemblées générales du SPAL. Elle a souvent par le passé essayé de faire exploser notre comité», affirme-t-il. «Il est temps d’en finir!»
Christian Schleck ne serait dans ce cas qu’un bouc émissaire «muselé» pour l’exemple par la grande muette. Le SPFP – auquel appartient le SPAL – est en effet persuadé que l’état-major de l’armée a voulu faire taire son vice-président et président du SPAL. Mardi, le comité du SPFP – ou ce qu’il en reste après la désertion de trois membres du SPAL – est revenu sur l’affaire dans les moindres détails de ce qui lui était permis de dire. Preuves à l’appui, le syndicat a expliqué pourquoi il faisait front commun derrière Christian Schleck et défendait coûte que coûte le principe de la liberté syndicale. Et pourquoi il continue de demander la tête du chef d’état-major de l’armée, le général Duschène.
Pour rappel, Christian Schleck avait dû quitter manu militari son poste au bureau d’information de l’armée. L’affaire remonte au mois de mai dernier. Une demi-heure avant l’assemblée générale du SPAL, alors qu’il s’apprêtait à critiquer le régime de travail de l’armée, Christian Schleck avait reçu un «message d’intimidation» le convoquant à un rendez-vous pour «discuter de son avenir au sein de l’armée» alors qu’il avait été convoqué à un entretien individuel le surlendemain.
«Le SPFP n’abandonnera pas»
Lors de cet entretien, on lui avait fait comprendre «par oral et par écrit» que «son activisme syndical posait problème pour l’exécution de la tâche à laquelle il était affecté» au bureau d’information de l’armée. Une nouvelle affectation lui avait été proposée. Christian Schleck avait marqué son désaccord bien que les jeux soient déjà faits pour lui. Dans l’armée, on ne refuse pas un ordre.
L’état-major, quant à lui, se défend – mal, selon le SPFP – d’avoir voulu porter atteinte à la liberté syndicale et met notamment en avant une rotation de poste intervenant «tous les trois ou cinq ans». Les deux adversaires s’affrontent autour de Christian Schleck et de son sort jusqu’au 26 novembre dernier, quand le SPFP réclame la tête du chef d’état-major après avoir énuméré les manquements dans l’armée et les incohérences administratives de l’affaire Schleck.
Qui a tort ? Qui a raison ? L’affaire est complexe et présente de nombreuses zones d’ombre, et ce, d’autant que le SPFP se dit contraint d’en taire certains aspects. Notamment concernant la nouvelle affectation de Christian Schleck au bureau d’ordre de l’armée. Cette nouvelle mission ne lui permettrait plus de s’exprimer dans le cadre de ses activités syndicales. Il serait tout bonnement contraint d’y renoncer s’il souhaite rester militaire, selon le SPFP. Une énième preuve pour le syndicat que l’armée veut le «museler».
Pourquoi ne pourrait-il pas s’exprimer dans le cadre de cette mission et qu’est-ce que le bureau d’ordre de l’armée? Ni le SPFP ni Christian Schleck et son avocat n’ont souhaité s’avancer. «C’est top secret. Nous ne pouvons pas vous répondre, car nous pourrions avoir des problèmes», assure Pascal Ricquier, le président du SPFP. Des peines au pénal et une radiation de l’armée sont évoquées. Les mêmes représailles que risquerait Christian Schleck s’il enfilait aujourd’hui sa casquette de représentant syndical.
Départements secrets, manquements à la procédure légale relative à un changement d’affectation qui ont mis Christian Schleck devant le fait accompli de sa réaffectation, quiproquos autour de la signature de Christian Schleck des documents actant de sa réaffectation, tentatives de justification «maladroites» de la part de l’armée… L’affaire Schleck est complexe et n’est pas près d’être terminée. «Le SPFP n’abandonnera pas jusqu’à ce que justice soit faite dans ce dossier où le public concerné a clairement été induit en erreur», note le SPFP qui affirme que l’état-major a proféré «nombre d’affirmations inexactes» qui avaient pour but d’entraîner la «destruction entière et systématique, publique et privée, de Christian Schleck».
L’antagonisme semble venir du fonctionnement même de l’armée, basé sur l’ordre et la discipline, qui est diamétralement opposé au fonctionnement syndical qui remet en question et bouscule l’ordre établi.
Sophie Kieffer