Jean-Claude Juchem souligne la volonté de l’Automobile Club (ACL) de jouer un rôle actif pour rendre la mobilité de demain plus durable. Le directeur général de l’ACL déplore toutefois un manque d’esprit d’ouverture de la part du gouvernement, notamment pour installer plus de bornes de recharge.
L’ACL est souvent considéré comme le lobby des automobilistes. Faux, répond Jean-Claude Juchem. «Nous soutenons toute forme de mobilité», souligne le directeur général de l’ACL, non sans attirer l’attention sur le manque actuel de solutions de remplacement viables pour troquer l’énergie fossile contre des sources d’énergie plus durables. Il revient aussi sur la flambée des prix énergétiques et l’impact de la taxe carbone.
Dans le cadre de son 20e anniversaire, la rédaction du Quotidien a identifié la mobilité comme un des défis majeurs que le Luxembourg aura à affronter dans les 20 ans à venir. Quel regard portez-vous sur ce thème ?
Jean-Claude Juchem : La mobilité est un besoin élémentaire pour tout un chacun. On parle tous les jours de cette thématique. Nous la subissons aussi en partie. La mobilité n’est plus prévisible comme elle a pu l’être par le passé. Le simple calcul entre vitesse et distance à parcourir n’est plus valable.
Se retrouver pendant des heures dans les bouchons affecte aussi notre qualité de vie. D’un autre côté, il s’agit d’une nécessité. Si vous voulez trouver un logement abordable, il faut s’éloigner du centre du pays. Soit vous choisissez la périphérie, soit vous traversez la frontière. Plus vous habitez loin, plus vous êtes dépendant de votre voiture pour vous rendre au travail.
La mobilité et le logement constituent donc un seul et même défi ?
Il faut les considérer ensemble. Aller travailler est une nécessité économique. Les navetteurs ne choisissent certainement pas délibérément de se retrouver dans les bouchons.
Dans ce contexte, je suis étonné de voir que le formulaire sur l’actuel recensement de la population ne comporte que trois questions liées à la mobilité. Il s’agit d’une occasion ratée si l’on veut collecter des informations et mieux planifier les solutions de mobilité de demain.
Pensez-vous que les problèmes liés à la mobilité soient aussi dus à un retard dans la construction des infrastructures nécessaires ?
Il faut prendre en considération le développement fulgurant du Luxembourg. Aux 635 000 habitants viennent s’ajouter tous les jours 470 000 salariés. Il s’agit de 270 000 résidents et de 200 000 frontaliers. Qui aurait vu l’économie prendre un tel envol ? L’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) nous a informés que dans les cinq ou six ans à venir quelque 50 000 frontaliers supplémentaires vont venir s’ajouter.
Il s’agit de chiffres gigantesques. Notre petit pays voit presque doubler sa population tous les matins. Des projets d’infrastructure sont planifiés sur une durée de 20 ou 30 ans. Il est donc difficile d’évaluer quelle est l’importance du retard accumulé. En même temps, il faut constater que sur les 20 dernières années, presque rien n’a bougé, ni au niveau de l’infrastructure routière ni au niveau de l’infrastructure ferroviaire.
Quel est le rôle que la voiture aura à occuper dans la mobilité de demain ?
On revient à la question de la distance à parcourir entre logement et lieu de travail. Si l’on reste obligé d’aller habiter loin en raison des prix et que le réseau de transports publics n’est pas assez dense, ces navetteurs n’ont pas d’autre option que la voiture. Il faut aussi prendre en compte la question du travail posté qui concerne 20 % de la population active.
Sur les 180 collaborateurs que compte l’ACL, deux tiers sont, faute de choix, obligés de venir travailler avec leur voiture. Une étude menée avec la Centrale de mobilité (Mobiliteit.lu) est parvenue à ce résultat. Ce n’est pas une question de volonté, mais d’offre adéquate.
L’ACL, souvent considéré comme le lobby des automobilistes, n’est donc pas fermé à des alternatives à la voiture ?
Je tiens à prendre clairement position. Notre carte de membre est liée à la personne, indépendamment du fait que cette personne se déplace à pied, à vélo, à moto ou en voiture. Nous soutenons toute forme de mobilité. Cette année, l’ACL a créé la Maison du cycliste afin de promouvoir le vélo comme alternative, le tout en collaboration avec la FSCL (NDLR : la Fédération du sport cycliste luxembourgeois) et le Script, une unité du ministère de l’Éducation nationale.
Vient de s’y ajouter la Maison du motard, mise en place avec une quinzaine de clubs. Beaucoup de gens continuent toutefois à nous considérer comme le lobby de l’automobiliste. Pourquoi ? Parce que la voiture reste encore souvent la solution offrant le plus grand confort de vie. Mais si l’on veut fluidifier le trafic, il faut miser sur d’autres formes de mobilité.
Et qu’en est-il du bus, du train ou du tram, qui ont bénéficié d’importants investissements ?
Les attrayantes infrastructures de transport public construites en Ville sont surtout utilisées par les quelque 120 000 habitants de la capitale. S’y ajoutent les navetteurs arrivant en train et en bus, ce qui correspond à un chiffre comparable.
L’ensemble du pays paie toutefois pour ces infrastructures sans pouvoir bénéficier d’un réseau de transport public aussi performant. Une mobilité moderne doit savoir allier le transport en commun et les déplacements individuels.
Vous avez évoqué votre contact avec l’UEL. Vu la création continue d’emplois, quelles peuvent être les autres solutions de remplacement pour améliorer la mobilité ?
Le coût économique des bouchons est énorme. En tant qu’ACL, nous venons de prendre l’initiative de collaborer de plus près avec les entreprises. L’idée est d’évaluer l’inventaire de leur parc automobile et d’analyser leur empreinte carbone. Nous avons décidé de lancer un sondage afin de pouvoir établir une cartographie reprenant les problèmes existants.
L’ACL propose aussi désormais, en coopération avec l’université du Luxembourg, une formation en « mobility management » destinée aux responsables pour l’acquisition et la gestion de la flotte automobile d’une entreprise. Ces personnes pourront devenir les ambassadeurs pour promouvoir diverses approches en termes de mobilité.
La nécessité de se diriger vers une mobilité plus durable et verte est donc bien ancrée dans vos réflexions ?
Absolument. Nous disons aussi très clairement que la mobilité doit être plus propre. C’est une évidence. Nous devons toutefois être réalistes. Le parc automobile national compte actuellement quelque 440 000 voitures, dont 25 % de véhicules qui ont plus de 10 ans. Il est faux de dire qu’une telle voiture ne peut plus servir.
Par contre, si je regarde le nombre de voitures de 15 ou 20 ans, je me demande si cela n’a pas de lien avec la situation économique du pays. Quelque 17 % de la population se trouve déjà dans une situation financière précaire. Cela n’incite pas vraiment à acheter une nouvelle voiture.
Quel est l’impact de l’électromobilité ?
Elle peut contribuer à cette incertitude. Si l’industrie automobile sort tous les six mois ou tous les ans un nouveau modèle avec une autonomie grandissante, l’acheteur tend à attendre que la technologie soit au point avec une autonomie qui ne se limite pas à 300 ou 500 km, mais qui me permette de rouler 700 km et plus.
A lire aussi ➡ Pourquoi le nombre de voitures électriques augmente au Luxembourg ?
Il faut aussi prendre en considération les batteries. Avec une production qui est lancée en Europe, les prix pour les voitures électriques vont encore partir vers le bas. L’attentisme reste donc de mise.
Partant de ce constat, comment jugez-vous l’engagement pris par une série de pays à la COP26, dont le Luxembourg, d’interdire le moteur à combustion dès 2030 ?
Il faut soumettre cette question aux producteurs automobiles. En fin de compte, ce sont eux qui vont décider du rythme pour sortir du moteur à essence. L’Allemagne s’est opposée à cette initiative, car nos voisins veulent donner plus d’importance aux e-carburants qui permettront de faire fonctionner les moteurs thermiques sans émissions de CO2.
Il ne faut également pas être fermé à d’autres solutions technologiques, telles que l’hydrogène. Le message important est que ce n’est pas le moteur à combustion qui pose problème, mais l’énergie fossile qui est utilisée pour le faire tourner. Cela vous sert à quoi de définir une date butoir sans savoir si des options viables seront alors prêtes à être employées ?
Vous avez déjà critiqué le retard pris pour installer des bornes de recharge au Luxembourg. Comment la situation a évolué ?
Une voiture électrique à elle seule ne sert à rien. Il faut disposer d’un réseau pour charger ces véhicules. Les capacités sont toutefois limitées. De plus, il manque encore des alternatives électriques aux véhicules utilitaires, comme nos dépanneuses et véhicules de service.
Cette transition doit être bien pensée et planifiée en termes de logistique. Les simples annonces ne suffisent pas. Quelque 800 bornes devaient être installées avant la fin de cette année. Nous n’en sommes qu’à 550 unités.
Comment expliquer ce décalage entre ambition et réalité ?
Personne ne nie l’urgence de sauver la planète. Mais pour avancer, il faudrait que le gouvernement s’unisse avec les distributeurs automobiles, les garagistes ou encore l’ACL pour définir les étapes de la route que nous devons prendre ensemble.
Cette feuille de route doit être réaliste et payable. La transition verte doit aussi être bien planifiée, afin d’offrir une plus grande prévisibilité aux secteurs concernés. Si par après, nous arrivons à une électrification de 80 % au lieu de 100 %, nous aurons déjà fait un grand pas en avant. Il faut cesser l’affrontement entre deux camps.
Revenons au temps présent et à la flambée des prix énergétiques. L’ACL s’est joint dans un premier temps au camp de ceux qui réclament un gel de la taxe carbone. Jeudi, vous avez affirmé sur les ondes de RTL que l’impact d’un tel gel serait très limité.
(Il coupe) Ce n’est pas ce que j’ai dit. Il faut prendre en compte l’ensemble des facteurs qui définissent le prix d’un litre de carburant. Si l’on sait qu’il n’existe pas encore de solution de remplacement viable, il faudrait prendre le recul nécessaire et peut-être revoir à la baisse les accises ou la TVA.
Car je n’arrive pas à comprendre les gens qui s’insurgent contre une taxe carbone qui les force à dépenser 70 euros de plus pour rouler 20 000 km par an. Cela peut toutefois représenter beaucoup pour les gens vivant dans la précarité, raison pour laquelle il faut leur offrir des aides plus ciblées.
Les appels à renoncer à la hausse de la taxe carbone pour anéantir la flambée des prix énergétiques se multiplient toutefois…
Il faudrait demander au Premier ministre pourquoi il n’a pas du tout évoqué cette flambée des prix lors de sa déclaration sur l’état de la Nation. Est-ce que cette problématique n’impacte pas le pays ? En même temps, personne ne sait vraiment comment sont investies les recettes générées par la taxe carbone.
Ce qui importe, ce n’est pas le montant de la taxe carbone : le calcul du prix du carburant devrait être revu dans son ensemble. Et puis, il faut miser sur des alternatives aux énergies fossiles. En tant qu’ACL, nous voulons figurer parmi les précurseurs pour tester de véritables solutions de mobilité différentes. On dépend des producteurs, mais là, on se retrouve au point mort…
A lire aussi ➡ ACL : un été sur tous les fronts
Entretien réalisé par David Marques
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter quotidienne.