Accueil | Dossiers | Abus sexuel sur mineur : le cas du coach luxembourgeois pose question

Abus sexuel sur mineur : le cas du coach luxembourgeois pose question


Plus de 17 000 mineurs sont enregistrés à la Fédération luxembourgeoise de football. Les adultes qui les encadrent sont très peu contrôlés, notamment à propos d'éventuels antécédents judiciaires. (illustration AFP)

Le Quotidien révélait, le 15 janvier, la mise en détention provisoire d’un entraîneur de football pour violation de son contrôle judiciaire dans le cadre d’une affaire d’abus sexuels sur mineurs. Entre présomption d’innocence et protection des victimes, ce cas met en lumière une faille et suscite de nombreuses interrogations.

Quand a-t-il été mis sous contrôle judiciaire ?

L’affaire démarre au début de l’année 2015 par un signalement effectué au commissariat de police d’Esch-sur-Alzette au sujet d’un entraîneur de football suspecté d’être l’auteur d’attouchements sexuels sur mineurs. Après plusieurs semaines d’investigation, la section protection de la jeunesse de la police judiciaire rédige en juin un procès-verbal qui, le 10 juillet, débouche sur la convocation de l’individu dans le bureau du juge d’instruction du tribunal de Luxembourg, qui le place aussitôt sous contrôle judiciaire. Une mesure lui interdisant, entre autres, d’entrer en contact avec des mineurs mais aussi les victimes présumées, puisqu’il s’avère qu’on en compte plusieurs dans ce dossier. Et, selon nos informations, les enquêteurs n’écartent pas l’éventualité que d’autres se fassent connaître prochainement.

Que s’est-il passé le 18 novembre 2015 ?

Placé sous contrôle judiciaire le 10 juillet, l’individu en a enfreint les conditions en rejoignant le FC Differdange 03. Ne se doutant pas une seconde de la situation juridique du jeune homme, le club lui confie la responsabilité d’une équipe d’enfants. Six semaines s’écoulent jusqu’à ce que l’information parvienne aux oreilles de la police qui prend aussitôt contact avec le club afin d’interpeller le technicien en douceur. Et c’est donc sans heurt que le 18 novembre, aux alentours de 18h, l’individu est arrêté par deux agents de la police judiciaire. Depuis cette date, il se trouve en détention provisoire au centre pénitentiaire de Schrassig.

Comment a-t-il pu trouver un club ?

C’est sans doute la question la plus récurrente dans cette affaire : comment un individu placé sous contrôle judiciaire pour abus sexuels depuis plusieurs semaines a-t-il pu être engagé par un club et se retrouver au contact de mineurs ? Poser cette question suppose l’existence d’un fautif. Or il ne s’agit pas tant de fautes que de failles. La principale est d’ordre juridique. En effet, par définition, le contrôle judiciaire est une mesure à laquelle recourt le juge d’instruction durant le temps de l’enquête, afin de concilier les libertés individuelles de l’accusé avec la protection de la société. Cette décision n’a pas valeur de jugement et ne peut donc, par conséquent, figurer dans le casier judiciaire de l’individu.

Délivrer un extrait de son casier judiciaire est-il une obligation ?

Si les entreprises conventionnées par l’État ont l’obligation – en théorie – de vérifier le casier judiciaire de leurs employés, il n’en est rien pour les clubs ou associations pour qui cette consultation n’est qu’un simple droit devant s’effectuer avec l’accord du principal intéressé. Une démarche n’étant pas entrée dans les mœurs. «Franchement, je n’ai jamais demandé le casier judiciaire à quelqu’un et je ne connais aucun club qui le fait», confie, sous le couvert de l’anonymat, le président d’une commission de jeunes d’un club de football de Division nationale, qui estime que «cette démarche devrait être rendue obligatoire». Cette procédure, la Fédération luxembourgeoise de football (FLF) affirme, par la voix de son juriste, Marc Diederich, y avoir recours «automatiquement pour chacun de (ses) employés».

La justice a-t-elle averti le club ou la FLF ?

Non. Et c’est ce que regrette Marc Diederich : «Cette décision (NDLR : la mise sous contrôle judiciaire de l’entraîneur) n’est jamais parvenue au club concerné ni à la fédération. Et c’est évidemment un problème. C’en est même le cœur.» Au siège de la fédération, rue de Limpach à Mondercange, la révélation de cette affaire a provoqué une véritable onde de choc. «On était outrés, confie Diederich. Consternés que quelque chose comme ça puisse se produire, car, même si ça reste un cas exceptionnel, c’est évidemment un cas de trop !» Un cas qui permet de resituer les responsabilités des différentes parties. Ainsi, comme l’explique l’homme de droit, «la FLF n’a aucun droit de regard sur le choix des employés d’un club qui reste une ASBL».

Que dit le parquet ?

Contacté, le porte-parole du ministère de la Justice estime que l’enquête a suivi son cours comme le prévoit la loi et qu’il n’y a aucune faille dans ce dossier. «La procédure a été respectée à la lettre et si faute il y a, elle est uniquement imputable» à l’auteur présumé des faits. Quant à la mise en place d’un système d’alerte nationale, «ce serait une chose presque impossible à réaliser en raison de la présomption d’innocence».

Charles Michel et Claude Damiani

Le gouvernement muet ou presque…

Des trois ministres sollicités par Le Quotidien, en raison de leurs portefeuilles respectifs, seul Romain Schneider, en charge des Sports, s’est exprimé sur «l’affaire».

Le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, Claude Meisch, a fait savoir, par la voix de sa porte-parole, qu’il ne pouvait pas s’exprimer au sujet de la personne actuellement sous les verrous à Schrassig. «Les personnes n’étant pas employées professionnellement par le ministère ne sont pas sous ma responsabilité», a déclaré l’ancien bourgmestre de Differdange, qui a également refusé de livrer une réaction d’ordre général, sous le prétexte que ce dossier «ne figure pas dans (son) domaine de compétences».

Également contacté, le ministre de la Justice, Félix Braz, est aussi resté bouche cousue. Son assistant personnel et conseiller de gouvernement a en effet transmis la requête du Quotidien au parquet. Raison invoquée au ministère de la Justice pour justifier ce silence ? «Le ministère de la Justice ne s’immisce pas dans les affaires soumises à la justice, car ces dernières relèvent des prérogatives des instances judiciaires», rapporte-t-on du côté du parquet. Comprendre que le pouvoir exécutif (ministère de la Justice dans ce cas) n’entend pas s’ingérer dans une affaire en cours d’instruction. Et l’inverse est également valable, puisque le parquet n’a pas souhaité faire de déclaration d’ «ordre politique» et s’est cantonné à dévoiler certains détails relatifs à l’aspect purement pénal de «l’affaire», dans les limites imposées par le secret de l’instruction néanmoins.

Schneider recommande le casier judiciaire
Le questionnaire, envoyé par nos soins, les invitait simplement à livrer leur sentiment sur cette affaire, les conclusions qu’ils pouvaient en tirer mais aussi une autre question peut-être plus embarrassante : «Y a-t-il, selon vous, un moyen de remédier à ce qui semble être un vide juridique ?» Soit des questions loin d’être taboues et a priori à la portée de tout ministre gouvernant un État démocratique comme le Luxembourg. Mais peut-être aurait-il fallu d’emblée contacter le Premier ministre, puisque les membres de son gouvernement ne semblent pas autorisés à s’exprimer, au nom de la sacro-sainte séparation des pouvoirs, théorisée par Locke et Montesquieu.

Mais fort heureusement, le ministère des Sports, lui, a bien voulu s’exprimer. Le ministre Romain Schneider a en effet déclaré : «En tant que ministre des Sports, je n’ai pas eu connaissance des faits invoqués dans l’article de presse en question jusqu’à sa publication vu qu’il s’agit d’un dossier suivi par les instances judiciaires.» Cela étant, le ministre a cependant tenu à rappeler que «la loi du 29 mars 2013 relative à l’organisation du casier judiciaire et aux échanges d’informations extraites du casier judiciaire entre les États membres de l’Union européenne prévoit dans son article 9 que toute personne physique ou morale se proposant de recruter une personne pour des activités professionnelles ou bénévoles impliquant des contacts réguliers avec des mineurs reçoit, sous condition de l’accord de la personne concernée, le relevé de toute condamnation pour des faits commis à l’égard d’un mineur ou impliquant un mineur, et pour autant que cet élément soit constitutif de l’infraction ou qu’il en aggrave la peine».

Enfin, Romain Schneider a également tiré ses propres conclusions : «En tant que ministre des Sports, je ne peux dès lors que recommander aux fédérations et associations sportives de faire usage de cette possibilité.»

Claude Damiani

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.