À l’occasion des élections législatives, Le Quotidien passe à table à l’heure du petit-déjeuner avec les têtes de liste ou les candidats emblématiques. Pour un échange libre et dépourvu de langue de bois.
Son bracelet en tissu ne le quitte pas depuis le début de la campagne. Son rouge délavé prouve qu’il a déjà bien vécu, mais le slogan «Zesummen» se détache encore très bien du bout de tissu. La tête de liste nationale du Parti socialiste retrousse ses manches et commande son cappuccino que le barman de la Brasserie Guillaume, Dino, a l’habitude de lui préparer.
Étienne Schneider apparaît frais comme un gardon et paré pour l’exercice qui l’attend. Une routine pour celui qui donne «une interview par semaine» à la presse internationale pour vanter l’avenir des ressources spatiales, cette industrie de l’ère nouvelle sur laquelle il a misé en créant un cadre législatif attractif destiné aux acteurs privés désireux d’exploiter les matériaux disponibles sur les astéroïdes en s’implantant au Luxembourg. «Je suis convaincu que les effets sur l’économie luxembourgeoise seront positifs», dit-il serein.
Des industriels allemands l’invitent à venir faire des discours sur son projet d’exploitation de l’espace et pour Étienne Schneider, toutes ces sollicitations sont bonnes pour le nation branding. Mais ce qu’il veut par-dessus tout c’est être prophète en son pays et faire refléter cette image de visionnaire sur toutes les façades du Grand-Duché. «Je ne me lance pas dans la bataille pour une deuxième place», aime à répéter le leader des socialistes. Il s’engage pour un poste de Premier ministre avec la même bande de copains. «Xavier et Félix sont des vieux amis et cette coalition, c’est surtout une histoire de copains ce qui n’existait pas avant», confie-t-il.
Avant, il y avait un seul homme fort aux manettes et c’était Jean-Claude Juncker. «Il s’immisçait dans tout et ne faisait que de la politique politicienne», rappelle-t-il, persuadé que «cela n’arrivera plus car jamais un Claude Wiseler ne pourra avoir cette assise». Ceci dit, il l’aime bien son adversaire : «On se connaît depuis longtemps, notre relation est amicale, c’est quelqu’un de sympa et de gentil», juge le candidat socialiste.
L’État-providence
Étienne Schneider est plus difficile à résumer. Au sein de son propre parti, bien qu’élu haut la main par ses camarades qui en ont fait leur fleuron, Étienne Schneider passe pour un libéral bon teint qui pourrait aussi bien se fondre dans le DP. Lui n’a pas l’impression de défendre tous les soirs lors des meetings et autres happenings, autre chose qu’un programme de gauche. «Quand l’État se porte bien, il faut un projet social», défend-il.
Il est l’homme qui veut incarner ce projet social et n’a pas peur de dépareiller. «Cette réputation de libéral, c’est le sort de tous les ministres socialistes de l’Économie. Mais je suis là, comme le ministre des Finances, pour gagner l’argent que les autres membres du gouvernement vont dépenser. C’est bien ainsi, je suis en faveur de l’État-providence», plaide-t-il.
Gagner de l’argent est une mission qui lui convient. Faire venir les investisseurs, chercher des nouveaux créneaux, accueillir les industriels, c’est son dada. Il ne comprend pas les réticences autour de l’installation d’une usine de yaourts comme Fage et pire, cela l’inquiète fortement. «Si nous ne sommes plus capables d’accepter une laiterie high-tech à 100% qui certes consomme de l’eau, mais qui la traite ensuite, alors je me demande quelle autre industrie nous allons autoriser.»
Il ne parle pas des rentrées fiscales qu’une telle société peut représenter. Il s’est lamentablement planté en avançant le chiffre de 60 millions pour Fage avant que le magazine en ligne Reporter ne rectifie le tir et ne ramène ce chiffre à moins de 500 000 euros. «C’est une erreur de mes services qui m’ont renseigné sur le résultat consolidé de l’entreprise au niveau mondial.» De toute façon, les impôts, ce n’était pas son argument, comme il le précise.
Les 38 heures maintenant
Ce qui l’intéresse, ce sont les 200 emplois qui seront créés. Et là, il défend la réforme de l’Adem menée tambour battant par son camarade de parti, Nicolas Schmit. «Des entreprises comme la laiterie s’adressent à l’Adem pour trouver le personnel dont elles ont besoin et si le chômage baisse c’est bien parce que ces programmes fonctionnent bien», démontre-t-il. Il ne pense pas forcément à 200 frontaliers pour occuper les postes, comme le craint François Bausch en pensant au réseau routier déjà sursaturé de tous les côtés. Étienne Schneider pense à la réduction du chômage et à la croissance retrouvée sous cette législature. «La prochaine étape, c’est réduire les inégalités», annonce-t-il. C’est son plan.
Il n’a pas peur de se fâcher avec les patrons en proposant une réduction du temps de travail «qui tombe sous le sens», selon lui. «La digitalisation et la robotisation vont permettre aux patrons une plus grande productivité avec moins de salariés alors rien n’empêche d’introduire les 38 heures, secteur par secteur», suggère-t-il.
Il n’est pas emballé par la proposition du DP de réduire l’imposition des PME car, selon lui, «la demande n’est pas là». En revanche, il veut bien étudier la question pour les petites entreprises, en compensation de la réduction du temps de travail. Il n’en démord pas. «Quand on est passé de 44 à 40 heures par semaine, les patrons voyaient déjà la fin du monde arriver et finalement on a vécu nos trente glorieuses», ironise-t-il.
«Tout le monde doit pouvoir profiter de la croissance. Au Luxembourg, cela a toujours été le cas mais pas depuis la crise. Or on ne peut faire de progrès sociaux qu’en période faste», souligne Étienne Schneider.
Le LSAP s’y est retrouvé
Il commande un deuxième cappuccino, boit un verre d’eau et réserve une pensée pour les patrons «avec qui il faut discuter». Et les syndicats ? «Il faut discuter avec les syndicats», admet-il. Et il regrette que l’OGBL ne «s’engage pas plus aux côtés du LSAP». Là encore, il ne comprend pas ces réticences. «Si le LSAP n’est plus au gouvernement, ce n’est pas bon pour l’OGBL», prévient-il.
Il a peur de la Gauche ? «Tout siège qui passe du côté de déi Lénk, c’est tout bon pour la droite», poursuit-il. «Si on veut un acteur de gauche, il faut soutenir l’original», dit-il sobrement. Le problème, il le connaît. «Le LSAP est obligé de gouverner sans pouvoir réaliser tout son programme vu qu’il participe à une coalition.» Ce n’est pas une situation unique, mais c’est plus mal vécu chez les socialistes. Toutefois, Étienne Schneider, se rattrape : «Mais pendant cette législature, nous avons réalisé pas mal d’objectifs.» Ça va donc mieux.
Il veut dire par là, que la cohabitation avec les verts et les Bleus a mieux fonctionné qu’à deux auparavant. Et qu’il n’y a pas de raison de s’arrêter en si bon chemin. Alex Bodry et sa sortie sur l’absence de programme commun entre les trois partenaires de la coalition, c’est du passé. D’ailleurs, il n’a jamais voulu dire ça, son copain Alex. «Dans son esprit, il pensait que chacun allait mener sa campagne avec son programme et après étudier la possibilité de faire un deuxième projet commun et c’est tout à fait possible puisque nous avons des tas de projets engagés. Je pense à la stratégie de Rifkin où nous en sommes qu’au début et je veux absolument poursuivre ce projet», insiste-t-il.
Le CSV ? «Léthargique»
Il est tout feu tout flamme quand il évoque la possibilité de continuer sur sa lancée, mais son visage s’assombrit quand il songe à une autre éventualité, celle de voir les chrétiens-sociaux revenir aux commandes. «Ce qui m’effraie avec les chrétiens-sociaux, c’est toutes leurs contradictions dans leur soi-disant plan. J’ai vraiment peur que ce pays s’endorme avec eux», balance-t-il avant de critiquer leur programme qui n’invente rien, selon lui, et «qu’ils veulent poursuivre ce qui est en place». Là encore, il conseille «de garder l’original»…
Lui ne compte pas s’endormir ni se reposer sur ses lauriers. La tête de liste des socialistes voit la vie en rose et écarte toute possibilité de fragilisation du système social auquel il tient. «C’est notre job de faire en sorte que les pensions soient assurées pour les générations futures et pas de faire peur aux gens», tacle encore une fois Étienne Schneider. Pour lui, le CSV dessine tout en noir, a peur de l’avenir et peur d’agir.
Lui il voit une usine comme Goodyear installée, une usine 4.0 qui fonctionnera avec 70 salariés à la place de 500 pour une production identique. «La digitalisation va nous garantir une croissance élevée mais avec moins de salariés. Nous sommes arrivés en haut de la vague, le taux d’emploi va décroître maintenant», prédit-il.
Pour les prochaines élections, il ne prédit rien. Mais il veut être le prochain Premier ministre et emmener son parti dans le camp des vainqueurs. Sinon, l’opposition ne lui fait pas peur. Comme ils disent tous.
Geneviève Montaigu