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Un prévenu au «charme superficiel»


Une quinzaine de témoins se sont succédé à la barre pour dresser le portrait du prévenu et de sa victime présumée. (Photo : archives LQ)

Saïd encaisse sans sourciller les nombreuses critiques à son égard depuis une semaine. Le séducteur en quête de reconnaissance perd de sa superbe au fil des témoignages.

Mon ancienne belle-mère disait toujours que Saïd était comme un serpent qui ne laissait pas mon ex-femme respirer. Je pensais qu’elle exagérait, mais avec ce que nos deux enfants me racontaient, j’ai fini par avoir des doutes», a témoigné l’ancien époux de la victime présumée de Saïd mardi matin en ce début de deuxième semaine du procès d’un jeune entrepreneur suspecté d’avoir séduit Jiaoli pour profiter de son patrimoine.

Les témoignages s’enchaînent depuis une semaine et tous reflètent une personnalité manipulatrice et transpirent la peur que le prévenu aurait fait régner dans l’entourage de sa victime présumée, obligée de fuir en Chine, son pays d’origine, pour essayer de rompre l’emprise.

«Mon ex-femme m’a dit que c’était un grand monsieur, un prince marocain. J’ai respecté son choix», a expliqué le restaurateur à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. «Saïd avait toujours un air mystérieux, bizarre.» Le «charme superficiel» évoqué par l’expert en neuropsychiatrie qui a examiné le prévenu?

Le médecin évoque un manipulateur exerçant «un mélange de violence et de séduction» pour parvenir à ses fins, «présentant des traits de personnalité dyssociale». Elle expliquerait «sa tendance à se déresponsabiliser».

«Que quelques petits appartements à louer»

En ce qui concerne ses affaires, le prévenu «entretient un flou artistique», estime l’expert qui aurait eu du mal à comprendre les liens existant entre ses différentes entreprises. «Quand je lui posais des questions plus précises, il ne comprenait plus le français», note-t-il. Pour lui, le trentenaire ne souffre pas de maladie psychiatrique et serait accessible à une sanction pénale.

Une ancienne secrétaire de l’entreprise de Saïd confirme ce «flou artistique». «Le salaire nous était donné en liquide par Jiaoli. (…) Tout le monde, des ouvriers au chef en cuisine, était payé en liquide.» La jeune femme rapporte des méthodes de gestion peu conventionnelles. Le prévenu l’aurait obligée à filmer les ouvriers pour s’assurer qu’ils travaillaient, à ne pas conserver de traces écrites ou à travailler au restaurant de Junglinster. «Il m’arrivait de faire serveuse, la plonge ou les livraisons.»

Elle faisait un peu de tout comme la victime présumée. Le prévenu, lui, «ne faisait rien». «Je ne sais pas si la société tournait», indique la jeune femme. «Il n’avait que quelques petits appartements à louer.» Parfois sans contrat de bail, les locataires ne restaient pas assez longtemps, précise la témoin.

Signature imitée, harcèlement, accusation de vol

Après le départ de Jiaoli pour la Chine, la jeune femme démissionne. Elle dit avoir été harcelée au téléphone par Saïd et un entrepreneur qui a pris le jeune homme sous son aile. «J’avais peur qu’il revienne me faire du mal. Je me suis barricadée chez moi. Il était déjà venu et criait», note-t-elle, évoquant l’emprise que le prévenu aurait exercé sur elle. Lui encaisse, placide, depuis le banc des prévenus.

Bavarde, la jeune femme n’hésite pas à enfoncer son ancien patron. Saïd aurait imité sa signature à quatre reprises sur des contrats de bail et sur son contrat d’embauche qu’il aurait falsifié. La jeune femme ajoute qu’un mois après avoir démissionné, Saïd l’a notamment accusé du vol d’une voiture qu’il avait vendue à son époux.

Un dernier témoin enfonce le clou. Il juge le travail de rénovation effectué par Saïd sur son ancien restaurant et les logements attenants vendus à la victime présumée «très peu professionnel».

«On peut se demander d’où venait son argent»

Interrogé par la présidente de la chambre criminelle sur ses impressions concernant le prévenu, il a répondu : « Difficile à dire… Saïd et Jiaoli se sont tous les deux fait passer pour ce qu’ils n’étaient pas. Lui se présentait comme un grand investisseur.» «On peut se demander d’où venait son argent», a constaté la présidente. Le témoin aurait préféré éviter de faire des affaires avec lui. «J’avais l’impression de perdre mon temps. J’ai arrêté de répondre au téléphone», assure-t-il.

En raison de sa complexité et la personnalité de ses protagonistes, l’affaire dépasse l’histoire d’amour qui a mal fini. Le montant total et la nature des transactions entre les deux anciens amants restent nébuleux pour les enquêteurs et le parquet.

Jiaoli livrera sa version des faits aujourd’hui et demain. Le prévenu aura la parole vendredi. Puis, ce sera au tour des avocats de la défense et de la partie civile, ainsi que du parquet jeudi et vendredi de la semaine prochaine.