Le procès contre ce restaurateur de 47 ans poursuivi pour avoir exploité entre 2011 et 2014 quatre personnes en situation précaire s’était ouvert début mars devant la 18e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement. Une seule audience n’avait pas suffi pour clôturer les débats. C’est pourquoi une nouvelle date avait dû être fixée.
« J’ai fait des erreurs. Mais maintenant je connais la loi luxembourgeoise. Je sais que je dois la respecter à 100 %. » Tels étaient les mots du prévenu lundi matin à la barre. « J’ai payé mes employés, mais je n’ai pas de justificatifs. Car je leur donnais l’argent dans la main », a-t-il poursuivi.
Pour rappel, les quatre victimes entendues début mars avaient toutes témoigné avoir travaillé plus de huit heures par jour dans le restaurant à Luxembourg et n’avoir pas reçu le salaire dû. « Ce n’était jamais huit heures! », avait souligné un jeune homme de 26 ans qui affirme avoir touché en moyenne autour de 300 euros par mois. Comment expliquer qu’il ait continué à travailler dans de telles conditions? « Il me donnait l’espoir de rester au Luxembourg », avait-il répondu.
Un autre employé, qui avait fini par porter plainte en mai 2014, avait déclaré : « Le gérant m’a dit que je pouvais travailler comme chef. Il m’a envoyé le contrat. Quand je suis venu, il m’a dit que je ne travaillerais pas en cuisine, mais dans le service. Je n’avais pas le choix, car j’avais tout laissé en Inde. » Des auditions, il était ressorti que la plupart avaient reçu une promesse de travail au Pakistan, au Bangladesh et en Inde. Mais une fois arrivés au Grand-Duché, ils avaient dû constater qu’ils n’étaient pas payés à la hauteur du travail fourni.
«Je leur ai donné le nécessaire pour vivre»
Lundi, le restaurateur a affirmé avoir bien rémunéré ses employés. « Je leur ai donné tout le nécessaire pour vivre », a-t-il indiqué en citant, à côté de l’argent liquide, le logement, la nourriture et également le visa. Il a, par ailleurs, prétendu avoir fait office de père. Nombreux étaient, en effet selon lui, les ressortissants indiens et pakistanais qui étaient venus le voir pour obtenir du travail, alors que son restaurant est très petit (30 couverts).
« On dit que Monsieur racole les personnes. C’est faux. Ce sont elles qui viennent demander du travail », a plaidé l’avocat du prévenu qui conteste l’infraction de la traite d’êtres humains : « Ce n’est pas un esclavagiste. Il a aidé des gens de sa communauté .» Selon l’avocat, le prévenu s’est expliqué en indiquant qu’il versait une partie du salaire en nature. Il a demandé que son client ne soit pas condamné à de la prison ferme.
Mais pour le premier substitut, Patrick Konsbrück, l’infraction de la traite d’êtres humaines doit être retenue, car les actes de recrutement, d’hébergement et d’accueil au Luxembourg sont donnés. « Nous sommes confrontés à une sorte de travail forcé dans notre société », a-t-il dit en entamant son réquisitoire, avant de parler d’« un phénomène répandu, mais pas seulement dans la restauration indienne et pakistanaise ».
Le parquet estime que le restaurateur a fait travailler les victimes dans des conditions contraires à la loi. « Elles se trouvaient dans une situation de précarité. Elles n’avaient pas de revenus. Elles espéraient obtenir une situation légale. Le patron leur promettait un contrat de travail », a résumé le premier substitut. Il a requis une amende contre le quadragénaire en relation avec les gains qu’il a tirés de l’exploitation, ainsi que deux ans de prison. Mais il est d’accord pour que la peine soit assortie d’un sursis intégral. « Entretemps, la situation semble avoir été régularisée », a-t-il noté.
Les quatre parties civiles, quant à elles, réclament au total plus de 270 000 euros de dommages et intérêts. Leurs avocats ont parlé, hier, d’une « situation d’esclavage des temps modernes ». Prononcé le 30 juin.
Fabienne Armborst