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«Saïd m’a tout pris»


Les témoignages se suivent et se ressemblent depuis six audiences face à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg.(Photo : archives lq/fabrizio pizzolante)

Jiaoli a prétendu avoir été prête à tout pour protéger sa famille face au prévenu. Guidée par la peur, elle lui aurait cédé son argent et accepté les mauvais traitements.

Il avait tout programmé pour me séduire et adaptait sa technique au fur et à mesure», pense Jiaoli, 37 ans, à propos de Saïd. «Il a collecté des informations à mon sujet auprès des gens qui me connaissaient.» Dès le début de leur relation, le trentenaire aurait, à entendre sa victime présumée, mis le grappin sur elle à dessein. «Il était un rêve de petite fille», témoigne-t-elle hier à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. «Il a joué avec mes faiblesses. Il était gentil et câlin.» On attendait son témoignage depuis près de deux semaines que dure ce long et complexe procès pour y voir plus clair. Ce n’est pourtant pas vraiment le cas.

Il connaissait ses envies, dit-elle. Une maison pour ses enfants et sa maman, par exemple. Le prévenu lui en aurait proposé une et de lui faire un prix si elle lui confiait la rénovation de son immeuble de Junglinster avant de lui mettre un compromis de vente sous le nez sans que la jeune femme n’ait vu la maison de l’intérieur. «Je ne sais pas comment il m’a manipulée pour que je fasse des choses aussi bêtes alors que j’ai géré des restaurants», s’interroge-t-elle.

La présidente s’étonne de la naïveté de la jeune femme qui a pris tout ce qu’il lui racontait pour argent comptant. Jiaoli rapporte les énormités que le prévenu lui aurait racontées au fil de leur relation : il était colonel dans l’armée marocaine, directeur de Soludec, de Sopinor et de Lux-Echafaudages, chef de la plus grande mafia du Luxembourg, entre autres. De même que les violences physiques, les insultes et les menaces. «Si ce que vous dites est vrai, il y est quand même allé fort. Vous n’avez jamais eu le moindre doute?», demande la présidente. «Je ne comprenais pas quel était son intérêt de mentir», explique Jiaoli.

La présidente lui pose la question que tout le monde se pose depuis le début du procès : «Pourquoi être restée avec lui ? Qu’aviez-vous à craindre si vous rompiez?» Jiaoli indique lui avoir déjà versé d’importantes sommes d’argent et qu’il l’avait menacée de bloquer les rénovations. «J’avais 2,4 millions d’euros de crédit. Je ne savais pas comment les rembourser», répond la jeune femme. La présidente revient à la charge. «Je voulais lui dire de tout prendre du moment qu’il me laissait en paix avec ma famille, mais il enlevait sa montre… Il l’enlevait toujours avant de me frapper. Et sa façon de me regarder… Je savais qu’il allait fermer la porte et faire ce qu’il voulait.» Jiaoli prétend avoir tout accepté sans rien dire pour préserver sa famille.

«Je n’arrivais plus à résister»

Longs cheveux noirs qui tombent sur un blazer en tweet à carreaux bleu ciel et blanc coordonné au reste de sa tenue, comme le prévenu, la victime présumée aime prendre soin de son apparence. Sur le banc des prévenus, ce dernier prend un air contrit. Jiaoli accuse. «Chaque semaine, je devais aller chercher de l’argent à la banque et lui faire une enveloppe, sinon il me frappait.» D’enveloppes en virements sur le compte de Saïd, de ses entreprises ou d’entreprises qui n’étaient pas impliquées dans les travaux de rénovation de son immeuble de Junglinster, «il m’a tout pris». Et n’aurait pas laissé de factures. Son banquier finira par l’empêcher de faire des versements, mais la jeune femme usera de stratagèmes pour contourner sa décision.

Pendant un mois, elle prépare sa fuite en Chine en cachette et règle ses affaires au Luxembourg, donnant procuration à sa mère pour les gérer. «Je ne pensais plus revenir au Luxembourg», précise-t-elle. Le chantage au suicide et le harcèlement exercé, selon elle, par le prévenu sur sa famille l’ont convaincu de renouer contact avec lui. «Dans une lettre délicate, je l’ai gentiment prié de me laisser vivre ma vie», explique Jiaoli. «Je voulais lui faire comprendre que je n’arrivais plus à respirer avec lui.» Sans s’en douter, innocemment selon elle, Jiaoli a mordu à l’hameçon du prévenu qui aurait repris les menaces et dit être en phase terminale d’un cancer. «J’ai voulu l’accompagner jusqu’à la mort pour qu’il ne touche pas à ma famille», explique la jeune femme. «J’ai accepté qu’il vienne en Chine parce qu’il voulait me voir avant de mourir, qu’il avait changé. Je lui ai plus obéi que je ne l’ai cru.» À peine débarqué, Saïd lui aurait enlevé son passeport.

La présidente de la chambre criminelle lui lit des SMS tendres envoyés au prévenu. «Je faisais semblant de l’aimer. Le seul moyen de sauver ma famille était de faire tout ce qui lui faisait plaisir», avance Jiaoli. Notamment de rentrer au Luxembourg.

Saïd nie les accusations de la jeune femme et sa défense remet en doute sa crédibilité face à l’énormité de son récit. Ce matin, Mes Penning et Hellinckx auront l’occasion de la confronter à la version du prévenu.