Pour s’approvisionner en héroïne, il suffisait de composer le «Golden Number». Les trois hommes condamnés en première instance pour avoir chapeauté ce réseau de trafic de drogue comparaissent depuis lundi devant la Cour d’appel. Ils contestent leur implication.
Aucun doute, le «Golden Number» était très sollicité. Rien qu’entre juin et décembre 2017, 13 843 communications ont pu être retracées. L’enquête a permis d’identifier 87 toxicomanes ayant profité de ce réseau. Et selon le calcul des enquêteurs, les quantités d’héroïne vendues entre fin septembre 2017 et le 25 avril 2018 – date de la dernière activité du «Golden Number» – se situaient entre 24 et 36 kg pour une contre-valeur de 534 950 à 779 840 euros.
Et pour cause : le fameux numéro aboutissait à une sorte de «centrale d’achats». Son opérateur, un dénommé «Fernando», géolocalisé principalement aux Pays-Bas, recueillait appels et messages des toxicomanes luxembourgeois. Ces derniers étaient ensuite informés du lieu et de l’horaire de la transaction. Pour communiquer et coordonner les livraisons des commandes avec les revendeurs de rue à son service au Luxembourg, «Fernando» utilisait par contre un numéro néerlandais.
À la suite de l’enquête menée par le SREC Esch, sept hommes ont atterri sur le banc des prévenus. Les quatre identifiés comme simples revendeurs ayant accepté leur condamnation en première instance, ils ne sont que trois à affronter aujourd’hui la Cour d’appel. Parmi eux, on retrouve Kevin S., reconnu coupable comme étant le dénommé «Fernando». Il a écopé de huit ans de prison, dont deux ans avec sursis, et d’une amende de 5 000 euros. La 12e chambre correctionnelle a retenu la circonstance aggravante qu’il a agi au sein d’une association de malfaiteurs.
«Au Luxembourg pour le foot et faire la fête»
«Je n’ai rien à voir dans tout cela», s’est exclamé l’homme à la barre, lundi après-midi. Il n’est pas d’accord qu’on l’ait condamné pour avoir été «le chef». Car la description de «Fernando» – un homme de 50 ans comme le décrivent certains toxicomanes – ne collerait nullement à lui. Les enquêteurs avaient aussi retenu que le fameux numéro avait souvent été connecté à une antenne dans les environs directs de son domicile à Rotterdam. «Je ne suis pas le seul près de ce numéro», se défend le prévenu. Jusqu’à son incarcération à Schrassig, il affirme par ailleurs ne jamais avoir mis les pieds au Luxembourg…
À la différence du second prévenu qui a défilé à la barre lundi. Ilman M. ne cache pas être venu au Grand-Duché. Mais ce n’était pas pour gérer l’accompagnement et le contrôle des revendeurs de rue. «À chaque fois que je viens, c’est pour faire la fête ou des tournois de foot.» S’il lui est arrivé de partager sa chambre d’hôtel avec l’un ou l’autre revendeur dans cette affaire, cela aurait été uniquement pour réduire ses frais d’hébergement. Celui qui a été condamné à six ans de prison ferme et 3 000 euros d’amende – un sursis n’était plus possible à cause de son casier judiciaire – clame son innocence : «On n’a pas trouvé un seul gramme de drogue sur moi.» Et durant les dix ans où le «Golden Number» aurait été opérationnel au Luxembourg, la police n’aurait pas non plus une seule photo de lui pour prouver son implication. «L’enquête n’a permis de retracer aucun contact téléphonique avec Kevin S.», a renchéri son avocat. «C’est un dossier typique de l’enquêteur eschois. Beaucoup d’affirmations sans preuves…», ajoutera Me Pim Knaff en plaidant l’acquittement.
La Mastercard et le «pantin»
Le troisième homme à avoir interjeté appel est le plus jeune de tous. Ulrich B. avait 18 ans au moment des faits. Reconnu coupable pour avoir été le «support organisationnel» en charge notamment de la réservation des chambres d’hôtel et de la location des véhicules servant à l’approvisionnement de la drogue, il a écopé de six ans de prison, dont deux avec sursis, et de 3 000 euros d’amende. Sans casier judiciaire, il veut une peine moins lourde.
«J’ai été utilisé dans ce dossier.» Pour gagner 100 euros à l’époque, il raconte avoir remis une Mastercard délivrée à son nom. Ce qui s’est passé ensuite avec la carte lui échappe, dit-il. «On s’est servi de lui comme d’un pantin, mais il n’a pas fourni les moyens financiers et techniques», considère Me Brian Hellinckx, qui demande de baisser sa peine. «Les deux ans et deux mois de prison qu’il a déjà faits suffisent amplement.»
Suite et fin des débats mercredi après-midi. Après les plaidoiries de la défense du prévenu Kevin S. viendra le tour du réquisitoire du parquet général.
Fabienne Armborst