Le couple qui avait accueilli chez lui une quinquagénaire originaire des Philippines entre fin 2012 et l’été 2017 a comparu vendredi devant la Cour d’appel. Le parquet et la partie civile avaient interjeté appel.
«L’esclavage moderne, ce n’est pas forcément attacher quelqu’un à une machine à coudre. Lena* a été attirée au Grand-Duché afin d’y travailler comme fille au pair. Elle est tombée dans le piège qu’on lui tendait. On a attendu que son visa expire et elle s’est retrouvée piégée par sa situation administrative. Le fait que l’habitat n’était pas insalubre ne change rien.» C’est la position que défend la partie civile dans l’affaire dont s’est saisie vendredi matin la Cour d’appel. Le 25 mars dernier, la 13e chambre correctionnelle avait acquitté le couple, poursuivi pour avoir exploité une quinquagénaire originaire des Philippines entre 2012 et 2017 sous son toit, de l’infraction de la traite des êtres humains. En revanche, elle l’avait condamné pour avoir «employé un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier» avec la circonstance que «l’infraction est répétée de manière persistante» (code du travail). Les deux époux (52 ans et 51 ans aujourd’hui) avaient écopé d’une amende de 1 000 euros chacun.
«Il n’y a pas de traite des êtres humains»
Après l’appel de la partie civile, le parquet a également interjeté appel. «Pour que l’affaire puisse être exposée dans son intégralité devant la Cour d’appel», a expliqué la représentante du parquet général vendredi. Ce n’est pas pour autant qu’elle partage la position du parquet lors du premier procès. Le ministère public avait alors requis 24 mois de prison contre le couple et demandait que la peine soit assortie d’un sursis probatoire afin d’assurer qu’il règle les indemnisations. Pour l’amende, il avait demandé la peine maximale de 100 000 euros.
«Le jugement est très bien motivé. Il n’y a pas de traite des êtres humains», a d’emblée souligné l’avocat général dans son réquisitoire. Et d’appuyer : «Les conditions contraires à la dignité humaine ne sont pas données dans ce dossier. Lena logeait dans un petit studio correct.» C’est en 2012 que la quinquagénaire avait intégré le domicile familial dans un petit village du centre du pays. Dans un premier temps, elle était venue par périodes de trois mois – la durée de son visa touristique. Elle avait accès à internet avec un abonnement Netflix et pouvait communiquer de façon tout à fait libre. Certes, il existait un lien de subordination entre les époux et la quinquagénaire, relève la parquetière. «Mais de là à dire que c’est un traitement inhumain, cela je ne le vois pas.» S’appuyant par ailleurs sur des photos de famille, elle estime que «la frontière entre la sympathie et la relation de travail était très floue». Quant au passeport, on ne le lui avait pas confisqué. Il se trouvait dans une commode qui n’était pas fermée à clé. La police l’avait récupéré lors de sa visite au domicile.
À la police, la plaignante avait également déclaré qu’elle devait travailler de 5 h à 23 h. À côté de la garde de l’enfant, elle aurait dû jongler entre le ménage, la lessive, le repassage, les chiens… Le parquet général rejoint le raisonnement des premiers juges selon lequel il manque des preuves dans le dossier pour retenir qu’elle dépassait la durée de travail légale. Même problème pour la question de la rémunération, qui tournait autour de 300 euros, puis 80 euros par mois, à côté desquels elle touchait des avantages en nature…
En première instance, le couple n’avait été condamné que pour avoir «employé un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier». Or le parquet général estime qu’il y a également lieu de sanctionner le couple pour avoir «facilité l’entrée irrégulière sur le territoire luxembourgeois» de Lena : «Dans la demande de visa, on ne parle pas de relation de travail.» «Mille euros d’amende, ce n’est pas beaucoup par rapport à la durée des faits», conclura enfin la parquetière. «Il faut une amende plus lourde.»
La partie civile réclame 29 000 euros
Sans surprise, les époux, qui n’avaient pas interjeté appel dans ce dossier, ont demandé la confirmation du premier jugement. Leur avocat, Me Rosario Grasso, réfute l’image de l’esclavage moderne dépeinte par la partie civile. Selon lui, le couple n’aurait pas non plus fait une fausse déclaration en vue de l’obtention du visa : «En remplissant le formulaire, ils ont précisé qu’elle donnerait un coup de main dans le ménage parce que l’épouse avait des problèmes de santé.» Le dernier mot des prévenus à la barre : «À nos yeux, on l’a très bien traitée en famille. Si elle n’était pas heureuse, elle ne serait pas revenue plusieurs fois.»
La plaignante n’était pas présente à l’audience vendredi. Comme lors du premier procès. On y avait appris qu’après avoir été écartée de la famille, elle vivait aujourd’hui dans un foyer et était encadrée par un programme de protection des victimes. Via son avocate, elle a réclamé 29 000 euros au titre du préjudice moral et 1 500 euros d’indemnité de procédure. En première instance, sa demande avait été déclarée «irrecevable».
La Cour d’appel rendra son arrêt le 13 octobre.
* Le prénom a été modifié
Fabienne Armborst