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Meurtre d’Ana Lopes : un bout de scotch qui interroge


La police scientifique avait découvert le rouleau adhésif aux abords de Roussy-le-Village, à 55 mètres de la voiture carbonisée d’Ana Lopes. (Photo : Fabienne Armborst)

Le rouleau adhésif découvert à Roussy-le-Village donne du fil à retordre dans le procès autour de la mort brutale d’Ana Lopes. Car l’ADN mis en évidence vise la lignée paternelle de l’ex-petit ami.

Que s’est-il passé exactement quand Ana Lopes a été surprise par son ravisseur à quelques mètres de son domicile à Bonnevoie le 16 janvier 2017? Sa voiture incendiée avec son corps carbonisé à l’intérieur avait été retrouvée de l’autre côté de la frontière, en Lorraine, aux abords de Roussy-le-Village. Sur les lieux du crime, la police technique n’avait pas recueilli beaucoup de traces. Dans la petite couche de neige, deux pas s’éloignaient de l’épave. Cet indice n’avait pas révélé grand-chose, si ce n’est que ces traces correspondaient à une pointure comprise entre 43 et 45.

Moins déroutant était le rouleau adhésif de la marque Kip découvert à 55 mètres de là. Car sur la face collante de l’entame du ruban, il a pu être mis en évidence l’ADN masculin de la lignée paternelle de l’ex-petit-ami de la jeune femme, Marco B. (32 ans). C’est un des indices de cet immense puzzle qui se trouve entre les mains de la 13e chambre criminelle. Mais quand et comment cet ADN a-t-il atterri sur ce bout de scotch? Les hypothèses formulées à partir des résultats de l’expertise ne font pas l’unanimité. Pour la défense, cela ne constitue pas une preuve que le trentenaire a manipulé le scotch. Et c’est ainsi qu’au 8e jour du procès, vendredi matin, trois experts ont été confrontés pour tenter de débroussailler tout ça.

La quantité d’ADN masculin sur l’adhésif était relativement faible par rapport à l’ADN féminin de la victime. Il y avait beaucoup de taches de sang. Voilà pourquoi l’expert en empreintes génétiques s’est focalisé sur le marqueur du chromosome Y (présent uniquement dans le profil masculin). Il permet d’isoler le contributeur masculin. Le désavantage, c’est qu’il est commun à tous les garçons d’une même lignée paternelle. «On ne peut pas faire la différence entre les différents individus d’une même famille.» Ce qui signifie, dans notre cas, que l’ADN mis en évidence peut aussi être celui du fils de Marco B.

«Le fils a pu jouer avec le rouleau adhésif»

Et c’est là qu’intervient la première hypothèse de la défense du prévenu contestant les faits : «Le fils a pu jouer avec le rouleau» qui traînait dans la voiture de sa mère. «Il n’y a aucune indication dans le dossier que le rouleau se trouvait déjà dans la voiture et que l’enfant, qui n’a même pas deux ans, l’ait manipulé…», remarquera la présidente.

Mais il y a encore une autre hypothèse, selon la défense : l’ADN de l’enfant a été transféré par la mère, Ana Lopes… sur le bout de scotch, il y aurait donc eu «transfert indirect». «Il est fortement probable qu’une maman ait de l’ADN de son enfant de deux ans sur ses mains», relève l’experte. Elle ne peut toutefois répondre de but en blanc à la question de savoir «quelle est la probabilité que l’ADN subsiste sur ses mains pour qu’il puisse être transféré sur un rouleau de scotch?». Car il faudrait fixer un scénario. Si l’on suit celui selon lequel la victime a eu son dernier contact avec l’enfant le dimanche 15 janvier 2017 entre 16 h et 17 h et qu’ensuite, selon les déclarations d’un ami, elle a eu un rapport sexuel avant de passer chez McDonald’s, elle estime que la «probabilité (de ce transfert d’ADN de l’enfant) serait très, très faible». «Sur l’anse du sachet McDo qu’elle a manipulée avant sa disparition, il n’y a pas d’ADN du petit», soulève-t-elle.

L’auteur portait-il des gants?

L’ADN masculin n’a pas été retrouvé sur la face non collante du rouleau adhésif. «Pourquoi?», voulait savoir la représentante du parquet. «L’auteur qui portait des gants a-t-il pu se gratter dans cette situation stressante et avec cette main aurait-il ensuite manié la face collante du rouleau?» Il y a encore une autre hypothèse, selon l’expert en empreintes génétiques : «Sur une face collante, il y a plus de chances de récupérer du matériel exploitable que sur une face non collante.»

S’il n’exclut pas la possibilité du transfert d’ADN, il estime qu’il y a «plutôt eu dépôt direct», c’est-à-dire que le prévenu a manipulé le scotch. Il retient aussi que la surface où l’ADN a été recueilli était une «zone protégée», il a donc fallu décoller l’entame. Pour l’expert qui a livré son analyse sur demande de la défense, l’hypothèse que l’ADN de l’enfant a été transféré par l’intermédiaire de la mère n’est toutefois pas nulle. Car les quantités d’ADN observées seraient extrêmement faibles et en plus, elles constitueraient un mélange…

L’audition du prévenu Marco B. devrait avoir lieu vendredi prochain. Durant les trois audiences précédentes, la chambre criminelle entendra les membres de sa famille, mais aussi la mère d’Ana Lopes.

Fabienne Armborst

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