Depuis lundi, les réfractaires au confinement sont convoqués devant la justice luxembourgeoise. Cela se passe au tribunal de police. Ambiance de l’audience de vendredi, où deux voisins se sont longuement défendus face au juge.
Ils habitent Schifflange et le 11 avril 2020, peu avant midi, ils se trouvaient près de la station-service Q8 à Dudelange. En pleine période de confinement, ce n’était pas le bon plan. Car à part quelques exceptions, les déplacements sur la voie publique étaient interdits. Forcément, les deux voisins, qui marchaient dans la même direction avec une troisième connaissance, n’étaient pas passés inaperçus. Soupçonnant qu’ils ne respectaient pas le fameux règlement du 18 mars 2020, une patrouille de police, qui passait par là, était allée à leur rencontre.
Le contrôle d’identité s’est terminé par une verbalisation. À entendre le policier, «une simple sensibilisation n’était pas possible». Comme seul l’un des trois hommes avait accepté et payé l’avertissement taxé de 145 euros, les deux autres étaient cités, vendredi après-midi, devant le tribunal de police d’Esch-sur-Alzette. Le juge n’a toutefois pu se saisir que de l’affaire d’un seul réfractaire, le second n’ayant pas été valablement touché à son adresse.
Même s’il était présent à l’audience, Luis (34 ans) était bien loin d’une prise de conscience en s’avançant à la barre. Dans la salle d’audience, où le juge siège derrière une paroi en plexiglas, un ruban blanc et rouge délimite une zone à ne pas franchir et les chaises dans le public sont espacées, voici la première phrase qu’il lâchera : «Je veux savoir où est le problème. J’ai juste conduit un ami à la station-essence.» Et cet ami, il l’avait même amené. C’est celui qui avait réglé l’avertissement taxé dans le but de ne pas devoir aller au tribunal. Mais finalement, il s’y est retrouvé dans le rôle de témoin.
Muni d’une béquille, il s’est avancé au pupitre. «J’ai quatre vis et des plaques depuis mon hospitalisation», a expliqué l’homme de 41 ans en brandissant une copie de ses radios dans sa main.
«À la queue leu leu, comme les canards?»
«J’ai appelé mon voisin pour qu’il m’aide à aller à Dudelange pour acheter un paquet de cigarettes.» Mais à l’entendre, tout cela se serait fait dans le respect des distances. «Avec mes béquilles, j’étais à la traîne…», tentera-t-il de convaincre le juge. Impossible donc que la police les ait vus en groupe.
«Faut-il comprendre que vous marchiez comme les canards à la queue leu leu cinq mètres les uns derrière les autres?», tentera de résumer le juge de l’image dépeinte par le témoin. Mais il restera fort dubitatif sur leur motif de sortie : «Trouver des cigarettes à Schifflange, ce n’était pas possible?»
«Je voulais juste faire du bien, aider un ami qui est seul…» Le prévenu Luis, chauffeur de taxi de métier, campera sur sa position. «On n’était pas en groupe. C’était juste pour un paquet de cigarettes.»
Mais ce n’est pas là que le bât blesse. Dans un nouvel élan, le juge réussira finalement à lui faire prendre conscience du problème. «Le législateur ne parle pas de groupe. Il dit que toute circulation sur la voie publique est interdite sauf pour les exceptions prévues à l’article 1. Est-ce que les cigarettes en font partie? C’est ça la question.»
– Je comprends. Je n’ai plus grand-chose à dire. On aurait dû rester à la maison…»
Le parquet requiert 500 euros d’amende
La prise de conscience aura été tardive. Mais le message a fini par passer. «Pour tout le monde, c’était difficile de rester à la maison en cette période de confinement strict. Mais c’est dans l’intérêt de la santé publique, pour éviter la propagation du coronavirus», soulèvera la parquetière. En venant avec un témoin à la barre pour se défendre, il n’aurait toujours rien compris à la gravité de son comportement. Voilà pourquoi une sanction sévère s’imposerait. Elle requerra la peine maximale, soit 500 euros d’amende.
C’est également la peine qu’elle réclamera contre l’une des deux personnes interpellées le 10 avril vers 22 h 20 boulevard Prince-Henri à Esch. Ici aussi, la police avait dû dresser un procès-verbal. Car le duo, n’habitant pas à la même adresse, n’avait pas daigné se séparer après avoir été averti une première fois. Si l’homme qui venait de France a directement réglé par carte bancaire les 145 euros, l’autre homme, indiquant vivre dans la rue, avait refusé de payer. C’est la raison pour laquelle il était cité vendredi devant le tribunal. L’homme convoqué par avis sur internet n’a pas répondu présent. Le tribunal a donc pris l’affaire en délibéré après avoir entendu le policier.
Le juge de police rendra sa décision dans ces deux affaires le 18 juin.
Fabienne Armborst
Quid du droit du double degré de juridiction?
«Le tribunal de police statue sur l’infraction en dernier ressort», retient le règlement grand-ducal du 18 mars 2020. Ce qui pose la question du principe du double degré de juridiction qui existe en matière pénale. Ce dernier permet en effet à tout justiciable, s’il n’est pas satisfait par la première décision, de voir son affaire rejugée par une juridiction supérieure à celle initialement saisie…
Selon le parquet, ce principe peut toutefois faire l’objet d’exceptions lors d’infractions mineures. Le législateur ne prévoyant pas de peine de prison contre les réfractaires des mesures de confinement, le double degré de juridiction n’est donc pas «nécessaire et absolu», a estimé la parquetière vendredi. C’est un point que le juge de police d’Esch devra aborder dans sa décision le 18 juin. La justice a affaire à un nouveau contentieux. Ce ne sera sans doute pas l’unique question juridique à laquelle les juges devront apporter une réponse dans les semaines à venir. Il est fort probable que la Cour constitutionnelle soit saisie de l’une ou l’autre question préjudicielle. La base légale a en effet fait l’objet de nombreuses adaptations ces dernières semaines. Le premier prononcé contre les réfractaires du confinement a été fixé au 25 mai. Il s’agit de la toute première affaire avec cinq prévenus dont le tribunal de police de Luxembourg s’est saisi lundi matin.
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